Accord de partenariat économique :rnL’APE est-il un danger pour le Mali ?

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Pour que le Mali puisse tirer un avantage de l’APE, il lui faut valoriser ses ressources humaines et donner des emplois à sa jeunesse, mettre en place des industries de transformation de produits agricoles et protéger son marché intérieur en appelant en premier lieu le Malien à consommer malien, utiliser le savoir et le savoir-faire pour accroître la compétitivité des productions maliennes à l’échelle régionale et à l’échelle mondiale.

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Nous allons, comme avec Socrate, cheminer au travers des dédales obscurs de derrière la scène des rapports économiques internationaux si faiblement éclairés par des textes et des discours politiques encore plus obscurs des uns et les silences complices de nous tous, qui, souvent finissons par nous en déclarer les victimes ou ayants droit des victimes. Je préviens le lecteur que mon discours n’est pas nécessairement compréhensible par lui. Il est souvent technique. En République et en démocratie, il revient aux étudiants, aux instituteurs, aux journalistes, aux animateurs des associations civiques de le rendre accessible aux citoyens à la base et au lecteur moyen.

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Face au mouvement de contestation qui s’amorce en Afrique contre le nouveau cadre de coopération entre le continent et l’Union européenne (UE), afin d’analyser la situation, je vais me référer à trois documents importants. Tous les trois émanent de l’UE. En réalité il s’agit de 3 documents successifs dont chacun améliore le précédent pour corriger les aspérités, tenir compte des critiques, ajuster les positions de l’UE.

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L’objectif de marketing et de stratégie politique visé consiste à mieux présenter le nouveau projet dit Accord de partenariat économique (APE) sous un jour politiquement et psychologiquement acceptable en Afrique et acceptable par des organisations civiques protestataires de pays occidentaux au-devant desquels on peut citer Oxfam. Le premier de ces trois documents que l’Europe a mis 6 ans à préparer a été diffusé le 6 novembre 2006. Le second fut publié le 12 juillet 2007 et le dernier a été rendu public le 27 septembre 2007

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Que contiennent ces documents ?

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Pour parler franchement, le premier document est peu courtois dans son expression. Il est paternaliste et arrogant dans ses prétentions, dominateur et impérial dans ses perspectives. Il est très précis et très correct dans le diagnostic des maux de l’Afrique, il dresse un catalogue juste des mesures à mettre en œuvre. Malheureusement, tout ce travail technique de grande qualité est enrobé dans un langage d’une autre époque peu soucieux de la sensibilité du partenaire africain.

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Comme jadis les colonialistes avaient justifié la colonisation par le « devoir de civilisation de l’Europe », ce document définit l’APE  comme « un devoir de développement ». Il se dit être « la réponse de l’UE » au double défi de : « remettre l”Afrique sur la voie du développement durable » ; « remettre l’Afrique sur la voie devant lui permettre d’atteindre les Objectifs du Millénaire pour le développement (OMD) des Nations unies ».

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Dans ce document, l’UE dessine la face hideuse de l’Afrique en soulignant les traits suivants : l’existence de conflits interminables, l’Afrique foyer de « la criminalité transnationale organisée », l’Afrique comme chaînon du trafic et de la consommation de drogues, l’Afrique pièce maîtresse « de la traite d’êtres humains, de la contrebande de ressources naturelles et du trafic d’armes », l’Afrique aux sols menacés par l’érosion et dont 46 % des terres est sujette à la désertification, l’Afrique sujette à un stress hydrique et menacée de pénurie d’eau.

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En Afrique, 26 pays au moins devraient connaître des crises graves d’approvisionnement en eau avant 2025, l’Afrique incapable de créer des emplois et de former des ressources humaines de qualité et lorsqu’elle en forme, elle finit par faire comme en Namibie (pays le plus inégalitaire du monde), l’élite se dépêche de créer des déséquilibres inacceptables et des injustices en sa propre faveur au détriment de sa propre population.

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Comme réponse, dans ce premier document, sur la base du constat de l’incapacité de l’Afrique à s’inventer un meilleur avenir, l’UE s’octroie un véritable « droit d’ingérence humanitaire, économique et politique » dans la conduite des affaires de l’Afrique et cela a trois niveaux que sont : le niveau national, le niveau régional et le niveau continental.

