Pourquoi le Burkina Faso n’est plus en sécurité

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A Ouagadougou (Burkina Faso), le 14 août 2017, au lendemain de l’attentat meurtrier contre le café-restaurant Aziz Istanbul. CRÉDITS : AHMED OUOBA / AFP
A Ouagadougou (Burkina Faso), le 14 août 2017, au lendemain de l’attentat meurtrier contre le café-restaurant Aziz Istanbul. CRÉDITS : AHMED OUOBA / AFP

Hier préservé du terrorisme sous Blaise Compaoré, le pays est aujourd’hui confronté aux djihadistes de la sous-région mais aussi à une insurrection islamiste locale.

Comment empêcher un commando de quelques hommes armés, prêts à mourir pour leur cause, de commettre un carnage parmi des civils délibérément visés ? La question taraude tous les services sécuritaires des pays affectés par le djihadisme, et le Burkina Faso n’échappe plus à cette règle. Dimanche 13 août au soir, un nouvel attentat dans le centre-ville de Ouagadougou, la capitale, qui a fait 18 morts et 22 blessés selon un dernier bilan officiel, est venu rappeler la vulnérabilité du « pays des hommes intègres ».

« Est-ce que l’on peut être prêt face à ce type d’attaque ? Les menaces ont évolué. Aujourd’hui, comme en France ou aux Etats-Unis, n’importe qui peut se mêler à la foule et mitrailler tout le monde », plaide le capitaine Guy-Hervé Yé, porte-parole de la gendarmerie, fier de ses unités spéciales « qui ont réagi dès qu’elles ont été alertées » et ont su « neutraliser les deux terroristes qui s’étaient cachés dans l’immeuble du café Aziz Istanbul », où a été perpétré l’attentat. « Cette fois, les unités étaient plus aguerries et la coordination meilleure », poursuit l’officier.

Mi-janvier 2016, lors de la première attaque terroriste à Ouagadougou, quand trois jeunes hommes envoyés par Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI) avaient lancé un assaut contre le café Capuccino puis l’hôtel Splendid, tuant 30 personnes, les forces de l’ordre burkinabées avaient montré d’immenses failles. Venues appuyer les soldats locaux, des forces spéciales françaises, qui disposent d’un détachement sur place, avaient notamment essuyé des tirs amis. « L’intervention a été extraordinairement cafouilleuse », maugréait quelques heures plus tard un responsable sécuritaire français.

Cancer malien et métastases

Cette fois, même si le périmètre de sécurité autour de l’avenue Kwame-Nkrumah, où s’est produit l’attentat, n’était pas bouclé – chacun pouvait en sortir ou y entrer plus de deux heures après que les premiers tirs ont été entendus –, les forces antiterroristes ont su contenir les assaillants et en venir à bout.

La France et les Etats-Unis ont proposé un appui, mais, selon une source proche du président Roch Marc Christian Kaboré, l’offre a été déclinée car, dit-elle, « nos hommes tenaient la situation malgré la modicité de leurs moyens ». Alors que des formations antiterroristes ont été dispensées par le Groupe d’intervention de la gendarmerie nationale (GIGN), « l’expertise est là, même s’il faut avouer que nous n’avons pas le même matériel ni la même technologie qu’en Europe et aux Etats-Unis », avance encore notre source.

Si aujourd’hui le Burkina Faso est le théâtre d’une insécurité grandissante, il le doit tout d’abord au contexte régional et en premier lieu à son voisin septentrional, le Mali. Le cancer de ce dernier, toujours loin d’être soigné, a produit des métastases de l’autre côté de ses frontières. Outre AQMI, qui a mené des assauts sanglants et des enlèvements de ressortissants occidentaux au Burkina Faso (un minier roumain et un chirurgien australien sont toujours retenus en otages), le pays a aussi dû subir les attaques du groupe d’Adnane Al-Sahraoui, un ancien d’Al-Mourabitoune qui a prêté allégeance à l’Etat islamique en septembre 2016 et a revendiqué aux moins deux opérations meurtrières sur son sol.

Devenu la cible des djihadistes de la région qui lui reprochent de fournir des casques bleus à la mission des Nations unies au Mali, d’offrir l’hospitalité aux forces spéciales françaises ou encore d’être engagé dans le G5 Sahel, le Burkina Faso fait également face à une insurrection islamiste locale.

Depuis décembre 2016, Ansarul Islam, un mouvement fondé par Ibrahim Malam Dicko, un imam peul, mène des raids meurtriers contre l’armée – douze soldats tués le 16 décembre à Nasssoumbou – ou la police, sème la terreur parmi les élites de l’extrême nord du pays et n’hésite pas à abattre ceux qui, dans cette région frontalière du Mali, seraient tentés d’envoyer leurs enfants suivre une scolarité normale.

« Nous avons mené un travail de fourmi »

Pour les Burkinabés, cette insécurité est une nouveauté. Durant les années de règne de Blaise Compaoré (1987-2014), le pays vivait dans une apparente tranquillité, habitué à jouer les médiateurs – pas toujours neutres – dans les conflits internes de ses voisins.

Ainsi au Mali, le Mauritanien Moustapha Ould Limam Chafi, un conseiller de Blaise Compaoré, ou le général Gilbert Diendéré, l’ancien chef d’état-major particulier du président renversé par une révolte populaire, avaient noué des contacts avec certaines figures djihadistes et permis la libération d’otages occidentaux. Avant qu’il ne devienne la figure tutélaire des combattants salafistes maliens et l’une des personnalités les plus recherchées par l’armée française, le Touareg Iyad Ag Ghali était lui-même un habitué des hôtels du nouveau quartier de Ouaga 2000.

« Les gens de Blaise [Compaoré] disent qu’ils avaient des réseaux, mais moi je parlerais plutôt de deals entre eux », persifle une personnalité influente au sein des autorités actuelles. Après l’attaque de janvier 2016, la première d’envergure, certaines personnalités officielles, comme le président de l’Assemblée Salif Diallo, avaient voulu voir la main déstabilisatrice de l’ancien régime derrière l’attentat.

« Toutes ces accusations d’accords avec les djihadistes sont là pour masquer des échecs », s’agace un ancien proche de Blaise Compaoré très au fait des questions djihadistes. « Contrairement aux allégations, nous avons mené un travail de fourmi pour obtenir du renseignement humain. Quand nous nous sommes rendu compte que l’on ne pouvait pas compter sur les Maliens pour protéger notre frontière, nous avons identifié les points de passage entre les deux pays et recruté des informateurs au Mali. C’est notamment grâce à l’un d’eux que nous avons retrouvé les premiers le site où s’était crashé l’avion d’Air Algérie [en juillet 2014]. Nos services de renseignement nous ont aussi permis aussi de déjouer un attentat d’envergure en Côte d’Ivoire et l’enlèvement d’un Israélien à Bamako. »

Puis de conclure, amer : « Aujourd’hui, notre capacité de défense est nulle. L’armée, quand elle est en mission, refuse de dormir en brousse. Et dans la lutte antiterroriste, nos dirigeants ne comptent que sur la France et l’étranger. »

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