L’œil du reporter

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Est-ce à dire que l’humain n’a pas la même valeur selon qu’il vit au Nord ou au Sud ?

En quelques heures, la semaine dernière, de nouvelles expressions sont apparues sur les lèvres des officiels, dans les médias et les Somatras,  comme dans les grins et  les cours.  Ligne de démarcation, ligne de partition, ligne de front. Cela m’a fait bondir !

Une ligne de démarcation, une ligne de partition au Mali ?

Parler d’une ligne de démarcation au Mali c’était comme céder définitivement le septentrion aux forces djihadistes. Bien sûr, les régions du Nord sont occupées, bien sûr l’Etat a fui, et les régions sont gérées par des gens qui imposent une loi qui n’est pas la loi malienne, bien sûr cela a un impact effroyable sur les populations restées sur place, mais de là à parler d’une ligne de démarcation, d’une ligne de partition, c’est comme reconnaître l’existence d’un Nord-Mali et d’un Sud-Mali. Non, les mots sont trop importants, il ne faut rien entériner, car le Mali est un et indivisible. Parler d’une ligne de front au Mali ?

La semaine dernière encore, cela n’avait aucun sens à mes yeux car il y a ligne de front quand il y a guerre en mouvement. Une ligne de front bouge au fil de l’avancée et du recul des forces qui s’affrontent.  Au Mali, jusqu’à la semaine dernière, rien ne bougeait, ou du moins, ne semblait bouger. Le septentrion était occupé depuis juin et la grande muette ne bougeait pas. Mais, en début de semaine, la nouvelle,  redoutée depuis longtemps, est tombée. Les groupes d’occupation du septentrion visaient le centre du pays, la capitale. Il m’a fallu consulter une carte pour localiser Konna. Je me suis rendu compte que l’œil du cyclone était au cœur du Mali, tout près de Sévaré, de Mopti, tout près du pays Dogon, région dont la falaise de Bandiagara  attirait, il y a peu encore, tant de touristes, région et peuple Dogon grâce auxquels j’ai découvert la magie du Mali. Des images de soldats, de véhicules militaires, d’avions, d’hélicoptères ont surgi sur les réseaux sociaux. Et certains «amis» facebookiens donnaient même le nom et la quantité de tout cet équipement militaire. Comment ces informations qui auraient dû être gardées secrètes filtraient-elles ? Pourtant, loin comme je suis, je voulais savoir. Je lisais, vérifiais, croisais les infos pour comprendre. Et puis les images d’armes lourdes, d’hélicoptères, d’avions de chasse, d’impacts de tirs qui soulèvent la poussière le long des routes sont venues bousculer les images de calme qui caractérisent «mon Mali».  Quand je regarde, à l’heure où j’écris, les journaux télévisés sur mon écran, je n’arrive pas à y croire. Le sujet principal de la ligne éditoriale est «l’intervention française au Mali». Le  décompte de ce qu’on appelle pudiquement les «dommages collatéraux»  me rappelle trop les interventions militaires au nom de la démocratie que les populations meurtries subissent partout depuis toujours. Malgré ça, les voyageurs interviewés à leur descente d’avion de Bamako continuent de raconter que la capitale est calme, que rien n’y paraît, qu’il n’y a pas de problème ! Faut-il comprendre que le Centre et le Nord sont tellement loin qu’on ne sent rien à Bamako que la rumeur de l’inquiétude des voix dans les grins et dans les cours ?  Serait-ce à dire que loin des yeux signifie réellement loin du cœur. Tout le monde sait, depuis un an, que les populations du nord vivent sous le joug de ces groupes obscurantistes, mais, la vie a continué dans les autres régions comme si de rien n’était, ou presque puisqu’il a bien fallu se serrer un peu pour accueillir ceux qui avaient préféré partir tout de suite. Moi-même, en contact quasi quotidien avec mes amis restés au nord,  je dois reconnaître que,  finalement, l’occupation racontée par téléphone ne ressemble en rien à la réalité vécue. Décidément, l’imagination est bien pauvre ! Je ne peux que constater l’incroyable grand écart entre la peur que provoquent les groupes de bandits qui veulent enseigner la religion à des gens profondément croyants et respectueux de leur dogme depuis des générations, et le soulagement de voir les uniformes arriver malgré la peur des bombes et de la mort qui se cache derrière. En tant que Française, j’ai souvent été froissée qu’on me dise «vous la France». Je rectifiais toujours, en expliquant que je n’étais pas la France, et surtout pas le gouvernement précédent. J’ai souvent eu à expliquer ce que le Mali était pour moi et qui j’étais pour mes amis maliens.  Mais, je comprenais. Notre Histoire commune n’est pas simple. Combien de fois ai-je entendu les plus anciens dire «mon grand-père, mon père sont partis libérer ton pays, la France»  ou «je suis allé à l’école des blancs». Et, voilà, que,  du jour au lendemain, sur les réseaux sociaux, les bleu, blanc, rouge  de la France ont commencé à être fièrement brandis à côté du vert, jaune, rouge du Mali. La France est devenue le sauveur du Mali.

Je ne peux malgré tout pas taire une chose.

Depuis le 17 janvier 2012, le Septentrion est soumis à une violence inouïe, presque personne n’a bougé, ni à l’intérieur ni à l’extérieur. Toute proposition très locale proposée pour tenter de repousser puis éradiquer la présence djihadiste est restée sans écho. Il a fallu que cette menace vise le sud pour que, du jour au lendemain, le chronogramme international soit méprisé et que, sans consulter les élus de la nation, François Hollande décide de lancer l’opération Serval. Est-ce à dire que les populations vivant ailleurs que dans le septentrion et les 6000 expatriés français résidant au Sud méritent plus d’être protégés que celles et ceux du Septentrion ?  Est-ce à dire que l’humain n’a pas la même valeur selon qu’il vit au Nord ou au Sud ?

Françoise WASSERVOGEL 

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2 COMMENTAIRES

  1. Après le Mopti (Centre)ce serait la capitale. Et si la capitale tombait c’etait fini la republique laique du Mali. La communauté internale est intervenu en urgence pour sauver l’existence meme du Mali. Et actuellement les populations du Nord (occupé) ont repris espoir. Sinon Bamako occupé=fin du Mali laic.

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