Sur le projet de révision constitutionnelle au Mali

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A dix mois de la fin de son mandat, le chef de l’Etat semble animé par une volonté obstinée de réviser la Constitution du 25 février 1992. La classe politique et les organisations de la société civile, nonobstant les nuances dans le ton et la forme, affichent leur opposition au projet présidentiel. Cependant, le chef de l’Etat semble décidé à faire fi des déclarations des uns et des autres et à «imposer» son projet. Il est désormais engagé dans un jeu absurde de cache-cache avec la classe politique tout en affichant un profond mépris pour le peuple malien. Cette posture politique appelle plusieurs observations. Il y a lieu, en effet, de s’interroger, à la fois, sur la méthode choisie par le chef de l’Etat pour «imposer» aux Maliens son projet, sur le contenu de la révision, sur l’opportunité de celle-ci au moment où le pays doit concentrer ses efforts, son énergie et ses moyens pour organiser des élections transparentes, libres et crédibles afin de doter le Mali d’une équipe dirigeante légitime capable d’affronter les défis gigantesques auxquels il est confronté.

La méthode choisie:

Le chef de l’Etat a choisi une «posture militaire» pour faire passer son projet constitutionnel. Dans son esprit, il s’agit de «bousculer» la classe politique en ne lui laissant ni le temps de la réflexion, ni celui de la discussion du projet constitutionnel. De plus, il s’agit d’empêcher toute velléité d’organiser un large front d’opposition à l’entreprise présidentielle. Face aux contraintes de temps, la classe politique est confrontée à un choix cornélien: faut-il s’organiser et combattre le projet présidentiel au risque d’entraîner le pays dans une voie sans issue? Ou bien faut-il tenter de l’amender à la marge et se préparer pour les échéances électorales à venir? En tout état de cause, le chef de l’Etat a réussi momentanément à imposer son agenda politique à la classe politique en l’amenant à choisir contre son gré une option malheureuse.

Le contenu de la «révision»:

D’emblée, il convient de remarquer que le chef de l’Etat a décidé, du haut de son magistère, d’imposer aux Maliens une nouvelle Constitution. En effet, lorsqu’on révise 105 des 120 articles d’une Constitution, on en modifie totalement la substance, l’économie, l’équilibre, bref, le contenu. Il s’agit, ni plus ni moins, d’une nouvelle Constitution. Or, le chef de l’Etat n’a reçu aucun mandat du peuple malien pour «changer» cette Constitution. Réviser une Constitution, ce n’est pas «changer» de Constitution. La nuance est de taille. Nul besoin de s’étendre sur le contenu du texte proposé car celui-ci est un mauvais assemblage d’articles mal pensés et mal formulés. Retenons simplement que le «constituant» malien – qui est, en l’occurrence, une simple commission «d’experts» autoproclamés aux compétences douteuses, puisque ceux-ci refusent tout débat public et contradictoire – veut imposer au peuple une sorte de «monarque présidentiel» doté de pouvoirs exorbitants sans être responsable politiquement de ses actes. Cette situation pourrait à l’avenir déboucher sur une véritable crise constitutionnelle en cas de non-concordance entre les majorités présidentielle et parlementaire. De plus, sous prétexte de «renforcer les pouvoirs du Parlement», il est envisagé de créer un Sénat. En fait, il serait plutôt réaliste de doter l’actuelle Assemblée nationale de véritables pouvoirs de contrôle de l’action gouvernementale et des moyens opérationnels réels (assistants parlementaires, renforcement des commissions, pouvoirs d’investigation des commissions d’enquête parlementaire, pouvoir d’interpellation du gouvernement, pouvoirs en matière budgétaire) que de créer une nouvelle chambre qui viendrait meubler le décor institutionnel… Au total, le « constituant » malien semble obnubilé par une sorte de «fétichisme constitutionnel» consistant à croire qu’il suffit de créer, de «copier et coller» les articles les uns après les autres pour disposer d’une bonne Constitution. Ce qu’il semble ignorer, c’est qu’une Constitution est, avant tout et surtout, un Contrat social unissant entre eux les membres d’une collectivité à un moment donné de l’évolution historique. En tant que tel, les membres de cette collectivité doivent adhérer pleinement à ce projet de société qui organise les rapports entre gouvernants et gouvernés. Il ne s’agit, en aucun cas, d’une camisole de force taillée par un «Général» en fin de parcours.

L’opportunité de la «révision»:

Il y a quelques semaines, le gouvernement a reconnu son incompétence notoire devant la Nation en se déclarant incapable de doter le pays d’un fichier électoral fiable pour les prochaines élections. Pour masquer cette disqualification majeure, il fit mine de consulter la classe politique sur le choix entre le RAVEC et le RACE. Profitant des divisions de celle-ci, il multiplie les louvoiements sur la constitution de la CENI. Actuellement, les uns et les autres s’interrogent légitimement sur sa capacité et sa volonté d’organiser l’élection présidentielle dans les délais constitutionnels. Le chef de l’Etat ne gagnera rien à laisser nourrir les spéculations et les rumeurs qui alimentent les suspicions sur ses réelles intentions tout en détériorant un climat politique suffisamment pollué par les positionnements et repositionnements inhérents à toute fin de mandat. L’heure n’est plus aux petits calculs, aux jeux politiciens stériles, aux manipulations et aux tentatives de corruption grâce à l’utilisation inappropriée et inconsidérée de la Sécurité d’Etat… Il relève de la responsabilité du chef de l’Etat d’organiser dans la transparence des élections crédibles à date échue. À cet égard, il sera seul comptable devant le Tribunal de l’Histoire!

