Cablegates ou les murmures de l’oncle Sam de Amadou Wane : Le kidnapping qui secoua le Nord-est malien en 2010

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Le vendredi 22 janvier 2010, avant l’aube, des contrebandiers arabes de Telemsi et des Imghads enlevèrent, Baba Ould Sidi Elmoctar, chef traditionnel octogénaire et diabétique du clan Kounta. La presse malienne qualifia l’incident comme un règlement de compte entre trafiquants de drogue. Selon des informations, un convoi de drogue fut piégé dans une embuscade dans la région de Kidal durant la semaine du 10 au 16 janvier. Les contrebandiers auraient été des arabes de Telemsi et des Imghads.

Le groupe qui embusqua la caravane aurait été dirigé par le fils de Ould Sidi Elmoctar et composé de combattants arabes Kounta et Ifoghas. La caravane avait cinq armes automatiques démontables sur camion et de la cocaïne. Les estimations de la taille de la cargaison variaient entre plusieurs kilogrammes à plusieurs tonnes de cocaïne.

Les communautés maliennes du Nord-Est ont généralement considéré l’enlèvement d’Ould Sidi Elmoctar comme irrespectueux et dangereux pour le calme relatif ressenti dans cette région du Mali. Une source à Kidal commenta que c’est la première fois depuis près d’une vingtaine d’années qu’un chef tribal aussi important avait été kidnappé. Le dernier incident s’est produit en 1993, lorsque le colonel El Hadji ag Gamou de l’armée malienne avait enlevé Attaher Ag Intallah, le chef du clan Ifoghas de Kidal. Pour certains, les deux événements ne peuvent pas être comparés parce que le contexte était totalement différent. Attaher Ag Intallah fut enlevé pendant une période de guerre ouverte, alors que l’enlèvement d’Ould Sidi Elmoctar fut un affront plus sérieux durant une période de paix.

Le lundi 25 janvier 2010, le gouvernement envoya une délégation composée du ministre de la Culture Mohamed Elmoctar et d’autres officiers militaires pour négocier la libération de Ould Sidi Elmoctar. Tous les membres de la délégation étaient des arabes du Telemsi à l’exception du Colonel Guichma, un songhaï. Un ancien directeur de la DGSE, l’agence de renseignement malien, déclara à un officier américain que la délégation a été envoyé sans délai parce que les risques d’un conflit plus large étaient élevés. Le 27 janvier, les ravisseurs relâchèrent Sidi Elmoctar à Gao, après deux jours de négociations et de fortes pressions sociales.

Bien que tout le monde pensait que l’enlèvement n’était qu’un acte de banditisme constitué d’une embuscade et d’un vol de produits de contrebande, les sources américaines pensaient que l’événement était d’une grande importance et révélateur d’une tendance vers un plus grand conflit intertribal dans le Nord-Est du Mali.

Cette partie du pays se divisait rapidement en deux camps politiques : d’un côté les communautés arabes de Telemsi et les Imghad de la région de Gao, de l’autre côté les communautés arabes Kounta et Ifoghas de la région de Kidal. Ces deux camps formalisèrent leur existence politique avec la création du “Réseau de Plaidoyer”  dirigé par les Kounta-Ifoghas et les “Forces du Changement” dirigé par l’alliance Telemsi-Imghad. Les Ifoghas et les Kountas ont été les leaders traditionnels des touaregs et des communautés arabes du Mali depuis un siècle et demi. Les Telemsis et Imghads ont été sous leur tutelle.

Une partie des récentes frictions résulte de l’arrivée d’une forme de démocratie ces dernières années. Les Telemsis, entre autres groupes, sont traditionnellement des trafiquants-commerçants. Ils sont accusés d’utiliser leurs richesses pour acheter les élections (en particulier dans les élections communales d’avril 2009) et d’utiliser les moyens de l’État pour usurper l’autorité traditionnelle. Les conflits entre les communautés de Telemsi et Kounta ne sont pas nouveaux. Au début des années 2000, ils étaient engagés dans une longue période d’hostilité.

Les rébellions successives et l’arrivée des terroristes dans le septentrion malien ont progressivement changé l’ordre social créant ainsi une instabilité dans toute la zone. Le danger d’un conflit plus large se profile à l’horizon en dépit de la présence d’une armada internationale.

Amadou O. Wane

Collaborateur externe,

Floride, Etats-Unis

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