Mali : les journalistes face à la crise

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Abdramane Keita, directeur de la publication du journal L’Aurore

Depuis le coup d’Etat du 22 mars 2012, la prise du pouvoir par une junte militaire, les hésitations des autorités de transition qui lui ont succédé, la rébellion d’indépendantistes touaregs et, bien sûr, l’occupation actuelle du nord du pays par des groupes islamistes armés, les journalistes maliens ont du travail… mais il n’est pas toujours facile pour eux de le faire. Au cours des derniers mois, les atteintes aux libertés de la presse se sont multipliées : pressions politiques, sanctions financières et surtout menaces et agressions. Rencontre avec des journalistes et des responsables de publication à Bamako.

Pour l’Atelier des médias, les directeurs de publication de trois des principaux titres maliens témoignent au micro de David Baché : Abramane Keita, Birama Fall, Alexis Kalambry. Ils dénoncent les intimidations, les menaces, les pressions que certains cercles du pouvoir exercent sur leurs équipes et sur eux-mêmes.

Abdramane Keita, directeur de la publication du journal l’Aurore, raconte comment il a été enlevé, battu et dévalisé par des hommes habillés en tenue militaire. Son journal a toujours pris position contre la junte à l’origine du Coup d’Etat.
«Le 2 juillet dernier, j’ai reçu un appel. La personne m’a dit qu’elle avait des informations pour moi, sur le Nord. Elle m’a donné rendez-vous, mais en fait je suis tombé dans un piège. Un pick-up s’est arrêté à côté de nous, des hommes cagoulés sont sortis et m’ont embarqué de force. Nous avons traversé toute la ville, ils m’ont emmené dans les hauts-bois. C’est là que j’ai subi un véritable supplice : ils m’ont donné des coups de matraques et m’ont délesté d’une somme importante. Ils m’ont uniquement reproché de perturber le pays.»

Birama Fall, directeur de la publication du Prétoire.

Birama Fall, directeur de la publication du Prétoire, a été retenu une journée entière et menacé par les services de renseignements alors qu’il enquêtait sur les disparitions de militaires proches du président déchu.
«Ils ont commencé par exercer une pression morale. Ils disaient tout haut ‘déchambrez telle cellule, on a un nouveau client, il va passer la nuit ici !’… Cela a duré de onze heures à dix-huit heures. Ensuite ils sont venus, et m’ont dit que je détiendrais des informations capitales pour la sécurité du pays. Qu’ils savaient de source sûre que j’avais des informations sur l’existence d’un charnier. J’ai compris à ce moment là que j’étais victime d’écoutes téléphoniques. Je leur ai répondu que j’avais effectivement des informations. Ils m’ont dit que je ne devais pas publier mon article.»

Alexis Kalambry, directeur de la publication des Echos (Mali).

Alexis Kalambry, directeur de la publication des Echos, raconte les pressions au quotidien, les menaces téléphoniques, les difficultés posées par les responsables politiques…

 

«Depuis le coup d’Etat, je touche du bois, je n’ai pas été agressé physiquement. Mais beaucoup d’allusions, de menaces téléphoniques du type : ‘Faites attention à ce que vous écrivez, qu’est-ce que vous avez voulu dire par-là ?, on sait où vous logez…’  Tout ça, c’est courant. On me reprochait d’écrire, selon, eux contre le premier ministre et le gouvernement.»

Au-delà des atteintes aux droits des journalistes, les trois directeurs de publication abordent le sujet sensible du traitement de l’actualité au Nord, et en particulier la manière dont ils parlent dans leurs pages du MNLA. Le groupe indépendantiste touareg, qui a pris le contrôle du Nord Mali avant de s’en faire chasser par les groupes islamistes, est boycotté par la presse de Bamako. Les trois journalistes interrogés invoquent la position de «journaliste patriote», défenseur de l’intérêt national dans un contexte où l’intégrité territoriale du pays est menacée. Privilégiant le patriotisme aux principes journalistiques, ils expliquent le déséquilibre parfaitement assumé de leur traitement.

Alexis Kalambry : «On ne peut pas se détacher ! Aujourd’hui, la presse est militante sur la question du Nord. S’il y a des attaques à Kidal et que l’armée me dit qu’ils ont fait dix morts et dix prisonniers, je ne vais pas appeler le MNLA pour entendre que c’est faux. Je dirai que l’armée a gagné, et je dirai tout le mal possible du MNLA. Il n’y a pas à épiloguer, ni à vouloir épiloguer : le Mali est attaqué, ce n’est pas une simple question de journalisme, c’est une question de patriotisme.»

 

RFI / 21/09/2012

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