Analyse de l’avant-projet de la Constitution de la République du Mali

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De troubles en crises et de crise en crise, le Mali connait une crise multiforme et selon ALCLED info, le 17 juin 2022, il a été constaté 2395 pertes en vie humaine. Ainsi, depuis son accession à l’indépendance en 1960, le Mali peine à prendre son envol. Pour beaucoup de maliens, cette situation est dû au fait que le pays n’arrive pas à mettre en adéquation sa gouvernance et les réalités socio-culturelles, politiques et économiques sur le terrain. Alors que sa nation reste inébranlablement attachée à son passé arboré de valeurs et pratiques ancestrales.

Fort de cet état de fait, les autorités de la transition au Mali, sous l’impulsion du Président de la Transition, ont créé par le décret n° 2022-0342/PT-RM du 10 juin 2022, une Commission de rédaction d’une nouvelle constitution adaptée au pays et à ses réalités.

En effet, cette Commission ad hoc a eu comme mandat de rédiger un avant-projet de loi portant Constitution de la République du Mali, après consultation des forces vives de la nation et sur une échéance de deux mois. Après son décret de création qui date de juin 2022, c’est finalement en mi-octobre que la commission a finalement présenté le document de l’avant-projet de la Constitution au Président de la Transition. Sans doute, ce retard accusé, est dû à la complexité et l’intérêt suscité autour dudit avant-projet de Constitution qui a été essayé par le Président Amadou Toumani TOURE et IBK , sans obtenir gain de cause, alors qu’il demeure paradoxalement un besoin criard pour des maliens, qui cherchent à procéder à la mise à jour de la loi fondamentale qui date de 1992 et qui ne répond plus aux réalités de l’ère.

L’espoir des maliens repose sur cette future loi fondamentale, afin d’être en phase avec les enjeux de la gouvernance du pays. Notamment en termes de respect des droits et devoirs des citoyens dans un Etat de droit d’une part, mais aussi de faire émerger un Mali fort et ouvert au plan supra national d’autre part ; « Notre espoir commun d’une démocratie rénovée, ainsi que d’un État mieux organisé et à la hauteur des défis nationaux et internationaux, repose sur cet avant-projet de Constitution qui vient de m’être remis », a déclaré le Président de la Transition, le Colonel Assimi GOÏTA à la remise officielle du document de l’avant-projet de Constitution qui va être vulgarisé et soumis au Gouvernement avant le scrutin référendaire prévu pour le 19 mars 2023.

Cependant, l’avant-projet présenté reste sujet à controverse par une frange des maliens en ce qui concerne par exemple son article 31, qui stipule : « les langues parlées au Mali par une ou plusieurs communautés linguistiques font partie du patrimoine culturel. Elles ont le statut de langues nationales et ont vocation à devenir des langues officielles. La loi fixe les modalités de protection, de promotion et d’officialisation des langues nationales. Le français est la langue d’expression officielle. L’Etat peut adopter, par la loi, toute autre langue étrangère comme langue d’expression officielle ». Sur ce point les détracteurs de cette disposition sont contre l’adoption du français comme langue d’expression officielle, au détriment des langues vernaculaires plus précisément le bamanankan considérée par eux comme la langue la plus parlée au Mali.

