Côte d’Ivoire : Les dessous d’une crise

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La confiscation du pouvoir par le président sortant Laurent Gbagbo par l’usurpation de la victoire électorale de l’opposant Alassane Dramane Ouattara a été unanimement condamnée dans le monde entier. Mais, au-delà de ce coup de force, l’observateur étranger est incapable de comprendre les enjeux du pouvoir en Côte d’Ivoire, un pays multiethnique, un Etat sans nation ou une nation à  plusieurs Etats où les affrontements fratricides restent toujours à l’état latent depuis la mort de Félix Houphouët Boigny.

 

Ce qui se passe, aujourd’hui, chez le voisin ivoirien, est incompréhensible pour  beaucoup de gens ; et même pour bon nombre d’observateurs avertis de la vie politique africaine. Qui sont souvent aveuglés par leur penchant à juger, trop souvent, les réalités africaines sous la visière occidentale ou  à se laisser submerger par le sensationnel. Pareille démarche a pour conséquence de nous éloigner de « la vérité » en la cherchant là où elle ne se trouve pas. Comme un médecin qui veut guérir un patient sans connaître de quels maux il souffre.

 

En bref, c’est dire que les analyses qui ont été, jusqu’à présent, menées sur la situation en Eburnie, pêchent par leur côté plus sensationnaliste que par leur capacité à nous édifier sur les enjeux réels de cette crise complexe. Une crise, à n’en pas douter, qui a ses racines dans l’histoire, la géographie, l’économie, la sociologie et bien évidemment dans la politique qui a été menée dans ce pays de l’indépendance à nos jours. Ce sont ces déterminants socio-historiques qui nous permettent de comprendre les conduites, les prises de positions des principaux acteurs de la crise.

 

Un des premiers éléments d’analyse réside dans le fait ethnique. En effet, la Côte d’Ivoire, à l’instar de la plupart des Etats africains, est un pays multiethnique. Cinq grands groupes ethniques, comprenant environ une soixantaine d’ethnies, peuvent être identifiés par leur localisation géographique. C’est ainsi qu’au nord, on retrouve le groupe voltaïque (Gur) composé de Sénoufos (13 %) de la population, au nord-ouest, c’est le groupe mandé ou malinké (17,2 %) de la population. A l’ouest, se trouve le groupe mandé du Sud (8,4 %). Le sud-ouest et le centre-ouest, sont les bastions des Krous (9,4 %). Enfin, au centre et à l’est, c’est la région du groupe Akan (41,1 %). A ces nationaux d’origine, s’ajoutent les immigrés venant des pays frontaliers, de l’Europe et du Moyen-orient qui représentent plus du quart de la population.

Cette configuration ethno-géographique entre en ligne de compte dans la mesure où  les partis politiques sont construits sur cette configuration pour la conquête du pouvoir. A titre d’illustration, le RDR d’Alassane Dramane Ouattara agrège les communautés du groupe mandé (dioula). Tandis que le FPI de Laurent Gbagbo représente les Krous. Quant au PDCI de Henri Konan Bédié, il réunit les Akans. Notons, cependant, que cette vision globale des partis n’empêche qu’on retrouve dans ces formations politiques des éléments d’autres groupes. Une façon, sans doute, de se conformer au cadre juridique des partis politiques qui interdit la création d’un parti sur la seule base ethnique. Mais la réalité, comme on le voit avec la crise, reste la prééminence du fait ethnique.

 

C’est ce fait ethnique qui est à la base de l’éclatement de la crise, en 2002, quand, se sentant marginalisés dans la société ivoirienne, des éléments du Nord ont pris les armes. Le concept « d’ivoirité », (forgé par Henri Konan Bédié, le dauphin qu’Houphouët, baoulé comme lui, avait préparé pour sa succession) témoigne bien de cette marginalisation et de sa politisation pour éliminer le candidat du Nord (ADO), qui était Premier ministre au moment de la mort d’Houphouët. Du coup, cette partie de la population considérée comme « des étrangers » s’est reconnue dans le sort d’ADO. Toute chose qui a complètement changé la configuration politique de la lutte mettant, désormais, face à face « les étrangers » (comprenant les Ivoiriens du Nord, les ressortissants d’autres pays) et « les autochtones ».

Sentant donc qu’il ne pourra compter sur cette frange de la population autochtone, qui est pourtant constitutive de la majorité, ADO s’est appuyé sur des éléments venant des pays voisins notamment le Burkina et surtout a cherché le soutien de la communauté internationale. Soutien qui lui garantirait la transparence des élections et même pour faire pression sur ses adversaires. Pour sa part, Laurent Gbagbo, utilise à outrance ce discours nationaliste en se positionnant comme le véritable défenseur de la Côte d’Ivoire contre ceux qu’il qualifie « d’étrangers ». Candidat de l’étranger, c’est ainsi qu’il nommait ADO tout au long de la campagne. De même que ses slogans de campagne trahissaient cette attitude « 100% Ivoirien, 100 % pour la Côte d’Ivoire, ne donnez pas la Côte d’Ivoire aux étrangers, ADO le parrain de la rébellion », en sont quelques uns.

 

Le fait ethnique, même s’il est important, n’est pas le seul élément explicatif de la crise. C’est ainsi qu’existe un second élément determinant: la culture politique ivoirienne. En effet, ce pays n’a connu la démocratie qu’après la mort de Houphouët. Celui-ci a dirigé le pays, sans discontinuer, de son indépendance en 1960 jusqu’en 1993. Il  va s’en dire que, vu sous cet angle, le processus démocratique est très fragile, les acteurs politiques et surtout la population, n’étant pas habitués  aux joutes électorales et à l’alternance qui caractérisent tout régime démocratique. L’opposition, menée par Laurent Gbagbo, vivait la misère au moment où la communauté internationale notamment la France, n’a jamais démenti son appui au régime du Vieux. Aveuglée, en cela, par le miracle économique ivoirien. C’est en 1991, finalement, que ce pays a connu le multipartisme grâce à la lutte de Laurent Gbagbo. De ce fait, aux yeux de ce dernier, la communauté internationale n’a aucune crédibilité. Surtout qu’elle est derrière ADO. Qui plus est, est libéral tandis que lui, le « Woudi de Mama »- (sobriquet de Laurent Gbagbo signifiant le Guerrier) est un socialiste.

 

Absence de culture démocratique, crise économique, fait ethnique, ce sont les déterminants essentiels de la crise ivoirienne, qui a éclaté il y a, à peu près, dix ans et qui présage un avenir incertain pour ce pays, pourtant l’un des plus riches d’Afrique, aussi  bien sur le plan culturel qu’économique. L’immense espoir suscité par la tenue de l’élection présidentielle a laissé place aujourd’hui à l’incertitude. Le bout du tunnel n’est pas encore atteint. Le peuple ivoirien prend son mal en patience. Dans ce contexte et quel que soit l’homme qui prendra les rênes du pouvoir, il aura à relever d’immenses défis  notamment le chômage, la lutte contre la corruption, le retour de la Côte d’Ivoire dans la communauté internationale. Il devra surtout s’atteler à réconcilier les Ivoiriens c’est-à-dire à ressouder la Nation, condition sine qua non pour la stabilité et la prospérité de l’Eléphant d’Afrique.

 

BEDIAKON Kouadjo San Boris

Diplômé de l’Ecole Nationale d’administration du Maroc

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