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D’une stratégie à un partenariat stratégique

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Les deux documents suivants de l’UE reprennent et corrigent de façon impressionnante le précédent document qui, rappelons-le, tout en étant basé sur une analyse correcte et sans complaisance, a finalement peu de mérite et se prête à des critiques faciles du fait même de son langage.

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Le travail correctif des rédacteurs de l’UE nous conduit au dernier des 3 documents. Dans celui-ci, l’UE se réfère aux profondes transformations subies par la coopération euro-africaine et déclare : le temps est maintenant venu de passer d’une stratégie pour l’Afrique à un partenariat stratégique avec l’Afrique. L’APE est désormais présenté comme une volonté de renforcer le dialogue politique avec l’Afrique et est une plate-forme visant à renforcer le dialogue existant sur des questions comme l’accès aux ressources énergétiques et la sécurité énergétique, à augmenter les investissements dans les infrastructures énergétiques, à utiliser une part plus importante des recettes tirées du pétrole et du gaz pour des activités de développement, à intégrer la question du changement climatique dans la coopération au développement. En plus, l’APE contient des volets spécifiques à la lutte contre la désertification et « la dissémination des technologies respectueuses de l’environnement », la migration et la mobilité de l’emploi, la gouvernance démocratique, l’architecture politique et institutionnelle des états africains.

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L’UE est-elle sincère dans sa volonté d’aider l’Afrique ? Oui. Je le crois. Mais où donc est le problème ? Je vois le problème à quatre niveaux qui sont :

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– Les rédacteurs de l’UE ont voulu traduire dans des textes l’exaspération des populations européennes et des autres pays développés devant le peu de progrès réalisé en presque 50 ans d’aide par les Etats africains, Cette exaspération peut se fonder par exemple sur le fait que toujours plus d’aide est sollicitée de l’Europe par le Mali alors même que les banques se déclarent sur liquides depuis au moins 15 ans pendant que l’entrepreneur ne trouve pas de financement.

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Si ces banques étaient en Amérique par exemple, elles seraient traduites en justice et fermées, les banquiers seraient mis en prison pour non-application des règles fédérales et obstruction à l’activité économique. Ces accusations peuvent valoir plusieurs centaines de millions de dollars de pénalités et plus de 30 ans de prisons pour chaque banquier. Le problème, en définitive au Mali, dans ce domaine, ce ne sont ni les banques ni les banquiers mais l’Etat qui n’a pas mis en place la régulation nécessaire. Et c’est cet Etat qui, au lieu de faire appel au patriotisme et aux compétences de ses citoyens, recourt à la manne facile de l’aide extérieure.

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– Les responsables de l’UE veulent marquer leurs responsabilités dans l’utilisation de l’impôt de leurs concitoyens face à des partenaires, à des cadres africains de moins en moins crédibles et si médiocres en capacité de résolution de problèmes. Pour illustrer ce que je veux dire, prenons un exemple au Mali. Il est connu qu’en ce moment, suite à un rapport du Vérificateur général (VG), des sommes mises à la disposition du ministère de la Santé semblent insuffisamment justifiées dans leurs emplois. Il est connu que ce ministère a voulu répondre aux interrogations en présentant des justificatifs de dépenses. Ici, je ne me prononce ni sur le crédit à accorder au rapport du VG ni sur la défense présentée par les responsables du ministère de la Santé.

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Ce que je dis est que si les représentants des pays de l’UE au Mali devaient se référer à leurs propres statistiques établies à partir de l’examen de documents présentés à eux pour demander des visas qui montreraient qu’une forte proportion de ces documents semblent suspects sinon faux, alors il y aurait problème. Sur la base de ces statistiques, on peut penser de même qu’un grand nombre, des justificatifs présentés par les ministères maliens pour prouver l’emploi de fonds étrangers peuvent être suspectés sinon déclarés faux. Il y a en tout cas un problème de crédibilité.