En termes d’analyse, nous pouvons dire que se focaliser uniquement sur cette disposition serait comme faire appel à l’émotionnel et la subjectivité, reconnus d’ailleurs comme techniques classiques pour manipuler et court-circuiter l’analyse rationnelle. Et donc le sens critique qui devrait plutôt être porté sur l’ensemble des 195 articles de l’avant-projet en vue de répondre au mieux aux attentes des maliens. Parce que choisir une langue nationale sans pour autant préparer la langue en question et le peuple à pouvoir répondre aux défis de la communication et la coopération internationale ou même d’être apte à l’utilisation dans le domaine scientifique et technologique dans les écoles et universités ou dans les administrations publiques. Dans la même lancée, il faut comprendre que la langue majoritairement parlée est différente de la langue exclusivement parlée par tous les maliens y compris beaucoup de fonctionnaires publics. Ce qui va nécessiter des traducteurs interprètes dans toutes les langues et au sein de toutes les administrations pour ceux qui ne parlent pas bamanankan. En termes d’hypothèse, dans une mairie à Anéfis ou Lakanguèmou où ni les conseillers communaux ni les citoyens ne maîtriserait le bamanankan. Ou encore le respect des droits d’un citoyen ne parlant pas bamanankan et dont l’Etat n’a même pu offrir une assistance juridique, encore lorsqu’il s’agit de faire appel à un interprète. Une manière de dire qu’il ne faut pas omettre les populations éloignées de Bamako dans le processus de changement.  Toutefois, la partie ‘’toute autre langue étrangère’’ peut être revue en supprimant le mot « étrangère » ; ainsi tout autre langue (nationale ou étrangère) après promotion ou préparation du terrain peut être adoptée comme langue d’expression officielle sans pour autant passer par une nouvelle révision constitutionnelle qui va couter au pays des milliards.

Si nous essayons par exemple de porter un regard critique sur l’article 59 : « le Président de la République promulgue les lois dans les quinze jours qui suivent la transmission au Gouvernement du texte définitivement adopté. En cas d’urgence, le délai de promulgation peut être ramené à huit jours. Il peut, avant l’expiration de ce délai, demander au Parlement une nouvelle délibération de la loi ou de certains de ses articles. Cette nouvelle délibération ne peut être refusée et suspend le délai de promulgation ». Cela pourrait insidieusement permettre au Président de la République de bloquer toute disposition d’une loi venant du Parlement et n’allant pas dans le sens de son intérêt. D’autant plus qu’il a la latitude de ne pas promulguer et de pouvoir renvoyer les lois pour des délibérations qui ne sont passables de refus par ledit Parlement.

Force est de reconnaitre que des avancées ont étaient fait pour pallier aux coups d’Etat, notamment avec l’article 72 : « le Président de la République est responsable de faits qualifiés de haute trahison. Il peut être destitué par le Parlement pour haute trahison… ». Cependant la disposition pourrait être complétée en veillant à la séparation effective des pouvoirs comme stipulé à l’article 130 : « le pouvoir judiciaire est indépendant des pouvoirs exécutif et législatif. Il s’exerce par la Cour suprême, la Cour constitutionnelle, la Cour des comptes et les autres Cours et Tribunaux ». Parce que paradoxalement l’article 72 confère la présidence du Conseil Supérieur de la Magistrature au Président de la République qui est en même temps à la tête du pouvoir politique et ordonne au pouvoir administrative. De ce fait, il faut se questionner sur l’indépendance du pouvoir judiciaire par rapport au pouvoir politique si le conseil des magistrats est présidé par un politique : article 64 : « le Président de la République est le Président du Conseil supérieur de la magistrature ».

Dans la même foulée, le Président de la République nomme directement 2/9 juges constitutionnels et 2/9 indirectement (dans le cadre du conseil supérieur de la magistrature), à savoir que ces juges proclament les résultats des élections en dernier ressort. Ce qui peut mettre ce dernier en position de force face aux candidats à l’élection de Président de la République. Sans doute une des raisons pour lesquelles les pays comme Madagascar où le Président de la République sortant démissionne s’il est candidat à sa propre réélection en vue d’être sur un même pied d’égalité que les autres candidats.

En sommes, le projet d’un nouvelle Constitution adaptée aux réalités du moment est un projet sur lequel repose l’espoir d’un Mali meilleur et l’attente des maliens pour un Etat de droit. Pour cela, il importe de tenir compte des aspirations profondes des population rurales qu’urbaines en faisant bon usage des observations reçues à l’issu des travaux de la commission, ne pas se lancer dans une dynamique tendant à mettre les ethnies et les couches sociales dos à dos. Encore qu’il faut éviter à encourager l’utilisation du manteau politique pour l’enrichissement illicite et l’impunité ; veiller à l’observation scrupuleuse de la bonne moralité, la probité des fonctionnaires, ainsi que la non redevabilité des hauts fonctionnaires à l’endroit du pouvoir ou de la personne qui les a nommés.

MAHAMADOU A TRAORE

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