Côte d’Ivoire : Ouattara croit à sa belle étoile Le début d’une longue période de rébellion aux contours encore énigmatiques.

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Hier un président malien de la CEDEAO pour gérer le conflit en Côte d’Ivoire, aujourd’hui un président ivoirien de la CEDEAO pour gérer le conflit au Mali. L’histoire bégaie violemment, Ouattara doit l’empêcher de se répéter.                      

Alassane Ouattara

Le 16 septembre, Laurent Gbagbo croit pouvoir partir en Italie pour une visite officielle de trois jours. La Côte d’Ivoire a pour l’heure les yeux braqués sur le pauvre Prosper Sia Popo, un agent de sécurité de la BECEAO considéré comme l’auteur d’un gigantesque casse à Abidjan et qui vient de se faire cueillir au Burkina Faso.
Puis, dans la nuit du 18 au 19 septembre, des tirs d’armes automatiques se font entendre à Abidjan. Certains journalistes ont bien vu des assaillants brandir des fanions portant le sigle MPCI, mais personne ne connaît ce sigle.
Des tirs sont entendus aussi à Bouaké et à Korhogo : on évoque une révolte de militaires qui protestent contre leur éventuel renvoi à la vie civile. On parle de mutinerie menée par les “Zinzins” et les “Bahéfoué”, deux contingents rappelés au service pendant la junte dirigée par Robert Gueï.
Toutefois, des points stratégiques comme le camp de gendarmerie d’Agban à Abidjan ou les domiciles de ministres “poids-lourds” du régime comme Moïse Lida Kouassi (Défense), Emile Boga Doudou (Intérieur, tué chez lui) et du général Mathias Doué (chef d’état-major), ont été attaqués.
Si, dans leurs dépêches, les agences de presse titrent encore « Un coup d’Etat sans visage », il semble que les autorités aient trouvé tout de suite un responsable en la personne du général Gueï. Le matin du 19 septembre, le général est retrouvé mort dans une rue d’Abidjan, retrouvé mort en T-shirt et pantalon de survêtement avec des chaussures de ville. De toute évidence, Gueï, comme son épouse et son aide de camp, le capitaine Fabien Coulibay, ont été tués au saut du lit.
Dès le 20 septembre, le quotidien Notre Voie, organe du FPI, titre en Une : “La folie meurtrière de Gueï et ADO”. Dès les premiers coups de feu, Ouattara s’est réfugié avec son épouse dans la résidence de l’ambassadeur d’Allemagne avant de rejoindre celle de l’ambassadeur de France.
Le président Gbagbo rentre à Abidjan et, très rapidement, les forces qui lui sont restées loyales reprennent le contrôle de la capitale économique, mais deux grandes villes du nord, Bouaké et Korhogo, tombent aux mains des rebelles. La bataille d’Abidjan a déjà fait au moins 300 morts.
Alors que la France envoie des renforts au 43ème BIMA (Bataillon d’infanterie de marine), basé en permanence en Côte d’Ivoire, l’armée loyaliste tentera – en vain – de reprendre Bouaké. En quelques jours, le pays est coupé en deux.
Il faudra attendre plusieurs jours avant que Guillaume Soro Kigbafori, ancien leader du syndicat étudiant la FESCI, ne se déclare comme le Secrétaire général de la structure politique de la rébellion, le Mouvement patriotique de Côte d’Ivoire (MPCI).
Notre objectif, déclare-t-il est d’obtenir « une transition la plus brève possible qui aura pour objectif l’organisation d’élections démocratiques, transparentes et historiques. Il s’agit bien entendu d’élections présidentielles d’abord puis de législatives ». La transition « la plus brève possible » durera près de dix ans.
Sortent de l’ombre des chefs rebelles d’un genre nouveau, que l’on appellera par la suite les « com’zones » : le sergent Chériff Ousmane, les adjudants Tuho Fozié à Bouaké et Messamba Koné à Korhogo, le sergent Zacharia Koné à Séguéla, ou encore Issiaka Ouattara dit Wattao. Tous avaient pris part au coup d’Etat de la Saint-Sylvestre, et certains d’entre eux  avaient été emprisonnés sous le régime de Gueï.
On comprend très vite que cette rébellion n’a pas de motivation catégorielle mais qu’elle est essentiellement politique. Soro est explicite : « Nous reviendrons d’autorité à la Constitution de feu Félix Houphouët Boigny qui a régi la Côte d’Ivoire pendant 40 ans et qui répond à l’assentiment général des Ivoiriens. Pour nous, pas de problème ADO (Alassane Ouattara), c’est un Ivoirien. Notre combat n’a rien à voir avec lui puisqu’il n’a pas suffisamment de courage pour dire que notre combat est juste. Mais ce que nous voulons, c’est instaurer la démocratie. »
Les rebelles bénéficient d’un incroyable soutien de la population du Nord de la Côte d’Ivoire. La cause en est simple : comme Ouattara, des milliers d’Ivoiriens “nordistes” sont privés de papiers d’identité ou de cartes d’électeurs depuis des années.
Passée l’évacuation des ressortissants étrangers par la force militaire française Licorne, s’ouvre à Marcoussis en France, en janvier 2003, une table ronde réunissant tous les protagonistes de la crise, anciens chefs d’Etat comme Bédié ou chef rebelle comme Soro. Mais l’accord dit de Marcoussis ne tiendra pas plus que les suivants.
Pendant plus de cinq ans, la crise ivoirienne « lessivera » un nombre incroyable de négociateurs (Thabo MBeki, Sassou Nguesso, Omar Bongo, Koffi Anan, Olusegun Obasanjo, Pierre Schori pour l’ONU entre autres), verra défiler des Premiers ministres (Seydou Elimane Diarra, Charles Konan Banny) contestés à peine nommés, et la signature d’un nombre non moins conséquent d’accords (Lomé, Petoria, Accra I, Accra II, Accra III …), eux-mêmes suivis ou précédés par une multitude de résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU et le déploiement en 2004 de l’Opération des Nations unies en Côte d’Ivoire (ONUCI).

