Pour construire sur des ruines, il faut d’abord déblayer les décombres

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Reconnaître la mobilisation sociale massive

Le 18 août dernier, lors d’une déclaration télévisée, le Président de la République du Mali, Ibrahim Boubacar Keita, a suspendu le projet de révision constitutionnelle. Le jour suivant, le 19 août, cette suspension a été largement fêtée par les maliens dans les rues de Bamako.

Pour les uns, Ibrahim Boubacar Keita a pris une décision noble, évitant une explosion sociale, car ce projet intervient dans un contexte sociopolitique trouble où les inégalités sociales sont manifestes, que ce soit au niveau scolaire, professionnel, sanitaire ou judiciaire.

Pour les autres, la décision du Président de surseoir au projet de révision constitutionnelle ouvre un boulevard aux opposants au projet. D’autant qu’elle écorne l’image d’autorité du Président, et installe le doute chez ses partisans. C’est pourquoi si le Président se représente à sa propre succession lors de l’élection présidentielle de 2018, il aura probablement du mal à élaborer une stratégie électorale claire et fiable.

Apaiser les rapports sociaux entre les maliens

Cependant, il n’est pas inutile d’observer que la suspension du dit projet a contribué à apaiser les rapports sociaux entre les maliens. D’abord, il y a un sentiment de satisfaction et de reconnaissance des personnes opposées au projet grâce à l’aboutissement du mouvement (suspension du projet). Ensuite, la mobilisation massive des jeunes (hommes et femmes) contre ce projet, a permis de susciter un examen de conscience à la classe politique malienne. Il y a donc à la fois un mouvement d’émancipation transversale de la jeunesse et une mise à jour claire des problématiques actuelles telles que le chômage, la pauvreté ou la criminalité. Ces problématiques, nul doute, ressurgiront en 2018. Enfin, on peut aussi y voir, bien heureusement, l’affirmation d’un sentiment d’attachement à la maison commune, Le Mali.

Et comme l’écrit Amadou Hampaté Bâ dans Amkoullel, l’enfant Peulh, « si on lave une culotte le soir alors qu’on l’a mise propre sur soi le matin, ce n’est sûrement pas pour rien…».

Ecouter et entendre la jeunesse malienne

L’une des raisons de ce coup de balai collectif, c’est que la jeunesse malienne rêve d’un changement, d’un autre modèle de société, qui s’oppose à ce qu’on leur sert aujourd’hui. Cette jeunesse-là entre dans une épreuve d’existence (médias sociaux) où le pouvoir des aînés (gérontocratie) sur les plus jeunes, celui des technocrates (technocratie) sur les profanes, ne doit plus être hissé en modèle de gouvernement. Bien sûr, ces technocrates et gérontocrates ont un rôle à jouer dans d’autres sphères de la vie quotidienne, mais ils ne doivent plus s’arroger le droit de penser et réfléchir à la place du peuple. Auquel cas, ils glissent de place. Et c’est ce glissement qui favorise le rejet des élites par les jeunes de par une confiscation massive du pouvoir. Il est donc temps que les maliens prennent conscience et acceptent l’importance de la vitalité démocratique de la jeunesse, qui refuse de cautionner des politiques qu’elle juge contre productives. La jeunesse malienne, à l’image du balai citoyen du Burkina Faso en 2014, est en quête de mieux être et de justice indépendante, au service de tous. La jeunesse, âge d’aspiration (pour réaliser sa vie) et de révolte (pour dire non aux injustices), âge où l’on promet de « changer la vie » dirait Rimbaud, a pu trouver, dans ces mobilisations, un espace d’expression. Inutile de dire que ces aspirations dorment et se réveillent à l’occasion de certains événements comme dans les années 90 pour résister et abattre le pouvoir du Général Moussa Traoré.

Comprendre l’internationalisation des mobilisations

Aujourd’hui, il y a une régionalisation, voire une internationalisation des mobilisations sociales contre le système. Ces mobilisations ont leurs codes, leurs mots de passe, leurs capacités d’organisation pour se mettre en mouvement, et dépassent donc le contexte local malien. Les objectifs de ces mobilisations, quelles que soient leurs durées, ont un caractère profondément social traversant toutes les strates de la société. Des problématiques, comme l’éducation, l’emploi ou l’insécurité, sont devenues un point central des prochaines années. C’est une des leçons à tirer de ces mobilisations contre le projet de révision constitutionnelle.