À dix mois de la fin du mandat, le chef de l’Etat ne dispose plus de la légitimité d’imposer au pays une nouvelle Constitution. Même en faisant abstraction des contraintes administratives et organisationnelles (nécessité d’avoir un fichier électoral «consensuel», audit dudit fichier, confection et distribution des cartes d’électeur…), financières (mobilisation du budget électoral, vote d’un collectif budgétaire…), le gouvernement actuel est confronté à un sérieux problème de crédibilité sur sa capacité et sa volonté d’agir en accordance avec les partis politiques, la société civile et le corps social en général. Nul ne fera croire que ce gouvernement, qui a été incapable de doter le pays d’un fichier électoral fiable au bout de cinq ans, soit en mesure d’être performant dans les dix mois qui lui restent. Dès lors, plusieurs questions s’imposent: à quoi jouent les tenants de l’appareil d’Etat? S’agit-il d’organiser de mauvaises élections pour imposer un mauvais choix au peuple grâce à des manipulations administratives ? S’agit-il de créer une crise postélectorale pour se poser en recours et, partant, prolonger de facto l’actuel mandat ?

Le Mali se trouve présentement dans un état déplorable, inqualifiable. N’en déplaisent aux laudateurs du régime, qui ont une propension extraordinaire à être aveugles devant les dures souffrances imposées au peuple malien, tous les clignotants sont au rouge :

1)      Propagation systémique de la corruption à tous les niveaux de l’appareil gouvernemental (voire l’Index 2011 de la liberté économique de la Fondation Heritage www.Heritage.org/index/country/mali). En l’espace de quelques mois, deux membres du gouvernement (Ahmed Sow, Oumar Ibrahim Touré) ont été contraints de démissionner sous la pression des partenaires extérieurs! L’Etat a été dépouillé de sa dignité, ses symboles souillés par ses propres gouvernants. Le général Moussa Traoré, dont le régime était gangrené par la corruption, a dit un jour, sans se rendre compte que sa formule s’appliquait à lui-même : «Quand la tête est pourrie, le corps s’étiole». Ces phrases demeurent d’une cruelle actualité, vingt ans après la chute de l’ancien dictateur !

2)      La prolifération de la drogue et des trafics en tous genres : il est de notoriété internationale que le Mali est devenu une plaque tournante du trafic de drogue en Afrique. L’affaire du Boeing baptisé par les populations «Air Cocaïne» est en une illustration éclatante. Plus globalement, la bande sahélo-saharienne est le théâtre de nombreux trafics (drogue, armes, cigarettes, etc…) impliquant de nombreux acteurs, y compris, les services chargés de les combattre.

3)      La liberté d’action offerte à AQMI : cette organisation s’est installée sur le territoire malien où elle s’adonne à des activités criminelles sans que cela ne suscite une riposte appropriée. Cette présence quasi-permanente signifie tout simplement que le Mali a perdu une partie de sa souveraineté sur une large portion de son territoire national où circulent, de surcroit, plusieurs armées étrangères tentant de faire ce que nous refusons de faire, c’est-à-dire, combattre vigoureusement une organisation dont les activités discréditent, chaque jour, notre pays.

4)      Les déficiences dans le domaine des ressources humaines et sur le plan économique : nul besoin d’insister sur la décrépitude du système éducatif. Les causes sont profondes mais le laxisme du gouvernement actuel a aggravé la situation à un point inimaginable. Le système éducatif malien forme aujourd’hui des néo-analphabètes, c’est-à-dire des gens qui savent lire et écrire, mais qui ne savent pas penser! Le Mali se trouve au bas de l’échelle mondiale en matière de formation des ressources humaines ! Il va s’en dire qu’avec de telles ressources il sera difficile d’accélérer le développement économique. Dans ce domaine, les tenants de l’appareil d’Etat semblent se gargariser de la création de nombreuses infrastructures en oubliant que croissance ne signifie pas développement. Quel mérite y-a-t-il, cinquante après les indépendances, à faire construire des routes et des ponts par des entreprises étrangères? De plus, sans un développement économique conséquent, c’est-à-dire, un élargissement de la base matérielle de l’économie avec des effets de propagation multidimensionnelle, ces infrastructures sont condamnées à péricliter à terme, tout simplement parce que l’Etat sera incapable de faire face aux charges récurrentes.

5)      L’absence de justice : il y a quelques années, un ministre de la justice (Abdoulaye Tapo) n’avait pas hésité à dénoncer les tares de l’administration dont il avait la charge. La situation s’est empirée depuis lors. Chaque jour, le chef de l’Etat, lui-même, est interpelé devant les injustices flagrantes, devant les expropriations foncières au profit des nantis drapés dans un manteau d’impunité et d’arrogance inqualifiables.

Face à ces problèmes, il ne s’agit pas d’organiser des forums (fora), pour dénoncer les maux qui gangrènent la société. Il s’agit de prendre les mesures énergiques, appropriées pour juguler ces fléaux. Gouverner, c’est résoudre les problèmes de son temps avec courage et intelligence. Après neuf années à la tête du pays, le chef de l’Etat gagnerait à réussir sa sortie en organisant des élections transparentes et crédibles dont les résultats seraient inattaquables. Ceux qui militent pour l’organisation du référendum constitutionnel font preuve de cécité politique. Ils peuvent parvenir à leurs fins grâce à des artifices tactiques (intimidation des politiciens qui ont géré l’appareil d’Etat), à des manœuvres de viol de conscience de la population, et des artifices administratifs. Mais, à «vaincre sans péril, on triomphe sans gloire» ! Il appartient désormais au chef de l’Etat de choisir la manière dont il sortira de Koulouba : par la grande porte, avec les honneurs ou autrement.

Une contribution de Mr Moussa Sow
[email protected]
Washington, DC U.S.A.

 

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