Oumou Sangaré : La Gazelle Peulh

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Oumou SangaréLe nouveau style musical wassoulou, qui a pris son essor au cours de la dernière décennie, a été essentiellement illustré par des chanteuses comme Coumba Sidibe, Nahawa Doumbia, Djeneba Diakité ou Kagbé Sidibé, récemment disparue et dont on regrettera le si beau timbre. Le balancement très souple de ce genre musical, ses orchestrations soigneusement tissées puisent dans la tradition des chasseurs. L’osongoni, grande harpe qui accompagne les musiques de chasse, a sa version plus petite, le kamelengoni à six cordes traditionnellement joué par les jeunes garçons. C’est aujourd’hui l’instrument spécifique des orchestres modernes du Wassoulou. Sur le tapis de ses pizzicati se développent les modulations d’une mélodies, tantôt ample, tantôt serrée, et des refrains aux chœurs flûtés. On dit de cet instrument qu’il est semblable à une puce, parce que quiconque l’entend dans son sommeil ne peut résister à son appel et se lève pour aller danser.
Née à Bamako en 1968, d’une famille originaire de la région de Yanfolila, Oumou Sangaré a baigné dès l’enfance au cœur de toutes ces traditions musicales. “Avant de se marier avec mon père, ma mère Aminata Diakité était une chanteuse apprécié des mariages et baptêmes dans le Wassoulou. Sa propre mère, Nountele Diakité était une véritable star. Quant à moi, j’ai commencé à chanter dès la maternelle. On me faisait monter sur la table, tellement j’étais petite.” À cinq ans, elle se présente pour la première fois devant le public du Stade Omnisports de la capitale. Impressionnée, au bord des larmes, elle ose à peine ouvrir la bouche. Quand sa mère lui chuchote à l’oreille : “Imagine que tu es à la maison, dans la cuisine…”.

Adolescente, elle intègre le célèbre Ensemble National du Mali, où Bamba Dembélé, directeur du Super Djata Band, la remarque. “En 1986, il m’a invitée à venir chanter avec son ensemble instrumental, Djoliba Percussions, et nous sommes partis en tournée en Guadeloupe, Martinique et en Europe. Nous étions trois chanteuses, deux griottes et moi qui représentait le Wassoulou. Je chantais sur le djembé et sur le balafon, mais jamais les morceaux des griots accompagnés par la kora. Le répertoire des griots est très différent de celui du Wassoulou, les gammes ne sont pas les mêmes.” De retour au pays, elle a la volonté de former son groupe. “J’ai alors eu pour maître Amadou Ba Guindo, malheureusement décédé depuis. Il m’a enseigné énormément de choses. Il m’a fait travailler essentiellement le répertoire traditionnel du Wassoulou. Il m’a fait répéter trois ans durant, avant de faire quoique ce soit.” C’est ainsi qu’elle se forge une science musicale très sûre. Alliée à sa plastique idéale, elle va bientôt séduire un public très large.
Sa première cassette, Moussolou, parue au Mali en 1990, est accueillie par un triomphe immédiat. Oumou Sangaré suscite l’intérêt des jeunes gens de son pays en introduisant parmi les percussions qui l’accompagnent cette grande moitié de calebasse agrémentée de cauris que jouent les femmes lors des fêtes de mariage dans la région de Sikasso en pays Wassoulou. Elle fait preuve du meilleur goût en donnant une place de choix au petit violon traditionnel qui chante à l’unisson les notes égrainées par le kamelengoni. La plupart des chanteuses qui ont ouvert la voie à ce nouveau style musical ont cédé au vent de la modernité en laissant le synthétiseur s’immiscer dans leurs orchestrations. Oumou Sangaré préfère ne pas dénaturer les riches sonorités des instruments traditionnels. La basse et la guitare électriques se mélangent à faible volume dans un ensemble tonique, qui ne souffre ni d’un effet rétro, ni du lustre clinquant d’une prétendue modernité.
Les paroles de celle qu’on a surnommé à ses débuts la Gazelle peule , en phase parfaite avec les questions qui préoccupent les jeunes générations d’Afrique de l’Ouest, ont touché juste. “J’ai compris les erreurs de nos aînés qui, pour certains, épousent jusqu’à quatre femmes. Nous, les jeunes, nous refusons de continuer à faire ces mêmes erreurs. C’est pourquoi je chante beaucoup le thème de la polygamie : un homme ne pourrait-il pas aimer une seule femme et faire sa vie avec elle ? Je crois que c’est ce que beaucoup de jeunes Maliens ont compris en écoutant mes chansons. Moi-même, j’ai été élevée dans une famille polygame. Mon père a épousé trois femmes, mais n’en avait plus que deux lorsque je suis née. Ainsi, j’ai vu la souffrance de ma mère et je suis bien placée pour parler de ce problème.”

 

Sur scène, dans ses robes chatoyantes, Oumou Sangaré évolue telle une princesse, chaloupe sur un pas de danse, illumine de sourire et pétille de l’ il. Lassé de la musique des griots tournée vers le passé, le jeune public africain veut qu’on lui parle de son présent et de son avenir. C’est justement ce qu’apporte la musique du Wassoulou avec son registre de proverbes et de morales, sa critique sociale et son exhortation au travail. Et aux publics qui ne comprennent pas ses messages, Oumou Sangaré offre généreusement l’exquise douceur, la joie de son art musical accompli.

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