Élire un jeune président en 2018

Ainsi, un des défis majeurs de la présidentielle de 2018 du Mali, c’est l’élection d’un jeune à la tête de l’État malien, comme on peut le constater au Canada, en Grèce ou en France. Un président jeune, non issu de partis politiques, ayant déjà montré leurs limites dans la gestion de la Nation, mais des mouvements hors partis. Ce sera probablement le prix à payer pour le renouveau.

Autres enjeux majeurs de 2018, c’est le retour effectif et concret de la région de Kidal dans le giron malien (pas seulement le retour du Gouverneur pour calmer les esprits), la lutte contre le narcoterrorisme, la criminalité grandissante, la bataille de l’emploi des jeunes et l’accès à la santé.

Le candidat à l’élection présidentielle qui proposera des solutions concrètes pour répondre à ces questions, tranchera la situation de Kidal, ce nœud gordien, et aura de fortes chances de remporter l’élection. Cela veut dire qu’il serait difficile d’aller vers la paix, si la question de Kidal n’est pas réglée.

SORTIR DU PIÈGE DE KIDAL, ET RECONSTRUIRE LE MALI

L’espoir porté par certains se tarit

La France et le Mali ont donc intérêt à sortir du piége de Kidal. Trancher la question de Kidal, c’est redorer le capital sympathique que les maliens ont manifesté en 2013 lors de la libération des régions Nord du Mali, c’est aussi faire amplifier la lutte contre le narcoterrorisme dans le cadre des coopérations régionales comme le G5 Sahel[1]. D’autant qu’on est dans un contexte de régression régionale, et mondialisée auquel le Mali n’échappe pas. C’est d’ailleurs une des causes de l’isolement de certains pays. Par exemple, des pays, comme le Mali, naviguent entre une politique au service du peuple (AMO[2]) et un compromis avec les intérêts privés et internationaux. Conséquence, le Mali vit une situation de crise globale où les causes sont à rechercher dans le même processus de mondialisation où toutes les politiques nationales ont été supprimées si tant est qu’elles existaient. À cela s’ajoutent une domination de la finance internationale et la décomposition des partis politiques, tenant au fait que les réformes sociales et politiques ne sont pas pensées au niveau des problèmes sociaux émergeants. Donc, nous sommes dans une situation assez grave, et rien ne nous dit que c’est fini. L’espoir porté par certains se tarit.

Dans ce contexte, la nécessité d’avoir un leader jeune s’impose. Toute chose égale par ailleurs, Evo Morales, le président bolivien, à travers ses réformes, a rendu une dignité à son peuple au delà des critiques que l’on peut lui faire. À l’image d’Evo Morales, dans le cas de l’Afrique, et plus particulièrement du Mali, il faudra donc des énergies neuves, de la créativité et de la bonne volonté pour construire un chemin de rédemption, influer et donner du sens aux politiques publiques.

Le Mali, comme l’Afrique, subit

Aujourd’hui, l’Afrique, et notamment le Mali attire de nouvelles convoitises. Des pays comme la Chine, l’Arabie Saoudite, etc., y intensifient leur pouvoir d’influence sur place. Le Mali comme d’autres pays de la sous-région, à cause d’une certaine proximité religieuse, se rapproche des pays du Golf, sans voir que ces derniers dénaturent peu à peu une vision ouverte des religions et des croyances locales (Islam, Christianisme…). En effet, ces partenariats n’influent pas uniquement sur le marché économique du pays mais sur les affaires sociopolitiques. Le Mali comme l’Afrique subit. De façon générale, il répond plus à des commandes qu’il ne formule des requêtes, ce qui le rend davantage vulnérable.

Cheminer vers un Mali paisible et digne

Passé ce constat, pour en tirer parti, et cheminer vers un Mali paisible et digne, le futur président du Mali aura plusieurs chantiers à mettre en route. Il aura intérêt à clarifier les rapports entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif, les rapports de coopération au bénéfice de l’intérêt général, les rapports entre le spirituel, le matériel, le religieux, la politique, la laïcité pour sortir de la confusion des pouvoirs. Il me parait important d’assainir les rapports entre l’idéal national et les fins personnelles. Il en va de la lutte contre la corruption. Un autre chantier important, dans la transformation du Mali, c’est la nécessité de rendre le vote obligatoire, comme en Belgique, au Brésil ou en Grèce.

