Un vaste réseau de distribution d’engrais de mauvaise qualité démantelé : TOGUNA, APCAM et ministère de l’Agriculture mis en cause

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La faute à des entreprises pourtant jugées respectables et qui étaient jusque-là considérées comme étant au – dessus de tout soupçon. Résultat : la direction nationale de l’Agriculture à travers le Laboratoire Sol – Eau – Plante de Sotuba a mené des investigations et est parvenu à situer les différentes responsabilités. L’enquête est accablante : un doigt accusateur est pointé sur l’agro – industrie TOGUNA. L’APCAM est aussi soupçonnée de complicité dans cette affaire qui a des ramifications inquiétantes au niveau même du ministère de l’Agriculture. La chasse aux sorcières est ouverte.

Le rapport technique sur le contrôle de la qualité des engrais en zone CMDT et OHVN (1ertour) pour la campagne 2015-2016 produit par l’Institut d’économie rurale (IER) à travers le Laboratoire Sol – Eau – plante est formel : des déficiences notoires ont été relevées et des prélèvements d’échantillons d’engrais ont prouvé que des limites de tolérance ont été franchies par TOGUNA dans la distribution des engrais.

Ce sur quoi tous les techniciens et experts sont unanimes, c’est la qualité des engrais, un des piliers essentiels dans la production cotonnière au Mali. Déjà, on se rappelle que, lors du Forum national sur la relance de la culture de coton au Mali, les 2-3 mai 2011, dans notre pays, il a été souligné dans les recommandations de veiller sur la qualité des engrais fournis aux producteurs. Il en fut de même pour l’atelier de Sikasso (2012) relatif au Plan d’actions des stratégies d’amélioration des rendements coton lequel a recommandé un contrôle a posteriori des engrais livrés par chaque fournisseur dans les zones de la Compagnie malienne de développement des textiles (CMDT) et de l’Office de la Haute vallée du Niger (OHVN).

L’objectif recherché par les autorités maliennes relativement au contrôle qualité des engrais commercialisés est de sauvegarder les intérêts des agriculteurs contre les déficiences des éléments nutritifs, la contrefaçon, les fausses déclarations, les déficits en poids afin de contribuer à la création d’un environnement favorable à l’investissement privé dans l’industrie des engrais (CEDEAO, UEMOA, IFDC, 2013).

C’est dans ce contexte et en vertu de la responsabilité de l’Etat et du droit de regard des autorités que des échantillons d’engrais ont été fournis par la direction nationale de l’agriculture au Laboratoire Sol – Eau – Plante de Sotuba pour un contrôle de qualité.

 

Méthodologies

 

Le Laboratoire de Sotuba a fait un contrôle transparent et équitable respectant l’orthodoxie qui régit la matière. Les prélèvements d’engrais ont concerné le complexe coton, céréale et urée. L’échantillonnage a été réalisé par une équipe d’agents de la direction nationale de l’agriculture (DNA). Sur chaque lot de 100 tonnes d’engrais, un échantillon consistant en 2 sacs, pris au hasard, a été prélevé pour subir les analyses physiques. Dans chaque sac ouvert, un échantillon de 500g d’engrais a été prélevé. Les échantillons prélevés dans les 2 sacs ont été mélangés pour former un composite représentatif des 100 tonnes pour les analyses chimiques.

Le nombre total d’échantillon prélevé a été de 73 pour le complexe coton, 49 pour les complexes céréales, et 41 pour l’urée soit un total de 163 échantillons d’engrais pour toutes les filiales confondues, CMDT et OHVN. C’est après cette opération que les échantillons ont été envoyés au laboratoire Sol – Eau – Plante avec des numéros de code sans aucune mention de noms de fournisseurs ni de marques. Ce qui est intéressant à savoir ici, c’est que les analyses ont été conduites en conformité avec le manuel d’analyses des engrais (CEDEAO 2012) pour la détermination de l’azote (N), du phosphore (P2O5) et du potassium (K2O) audit laboratoire.

Les analyses physiques ont porté sur la détermination du poids des sacs par type d’engrais. Les interprétations des résultats ont obéi aux normes internationales édictées par la CEDEAO/UEMOA pour le contrôle qualité en Afrique de l’Ouest. Il faut savoir que les limites tolérance admises de la teneur des engrais en éléments nutritifs des plantes concernant l’engrais simple, complexe et NPK de mélange, sont connues (nous y reviendrons).

Il ressort des résultats au niveau du complexe coton que 55% du lot d’échantillon sont en dehors de la norme requise. Ce déficit important est dû au manque de phosphore et du potassium. Et un doigt accusateur est pointé sur TOGUNA aidée certainement par certains agents véreux de l’APCAM avec des ramifications inquiétantes au niveau du ministère de l’Agriculture où des cadres sont impliqués dans l’affaire.

Le coton de mauvaise qualité « filé » par TOGUNA a été livré le 14/12/2014 à Kignan, le 04/12/2014 à Koutiala, le 05 à Kimparana, le 06 à Dioïla et à Fana, le 09 à Bamako – OHVN, le 02 à Bougouni, le 03 à Sikasso, etc. la liste est très longue. Ce n’est pas tout car concernant les complexes céréales, 29% du lot sont hors norme. Quant à l’urée, 46% des échantillons accusent un déficit supérieur à la norme requise. Un vrai scandale !

 

TOGUNA chef d’orchestre

 

Sous l’ancien régime, l’Assemblée permanente des chambres d’agriculture (APCAM), sous la conduite de Bakary Togola, travaillait en étroite collaboration avec l’agro-industrie TOGUNA. Chacun sait que les habitudes ont la vie dure. Et souvent, des engrais destinés au Mali prennent le chemin du Burkina Faso ou d’autres destinations où ils sont vendus plus chers au détriment des marchés maliens. Cette spéculation continue de plus belle.

Selon nos informations il y a une complicité au plus haut niveau avec des personnes habituées à ce genre de rouages dans l’appareil administratif. Dans cette affaire, il s’agit de milliards à bouffer. Outre TOGUNA qui se frotte les mains, l’APCAM et certains membres du département de l’Agriculture s’en tirent à bon compte. Il faut arrêter l’hémorragie.

TOGUNA ne peut pas continuer à livrer des produits de mauvaise qualité et que l’Etat lui renouvelle sa confiance sous prétexte que c’est une entreprise malienne. Basta, il y a d’autres sociétés plus sérieuses et plus compétentes en la matière qui attendent. Stop ! Nous ne pouvons pas être un déprédateur pour nous- mêmes car l’agriculture est la sève nourricière du Mali.

C’est pourquoi pour la campagne 2015 – 2016, les services techniques du ministère de l’agriculture à travers la direction nationale sont à pied d’œuvre pour trouver un succédané. Il ne s’agira plus de donner des marchés à tort et à travers au détriment des paysans maliens et de l’intérêt de l’Etat, mais de dissocier les bonnes graines de l’ivraie.

Nos enquêtes ont permis de savoir qu’à l’Institut d’économie rurale, la rigueur sera de mise. Affaire à suivre.

 

Issiaka Sidibé

 

 

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