La fin provisoire de la rébellion

Il faudra attendre le 4 mars 2007, après un mois de négociations conduites à Ouagadougou, sous l’égide du président du Burkina Faso, Blaise Compaore, pour que Laurent Gbagbo et les ex-rebelles rebaptisés “Forces Nouvelles” de Guillaume Soro, signent un énième accord, dit “accord de Ouagadougou”, au terme duquel Soro fut nommé Premier ministre le 29 mars.

Ouattara croit à sa belle étoile, Gbagbo le sous-estime. Bédié doit arbitrer

Fin 2010, l’élection présidentielle, qui initialement devait avoir lieu en octobre 2005, a finalement lieu. Au premier tour, le 31 octobre, les trois poids lourds de la politique ivoirienne s’affrontent à la régulière : Laurent Gbagbo (65 ans), Henri Konan Bédié (76 ans) et Alassane Ouattara (68 ans) avec d’autres petits candidats de moindre envergure. Si Laurent Gbagbo se dit certain de remporter le scrutin, Ouattara et Bédié, en tant qu’adhérents au RHDP des houphouétistes se sont engagés à soutenir celui des deux qui ira au second tour.
Guillaume Soro, trop jeune pour entrer dans la bataille électorale, endosse le rôle d’arbitre : « Le comptage sera transparent. Il faut que les acteurs politiques et les candidats s’engagent à respecter les seuls résultats qui seront proclamés par la Commission électorale indépendante », déclara-t-il le jour du vote. Quant au représentant de l’ONU en Côte d’Ivoire, Youn-jin Choi, il s’est engagé à « prendre toutes les mesures nécessaires pour sauvegarder le verdict des urnes ».
Le premier tour se passe dans le calme. Verdict : Gbagbo et Ouattara au second tour. Et sans surprise, sauf peut-être pour Laurent Gbagbo, Henri Konan Bédié appelle sans réserve à voter pour Ouattara.

