La seconde bataille de l’indépendance : Une impérieuse nécessité

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Cette tribune est inspirée par les événements survenus au Gabon récemment. Le 27 août 2016, le peuple gabonais se rend aux urnes pour élire le président de la République. Quatorze candidats sont en ligne, dont deux favoris : Ali Bongo Odimba, président sortant candidat à sa propre succession et Jean Ping, ancien ministre des Affaires étrangères, ancien président de la Commission de l’UA, candidat du Front uni de l’opposition pour l’Alternance.

La proclamation officielle des résultats est prévue pour le 30 août à 17 heures par la Commission Electorale Nationale Autonome et Permanente (CENAP). Elle ne le sera que le lendemain,  31 août. Mais, sans l’attendre, est-ce par stratégie électorale, Jean Ping se déclare vainqueur. Du coup, comme pour ne pas se laisser voler « leur victoire », ses partisans se mobilisent et, à l’annonce des résultats donnant le président sortant vainqueur, envahissent la rue. Libreville et Port-Gentil s’embrasent. Les symboles de l’Etat sont pris et vandalisés, l’Assemblée Nationale incendiée, le QG électoral de Jean Ping, occupé, le matériel saccagé, des militants séquestrés. Les pillards et les casseurs se mêlent aux manifestants, des morts sont recensés.

Tels sont les faits. En réalité, ils ne représentent rien d’inédit sous nos cieux depuis l’instauration du multipartisme dans nos Etats à la suite de la disparition de l’Union Soviétique. La Côte d’Ivoire, le Kenya, le Zimbabwe, par le passé, nous en ont donné des illustrations. Ils ne retiennent pas, outre mesure, l’auteur de cette tribune qui, en tant qu’Africain a, quand même, son idée là-dessus. Ce qui retient son attention, c’est, vingt-quatre heures après la proclamation des résultats, l’attitude, certains propos de Robert Bourgi qui, sur les plateaux de France 24, s’est fait l’avocat de Jean Ping. Qu’il ait défendu un candidat ne relève que de ce qui est normal : chacun de nous a son candidat et, sur les plateaux de France 24, Ali Bongo aussi avait son avocat. Donc, sur ce point, rien à lui reprocher. Mais qu’il ait tenu des propos nous infantilisant, voilà qui est inadmissible et qui nous oblige à réagir.

Les propos sont les suivants : « Si j’avais su lire comme les devins ce qui allait se passer, jamais je n’aurais pu soutenir la candidature d’Ali Bongo en 2009. » Puis, écumant de rage, l’expression n’est pas excessive pour ceux qui ont suivi le débat, il lâche : « J’ai enfanté un monstre. » Non, assurément, ces mots ne s’adressent pas qu’à Ali Bongo, mais à tous les Africains. Ainsi donc, ce sont des « intellectuels » de l’Hexagone qui nous « enfantent ! ». Nous ne serions que de grands enfants dont il faut guider les pas, inspirer les actes !

Les intellectuels de l’Hexagone et, parfois, d’ailleurs car Bourgi ne constitue pas un cas isolé, des hommes d’Etat. Ils sont nombreux à nous avoir insultés, depuis le jour où ils ont inventé l’expression « le fardeau de l’homme blanc » (« The White Man’s Burden »).

Quelques exemples, et pas des moindres : Charles de Gaule, Jean-Pierre Cot, François Mitterrand, Nicolas Sarkozy.

Pour beaucoup, Charles de Gaule est entré dans l’histoire comme l’artisan d’une décolonisation réussie, sans effusion de sang, de « l’indépendance dans l’amitié avec la France ». C’est là une image destinée à tromper. De Gaulle n’est réellement sincère que quand il confie à son ministre Alain Peyrefitte, à propos des nègres auxquels il s’apprête à imposer ses indépendances néo-colonisées : « Nous ne pouvons pas tenir à bout de bras cette population prolifique comme des lapins (…) C’est une bonne chose de les émanciper. Nos comptoirs, nos escales, nos petits territoires d’outre-mer, ça va, ce sont des poussières. Le reste est trop lourd. Et puis (il baisse la voix), vous savez, c’est une chance à saisir ; nous débarrasser de ce fardeau beaucoup trop lourd maintenant pour nos épaules, à mesure que le peuple ont de plus en plus soif d’égalité. Nous avons échappé au pire ! (…) Au Gabon, Léon Mba voulait opter pour le statut de département français. En pleine Afrique Equatoriale !  Ils nous seraient restés attachés comme des pierres au cou d’un nageur ! Nous avons eu toutes les peines du monde à les dissuader de choisir ce statut. Heureusement que la plupart de nos Africains ont bien voulu prendre paisiblement le chemin de l’autonomie, puis de l’indépendance. » (A. Peyrefitte.- C’était de Gaulle. Editions Fayard, tome 2, Paris 1994, pages 457-458.)

Le 10 mai 1981, François Mitterrand est élu président de la République Française. Il entre en fonction le 21mai et d’entrée de jeu, affiche la volonté de mettre fin à la scandaleuse Françafrique. A cette fin, il nomme Jean-Pierre Cot ministre de la Coopération. Ce dernier, soucieux de faire respecter les droits de l’homme s’érige en donneur de leçons morales, sillonne l’Afrique francophone, les rapports d’Amnesty International sous le bras. Un tel comportement est jugé inacceptable. Omar Bongo finit par dire tout haut ce que tout le monde chuchote tout bas.

Mitterrand a le choix entre, d’une part, ses principes de président de gauche et, d’autre part, le pétrole, le cuivre, l’uranium, le bois des ex colonies. Le choix n’est pas difficile à assumer : Cot est limogé, sacrifié sur l’autel de la « real politic. » Mais ce n’est que partie remise.

En effet, le mur de Berlin tombe le 9 novembre 1989. Mitterrand en est à son second mandat. Pour les Africains, le jeu de bascule n’est plus possible entre l’Occident et les pays du bloc communiste. L’homme d’Etat français en profite pour imprimer à la Françafrique une nouvelle dimension. Accueillant ses « pairs » africains lors du sommet de la Baule, sans égard pour leur rang, il les somme de démocratiser leur régime et de préciser à leur intention : et quand je dis démocratie, j’entends des élections transparentes, une presse libre, une justice indépendante, un parlement qui délibère… ; avant de terminer, cynique : la France sera plus enthousiaste dans son aide envers ceux qui feront un pas vers la démocratie et tiède envers ceux qui traîneront les pieds.

Quant à Nicolas Sarkozy, les Maliens le connaissent suffisamment. Il n’est pas seulement celui per qui nous sont arrivés tous les malheurs que nous vivons actuellement, il reste  également l’auteur de la phrase : l’homme africain n’est pas suffisamment entré dans l’histoire.

Les propos de ces trois chefs d’Etat français sont à mettre en corrélation avec ceux tenus récemment par Robert Bourgi. Ne nous y trompons pas : pour nos « partenaires » français, nous n’avons pas cessé d’être les grands enfants que leurs devanciers ont colonisés aux XIXè-XXè siècles. C’est la raison pour laquelle nous devons engager la seconde bataille de l’indépendance pour nous assumer en peuples majeurs.

Diaoulen Karamoko Diarra

Source Le Sursaut

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