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– L’APE devrait être un dialogue démocratique entre deux continents et la question que se posent les Européens est comment continuer une telle coopération si les populations africaines ne peuvent s’exprimer et être entendues ? Cette interrogation est importante et explique largement l’impatience européenne traduite dans l’utilisation d’un langage agressif. Pour comprendre ce que je veux dire, revenons un instant à l’année 1992. Cette année-là, la Communauté économique européenne (CEE) de l’époque a voulu comprendre pourquoi ses propres activités étaient si peu comprises des populations européennes. Une étude lui permit de comprendre que la cause était aussi un déficit démocratique. Cette étude fit apparaître que tout citoyen japonais en 1992, que ce soit au sein de son entreprise ou au sein de la société s’adressant aux structures de décision, recevait une réponse en 5 jours. Ce délai était d’une semaine aux Etats-Unis alors qu’il était de 365 jours en Europe. Les Européens décidèrent de faire quelque chose pour rapprocher leurs populations et leurs superstructures. En 2007, le délai évoqué ci-dessus est de 3 jours pour un Japonais, 1 jour pour l’Américain et 3 jours pour l’Européen citoyen d’un pays membre de l’UE. Quel Africain peut-il se féliciter de ne jamais pouvoir se faire entendre de son administration ou faire entendre sa voix dans le cadre de l’APE ?

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– Les Africains doivent ouvrir les yeux sur une réalité qui est que l’aide humanitaire n’est en définitive pas un service de bienfaisance publique internationale, mais un outil au service de la politique et des intérêts des Etats pourvoyeurs d’aide. Pour arriver au monde que nous connaissons, durant le 20e siècle, les pays européens ont donné à la mort plus de 100 millions de jeunes hommes et femmes (incluant des Africains) pour imposer leurs vues et défendre leurs intérêts. Croire qu’aujourd’hui ces pays, au nom d’un angélisme humanitaire décideraient d’agir désormais en totale ignorance de leurs propres intérêts est non seulement une ignorance historique mais une tragique irresponsabilité.

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L’Afrique n’a rien appris et souffrira terriblement

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Ce qui est curieux, c’est que la campagne de refus de l’APE en Afrique ne se réfère pas ou peu à ces points cruciaux évoqués ci-dessus. Au cœur de la discorde se trouve la défense du monde agricole africain que des ONG estiment en danger de mort de par l’application de l’accord euro-africain proposé à renouvellement. Commençons par poser une bonne question : le monde agricole africain est-il menacé de disparition ? Oui, il l’est. L’Europe en est-elle la cause ? Voyons la réalité du monde.

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Cette réalité est marquée par l’émergence de la Chine, de l’Inde, du réchauffement climatique, de la confrontation entre des pouvoirs d’Etat essentiellement occidentaux et des courants de pensée essentiellement islamistes, la montée vertigineuse des prix des matières premières et du pétrole en particulier. Cette réalité sera certainement dominante au moins dans certains de ses aspects pour au moins les 20 ans à venir. Trente-cinq ans se sont écoulés depuis la première crise du pétrole du début des années 1970. A l’époque l’accroissement des prix du pétrole était contrôlé par les pays producteurs de pétrole.

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Aujourd’hui la situation est bien différente. Sur les 100 dollars de prix du baril de pétrole, en réalité seulement environ 30 dollars vont aux pays producteurs de pétrole et 70 vont aux pays développés. Ces 70 dollars se divisent à peu près moitié, soit 35 dollars pour les entreprises pétrolières et 35 pour les compagnies d’assurance et de transport, les spéculateurs boursiers. En 1972, les pays développés ont souffert de la crise. Ils ont appris et ont développé des stratégies d’adaptation et de domination de la situation. L’Afrique n’a rien appris et souffrira terriblement, producteurs de pétrole et non producteurs de pétrole tous ensemble. En particulier, les coûts des intrants vont augmenter et les paysans même sans concurrence extérieure supplémentaire auront du mal, par manque de solutions technologiques innovantes à surmonter la crise actuelle.

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Les paysans africains soutenus par certaines ONG internationales demandent la suppression des subventions. Oui, les subventions seront démantelées ou plutôt changeront de noms. Déjà aux Etats-Unis, la « Farm Bill » qui est la loi d’orientation agricole américaine prévoit de supprimer les subventions agricoles. Mais vont apparaître 300 milliards de dollars pour soutenir le monde agricole américain. Ces 300 milliards seront appelés « subvention d’aide à l’agriculture compatible avec la sauvegarde de l’environnement ».

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Les Européens avec plus de 60 milliards d’euros qui n’incluent pas les aides au niveau national, dans le budget de la Politique agricole commune (Pac), vont emboîter le pas aux Américains. Ici, je ne parle pas encore des avancées technologiques qui vont modifier les critères définissant les productions agricoles acceptables sur le marché international. En plus les Européens, à travers leurs nouvelles législations sur l’immigration vont attirer et utiliser les plus doués des enfants des paysans africains pour produire, grâce à la technologie, plus et mieux de produits qui vont mettre leurs parents en faillite.