Le second tour a lieu le 28 novembre, mais cette fois dans une tension certaine, la campagne électorale ayant été émaillée de violences et de propos haineux, même si elle s’est achevée par un débat télévisé entre les deux rivaux.
Dès le jour du vote, les tensions se font crescendo – des morts à Daloa – et dès le lendemain du scrutin, plus aucun doute n’est permis quant à une issue tragique : les soldats loyalistes qui s’étaient déployés dans le nord pour sécuriser l’élection redescendent au sud, tandis que les 1.500 hommes des Forces nouvelles faisaient le chemin inverse.
Suit alors un incroyable scénario au cours duquel la Commission électorale est empêchée physiquement par les partisans de Gbagbo d’annoncer les résultats. Le pays est sous couvre-feu. Les pressions internationales (le secrétaire général de l’ONU Ban Ki-moon, les présidents français et américains entre autres) se multiplient pour que les résultats soient proclamés.
Après les premières violences (attaque du siège du RDR à Abidjan par l’armée pro-Gbagbo faisant 8 morts), le 2 décembre, la Commission électorale indépendante annonce la victoire quasi certaine de Ouattara “avec 54,10% des suffrages”, des résultats aussitôt contestés par le président du Conseil constitutionnel, Paul Yao N’dré, sur la télévision publique. Dans le même temps, le camp Gbagbo réclame l’annulation des votes  qu’il juge “frauduleux” dans des régions du nord dont celle de Bouaké. Tout est prêt pour l’explosion.
Ouattara exhorte à la « paix » et promet « un gouvernement d’union » rassemblant les « différentes forces politiques ». Le Conseil de sécurité de l’ONU menace de « prendre les mesures appropriées » contre les fauteurs de troubles.

Ouattara proclamé Président, Gbagbo conteste et se croit suffisamment fort. C’est le début de la guerre civile

L’Union africaine, l’Union européenne, la France, et l’ONU appellent tour à tour les deux candidats à respecter le verdict des urnes, et, coup dur pour Gbagbo, l’ONU “certifie” les résultats donnant Ouattara vainqueur.
Qu’à cela ne tienne : le samedi 4 décembre, Gbagbo se fait investir “président” devant une poignée de fidèles en compagnie de son épouse, défiant l’ONU et les capitales occidentales qui ont maintenant reconnu officiellement Alassane Ouattara comme le président élu.
« Devant le peuple souverain de Côte d’Ivoire, je jure solennellement et sur l’honneur de respecter et de défendre fidèlement la Constitution », lance Gbagbo lors de sa prestation de serment.
La suite sera meurtrière : une Côte d’Ivoire avec deux présidents, l’un retranché dans son bunker présidentiel, l’autre retranché dans un hôtel d’Abidjan avec son Premier ministre Guillaume Soro et protégé par l’ONU et les militaires des Forces nouvelles qui ont repris du service.
Ce sera offensives et contre offensives, tueries de civils par d’autres civils, tueries de civils par des militaires des deux camps, de nouvelles tentatives de médiation internationale, le retour sur scène d’un trouble fête en la personne d’Ibrahim Coulibaly, ancien fondateur du MPCI mais banni depuis de longues années et qui tentera de faire le coup de force à Abidjan sans que l’on sache trop contre qui, jusqu’à l’assaut final donné conjointement par l’armée française, l’ONU et les Forces nouvelles contre la présidence où était retranché Laurent Gbagbo et sa poignée de fidèles après que les principales villes du pays furent tombées sous le contrôle des partisans de Ouattara.
Laurent Gbagbo a été arrêté le lundi 11 avril 2011 par les hommes du commandant Wattao et fut rapidement transféré en résidence surveillée à Korhogo, dans le nord, de même que son épouse fut envoyée à Odiénné. La plupart des officiers de son régime firent allégeance au président Ouattara qui reconduisit Guillaume Soro comme Premier ministre, le chargeant d’organiser des élections législatives.
L’ancien président fut ensuite transféré à la Coup pénale internationale (CPI) de la Haye pour y être jugé pour en tant que « coauteur indirect, pour quatre chefs de crimes contre l’humanité à raison de meurtres, de viols et d’autres violences sexuelles, d’actes de persécution et d’autres actes inhumains », selon l’acte d’accusation de la CPI.

Ouattara prête serment, la Côte d’Ivoire profondément et durablement divisée

Après cinq mois de crise, Alassane Ouattara prêta serment le 6 mai 2011 à Yamoussoukro et devint officiellement le quatrième président de la République de Côte d’Ivoire.

Rassemblé par ABD

Source : afrique-express.com (René-Jacques Lique)

Le chapeau et les titres sont de la rédaction de l’Enquêteur

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