Au delà des bouche-trous, des solutions concrètes

Pour construire sur des ruines, il faut d’abord déblayer les décombres. Pour reconstruire la maison malienne, les bouche-trous ne suffisent plus, il faut résoudre le problème de l’organisation intellectuelle ; c’est-à-dire proposer des solutions concrètes pour créer les conditions d’une vie scientifique : laboratoires dignes de ce nom, bureaux, fonds pour la recherche équitablement mis à disposition pour valoriser les productions scientifiques. Parce que les choix politiques doivent s’inspirer des expertises scientifiques correctement faites (sens critique, rendre compte honnêtement des faits, être transparent sur les sources…). Il en va du leadership du Mali en Afrique et dans le Monde. Il y a donc une énorme transformation à faire. C’est pourquoi, il faut une pensée scientifique pour éclairer le politique, sinon on errera.

Cicatriser les blessures collectives

Ces chantiers ne peuvent être mis en place que dans un contexte de paix où les tensions intercommunautataires s’estompent, où on n’est pas à tenir un discours entre le politiquement correct et le pouvoir traditionnel, voire conservateur. Le contexte géopolitique du Mali impose une coopération bilatérale franche pour préserver l’amitié, la confiance et la transparence dans la lutte contre le narcoterrorisme. Et comme dit Aimé Césaire :

« Je suppose que le monde soit une forêt. Bon. Il y a des baobabs, du chêne vif, des sapins noirs, du noyer blanc ; je veux qu’ils poussent tous, bien fermes et drus, différents de bois, de port, de couleur mais pareillement pleins de sève et sans que l’un empiète sur l’autre… », (Et les chiens se taisaient).

Ce rêve de Césaire, je le crois profondément réalisable dans une République mature où il fait bon vivre, grandir et travailler, où l’école et la santé sont considérées comme les leviers de tout développement. Car l’enjeu, c’est de cicatriser les blessures, lever les sentiments d’humiliation, éviter le commerce humain terrifiant sur les routes migratoires. Il y va de l’intérêt du Mali, de la France et de l’Afrique, parce que la jeunesse a besoin d’espoir et surtout de rêve, une vie meilleure que celle qu’elle vit. C’est aussi un des prix à payer pour la reconstruction et la paix.

Mohamed Amara

Sociologue et essayiste

Parutions :

Le Mali rêvé. Paris, L’Harmattan, 2015

L’Automédiatisation, une autre forme de communication sociale. Paris, L’Harmattan, 2013

[1] G5 Sahel comprend le Burkina Faso, la Mauritanie, le Mali, le Niger et le Tchad.

[2]AMO, Assurance Maladie Obligatoire

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2 COMMENTAIRES

  1. Le général DEGAUL avait quel âge quand il a donné une autre dimension à la France?
    La vision politique guide nos intentions pour notre nation.
    La gestion d’un ÉTAT requiert plus une dimension d’homme d’État au fait des réalités du pays que la qualité d’un homme jeune donnant l’impression de vivre son temps.
    L’homme d’État est celui qui privilégie l’intérêt général au détriment de celui individuel.
    Les pays africains sont à la recherche de cet homme d’État qui n’est pas forcément conditionné à l’ âge.
    La vision politique est la notion qui différencie les hommes d’État qui pensent à l’avenir lointain de leur pays .
    Il serait dangereux et une erreur monumentale de rejeter tout ce qui a été accompli depuis 1991et les hommes valeureux qui ont exprimé leus qualités d’homme d’État nécessaire à la situation actuelle de notre pays .
    Il n’est pas juste de dire que tous ceux qui ont participé à la gestion du pays ont contribué à faire du MALI un pays assez largement corrompu aujourd’hui.
    Notre constitution fait du président de la république le dépositaire de la politique et responsable devant la nation.Les hommes qui l’ accompagnent ne sont en aucun responsables de la gestion du pouvoir ,mais de la parcelle de missions attribuées.
    Affirmer qu’il faut donner la gestion du pouvoir à des jeunes qui n’ont pas participé à la gestion du pays depuis 1991est cédé à la tentation de la mode qui n’est forcément adaptée à tous les pays.
    Le MALI a des hommes politiques du moment qui ont exprimé des qualités d’homme d’État nécessaires à la situation actuelle de la gestion étatique.
    Ils sont certes accusés de corruption,de mauvaise gestion ,mais la réalité est tout autre.
    Chercher dans la nouvelle génération la solution à la situation actuelle est suicidaire tant le MALI a plus besoins d’hommes confirmés que de jeunes intellectuels inexpérimentés.

  2. Un président qui a une vision pour le Mali qui n’est pas celle de la France et de ses gouverneurs de la sous région. Être capable de proposer ou aider à trouver les voies pour un lendemain meilleur du malien, voilà celui que nous allons porter à la tête du Mali en 2018. Pas un homme comme IBK.

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