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Ainsi le contexte international de l’APE est déterminé par des données objectives et par un cadre légal qui s’appelle l’Organisation mondiale du commerce (OMC) dont les règles ont été définies sur la base du capitalisme qui régente le monde et son exigence d’ouverture des marchés et l’universalisation de la concurrence. Attention : je ne dis pas que je suis d’accord ni avec le capitalisme ni avec l’OMC, je dis que ce sont les réalités incontournables dont doit partir toute politique réaliste. Chaque pays ou chaque structure multinationale essaie de défendre ses intérêts y compris en violant, un temps, les règles de la concurrence pour donner le temps à leurs forces économiques de s’organiser.

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La morale n’est pas le principe dirigeant

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Dans ce contexte, l’Amérique dit, « moi je suis la championne du capitalisme mais je protège mes agriculteurs avec 300 milliards de dollars car leur existence est une question de sécurité nationale et il s’agit pour moi de l’existence même de notre nation ». Les Européens disent la même chose en brandissant 60 milliards d’euros. Seule l’Afrique se soustrait de cette tâche d’autoprotection et se limite à crier des principes moraux. La morale hélas, pour l’Afrique, n’est pas le principe qui dirige le monde et les relations internationales. C’est dans ce décor que l’Europe arrive avec l’APE et dit aux Africains à peu près ceci : « voici 50 milliards d’euros à vous partager. Nous allons vous surveiller et vous obliger à travailler mieux pour vous-mêmes. Nous ne changerons pas les règles du capitalisme et nous continuerons à défendre nos intérêts vitaux y compris à votre détriment ».

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Je ne crois pas qu’il existe un plan machiavélique de l’Europe contre l’Afrique qui s’appellerait APE. Je ne crois pas que l’UE avec des pays représentés au Mali par des femmes et des hommes comme l’ambassadeur de Menthon soit lancée dans une entreprise nocive à l’Afrique. L’ambassadeur de Menthon a parcouru en quelques mois de résidence plus de kilomètres à l’intérieur du Mali que moi je ne l’ai jamais fait. Il est allé dans plus de villages que moi. Qui peut douter de sa bonne foi d’accompagner le Mali dans son développement. Dire qu’il travaillerait à la mort du paysan malien n’a aucun sens.

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Mais, il est premièrement et fondamentalement un Européen. Cela veut dire qu’il n’est pas en première ligne la personne responsable des maux des Maliens. Cela veut dire que ce dont il répond c’est la sauvegarde des intérêts de la France et de l’Europe. Ce sont les autorités maliennes qui sont comptables du bien-être des Maliens et non les représentants de l’UE. Je crois qu’il existe une loi immuable de l’homme et des groupes humains homogénéisés depuis l’hominisation qui est de vouloir dominer la nature et mettre en avant ses intérêts vitaux. Le monde moderne nous offre l’avantage que cette règle est moins tranchante du fait même que la civilisation de l’ère technologique permet d’unifier l’Humanité entière.

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Mais chaque groupe humain doit venir au grand rendez-vous de l’universel avec de quoi subvenir à son propre voyage et de quoi garnir la calebasse commune des biens de l’Humanité. Par exemple pour que le Mali puisse tirer un avantage de l’APE, il lui faut : valoriser ses ressources humaines et donner des emplois à sa jeunesse, mettre en place des industries de transformation de produits agricoles et protéger son marché intérieur en appelant en premier lieu le Malien à consommer malien, utiliser le savoir et le savoir-faire pour accroître la compétitivité des productions maliennes à l’échelle régionale et à l’échelle mondiale.

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Puisque l’APE n’empêche pas le Malien d’accomplir ces réalisations alors je ne crois pas que l’APE soit en première ligne la source des maux des paysans maliens et du Mali. En même temps les ONG et autres organisations civiques ont-elles raison de porter la contradiction à l’APE ? Oui, elles ont raison de le faire. On en voit la trace : l’évolution qualitative des documents de l’UE de novembre 2006 à septembre 2007.

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Ces associations peuvent pointer un doigt infatigable sur des points précis, mais leur tâche n’est pas de mettre en œuvre une politique nationale ou régionale de développement de l’Afrique. Cette tâche appartient aux gouvernements. Nous pouvons critiquer les propositions et les projets de l’UE puisqu’ils existent et sont rendus publics. Mais où sont donc les projets et propositions des gouvernements africains ?

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Par Dialla Konaté –

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