Lamissa Traoré, directeur du groupe dramatique national de la culture : «La culture malienne est à l’agonie»

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C’est en pleine mise en scène d’un opéra-ballet sous les paillottes du palais de la culture de Bamako, que nous avons rencontré ce grand homme de culture de notre pays ; ce grand comédien qui a incarné le roi Biton, principale figure du royaume bambara de Ségou, dans le film de Boubacar Sidibé. Lamissa Traoré est professeur d’art dramatique et directeur du groupe dramatique national de la culture.

À quel moment avez-vous décidé de vous consacrer pleinement au théâtre ?

Lamissa Traoré : Depuis 1989, j’ai commencé à m’intéresser au théâtre et du coup j’ai intégré l’Institut national des Arts pour pouvoir faire des études dans ce sens.

Que dites-vous à ceux qui pensent que la comédie est la profession de ceux qui ont échoué à l’école ?

Malheureusement ceux qui ont échoué à l’école ne peuvent pas réussir à la comédie aussi. Ceux qui le disent ne savent pas ce qu’est la comédie. Sinon, ce n’est pas parce que j’ai échoué quelque part que je peux faire du théâtre. Je fais du théâtre parce que je pense que c’est un art libéral, un  art qui me permet de m’exprimer, de montrer aux yeux du monde que le Mali a quelque chose que le monde entier peut voir.

Quel rôle vous a le plus marqué de tous les rôles que vous avez eu à jouer ?

C’était dans une pièce «Alevregace lance dargace», qui s’instituait «à Dieu mon roi». Nous étions deux acteurs, une actrice et un vieil acteur en 1990. Je jouais le rôle du roi dans cette pièce. Cela m’a beaucoup marqué parce que c’était le premier rôle qui m’a amené à jouer au Centre culturel français, actuel Institut français. À l’époque, il n’était pas donné à quiconque, à n’importe qui d’aller jouer dans ce centre. Mais ce qui m’a donné plus d’audience, c’était au cinéma quand je me suis essayé dans les rois de Ségou de Boubacar Sidibé de l’ORTM, où j’ai tenu le rôle du roi Biton. Les gens l’ont beaucoup aimé.

Quel acteur théâtral vous inspire le plus ?

(Après un moment de réflexion) Cela ne peut être que moi-même.

Quelles sont vos impressions sur la culture au Mali ?

La culture malienne est très riche. Malheureusement, cette culture est à l’agonie. Si on ne fait pas face à cette culture, les Maliens risqueront de le regretter un jour. Quel que soit le domaine d’expression, on voit qu’il y a une sorte de disparition de certains éléments fondamentaux ou essentiels de la culture. Si nous prenons la musique, dans les années 70, dans tous les cercles du Mali, il y avait un orchestre. Mais, aujourd’hui, on ne trouve pas d’orchestre dans les capitales régionales du Mali. C’est pour dire qu’on a laissé la culture de côté, on a tendance à l’oublier. Que chacun se croit homme de culture, cela est faux. Tout le monde ne peut pas y être ! Il y a des gens qui ont consacré toute leur vie à ces cultures. C’est eux qu’on peut appeler hommes de culture. Quand la culture devient un domaine maîtrisé par tout le monde, elle ne peut pas évoluer comme  on l’attend. Le «kotèba» traditionnel au Mali qui fait que notre pays se retrouve parmi les grandes nations de théâtre, ce kotèba aujourd’hui, en tout cas dans les zones traditionnelles, par exemple dans le Bélédougou, dans le Djitoumou, à Markala, on ne le trouve pas, ce kotèba qui faisait amuser les gens. La majeure partie des gens qui la pratiquaient ont plus de cinquante ans. Elle n’intéresse plus la jeunesse qui a les yeux sur d’autres cultures qui ne valent même pas la nôtre. Et pire, la seule émission crédible télé qui s’intéresse à la musique malienne, aux folklores, aux pas de notre pays, est l’émission Terroir.

Quels conseils avez-vous à donner à vos jeunes frères qui embrassent le métier ?

Je leur dirais que quel que soit le domaine d’intervention, ils doivent savoir qu’ils ne sont pas tout de suite aimés par des gens. Ils doivent s’imposer par leur travail. Ils doivent, par leur talent, leur travail, prouver qu’ils ont quelque chose à montrer. Ce n’est pas facile et il ne faut pas tout de suite s’intéresser à l’argent. Il faut dans un premier temps se mettre au travail, et quand on sait faire son travail et avec un peu de chance, on peut avoir de l’argent.

Avez-vous un message pour nos lecteurs ?

Je sais qu’ils sont nombreux, mais je leur dirais de continuer à soutenir la culture, l’art. Car la seule chose qui reste à l’homme quand on lui a tout arraché, c’est sa culture. Et si on ne s’intéresse pas à cette culture, nous sommes appelés à disparaître un jour. Il ne faut jamais aimer la culture de l’autre plus que sa propre culture. Aujourd’hui le Malien doit est fier parce que nos anciens ont beaucoup fait dans le domaine de la culture. Ils se sont imposés sur le plan culturel. Donc, il faut que chacun se cherche une identité d’abord et arrêtons de regarder les fausses images de l’extérieur. Et cette identité, on ne peut l’acquérir que par la culture, sa culture !

Arouna Sissoko, stagiaire

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2 COMMENTAIRES

  1. Merci Lamissa, merci Arouna.
    Il faut que notre culture s’arabise d’avantage, a un rythme tres inquietant.

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