Dans l’univers des coépouses (4) : il y a chef, et chef

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    Au milieu de quatre femmes, il faut que le maître des lieux ait la tête sur les épaules. Sinon…

    Ladji avait raison de ne pas réagir. S’il s’était mis à commenter les propos des épouses, il ne se serait plus jamais tiré d’affaires. Chacune venait en effet avec son histoire à elle, plus ou moins scabreuse sur le comportement de ses rivales. Ainsi, une nuit, après qu’ils eurent fait l’amour de manière très satisfaisante, Lalla se colla contre son époux pour lui raconter une dispute que Assitan avait eue avec des voisines. « Cela a été très violent, dit-elle en prenant un air faussement ennuyé. Ce qui m’a stupéfait, c’est qu’une de ces femmes là a ouvertement traité Assitan de dame de « petite vertu ». C’est la première fois que j’entends une telle insinuation sur son compte. A ton avis, y a-t-il quelque chose de sérieux dedans ? ». Ladji sentit qu’il ne pouvait pas laisser passer de tels sous-entendus. Il fixa Lalla droit dans les yeux, mais sans dire le moindre mot. Son épouse comprit cependant le message et elle fit précipitamment marche arrière. « Pour ma part, ajouta-t-elle, je crois que ce sont là des propos de pure méchanceté. Assitan a beaucoup de défauts. Mais il y a des limites qu’elle ne franchira jamais te concernant ». Ladji hocha la tête. La leçon avait porté. La plupart du temps, les racontars sur l’oreiller n’atteignaient pas ce niveau de gravité. C’était souvent des doléances assez faciles à trancher. Une nuit ce fut Djénèba, très brillante au lit à cette occasion, qui souhaita que son mari conseille la retenue à “ses” femmes. (C’était ainsi qu’elle désignait Assitan et Nana, le tandem adverse). Comme Ladji lui demandait de quoi il s’en retournait, sa petite femme lui raconta un épisode très particulier de la guerre des clans. Elle avait l’habitude de faire broder sur ses sous-pagnes des petits messages destinés à son mari. Lorsqu’elle lavait ces pièces de lingerie, Assitan et Nana s’approchaient ensuite pour lire les inscriptions à haute voix et se répandre en commentaires déplaisants sur leur contenu. Djénèba ne supportait plus ces provocations. « Les messages que je choisis pour les faire broder, dit-elle d’une voix furieuse, ne regardent que moi. Je me donne beaucoup de mal pour les trouver, car c’est une manière à moi de te signifier mon amour. Est-ce que je dois être pénalisée pour m’être montrée plus attentionnée que les autres ? ». Djénèba avait l’air sincèrement blessée. Ladji la réconforta du mieux qu’il put. Il lui recommanda de ne pas faire attention aux remarques de ses grandes sœurs. L’essentiel était que lui, l’époux, apprécie ces initiatives de sa petite femme. Le reste avait peu d’importance.

    L’accusation de partialité – Ce n’était sans doute pas la réponse qu’attendait précisément Djénèba. Mais cela lui suffisait néanmoins et ses yeux se mirent à briller de satisfaction. Elle se rapprocha de son époux et lui demanda une autre joute amoureuse. Ladji se sentait un peu fatigué, mais il se garda bien de le dire. Il avait une petite faiblesse pour Djénèba. C’était la plus jeune de ses épouses et pour lui, c’était aussi la plus fragile moralement. Donc il évitait tout ce qui pouvait la déstabiliser. Lui-même se rendait compte que ce n’était pas très juste pour ses autres femmes, mais il espérait que celles-ci ne se rendraient pas compte de cette préférence coupable. Et puis, il se l’avouait intérieurement, Djénèba était de toutes ses épouses celle qui se donnait un mal fou à le faire monter au septième ciel.

    Elle mettait un cœur admirable en se donnant à son époux, de plus elle lui susurrait aux oreilles de son époux tout ce qui pouvait flatter son orgueil. Cette révélation avait fuité grâce à Kassim, un membre du « Grin » qui avait recueilli cette confidence de la bouche d’une de ses cousines, amie de la meilleure amie de Djénèba. Voilà comment pouvaient circuler les nouvelles sur l’intimité des couples. Bref pour revenir à notre récit, Ladji était, malgré tout, ce qu’on peut définir comme un polygame assez équilibré. Et son foyer était l’un des plus paisibles du quartier, tout le monde le reconnaissait. Ses épouses avaient, toutes les quatre, eu la chance de lui donner des enfants. Assitan lui avait donné deux filles et deux garçons. Nana avait une fille et un garçon. Lalla se glorifiait de deux garçons et Djénèba, d’une fille. Les enfants n’avaient jamais fait l’objet de querelles entre coépouses, ce dont Ladji se réjouissait. La trêve fut rompue de manière plutôt bizarre. Un jour, Assitan infligea la même punition à l’un de ses garçons et à l’un des fils de Lalla qui s’étaient disputés. Djénéba entra dans la danse et critiqua sa grande sœur pour avoir infligé un châtiment similaire à l’aîné (le fils de Assitan) et au plus jeune (le fils de Lalla). Selon elle, la sanction aurait dû être proportionnelle au degré de maturité de chacun des gosses. Assitan prit très mal cette remarque, qui équivalait à une accusation de partialité. Elle répondit donc qu’elle n’avait pas de leçon à recevoir de quelqu’un de plus jeune qu’elle. Le ton monta très vite entre les deux femmes et Assitan fut sur le point de tomber à bras raccourcis sur sa coépouse. Heureusement, il se trouvait à ce moment dans la concession un maçon qui s’occupait à réhabiliter les toilettes communes. L’homme s’interposa pour éviter l’empoignade physique. Mais il ne put absolument rien contre le déluge d’injures que s’échangèrent les deux dames. Lalla et Nana se jetèrent, elles aussi, dans la mêlée verbale et pendant deux bonnes heures l’enfer régna dans la concession de Ladji. Les deux camps avaient accumulé pour chacun nombre de griefs et l’occasion était bonne pour vider quelques vieux contentieux. Mais un détail a son importance : à aucun moment le nom de Ladji ne tomba dans les échanges. Aucune des femmes n’osa étendre la querelle à l’époux dont l’objectivité pouvait être difficilement attaquée. L’orage était déjà passé quand Ladji regagna son domicile en fin d’après midi. Informé de la querelle entre ses épouses il prit de côté le maçon, qui attendait d’être payé et se fit raconter tout l’incident. Contrairement au maladroit Issa, il ne réagit pas à chaud. Il ne dit pas un mot à ses épouses qui guettaient anxieusement son jugement. Il prit son bain, partit comme d’habitude converser à son « Grin » et revint faire sa prière du soir. Les épouses étaient perturbées par le silence du maître de maison et aucune n’en menait large. Vers le crépuscule, on vit arriver dans la cour Lassana le meilleur ami de Ladji et aussi un des anciens les plus respectés du quartier. Les femmes comparurent devant le mini tribunal. Ladji prit le premier la parole. Froidement et sans aucune fioritures, il donna entièrement tort à Assitan. “Tout l’incident est parti de toi, assena-t-il, et effectivement tu aurais dû punir différemment l’aîné et le cadet. Par ton fait, il est arrivé une chose inimaginable dans ma maison, une dispute qui a pour origine le traitement à accorder aux enfants.

    L’encens qui adoucit les mœurs – Je vais clairement vous dire le fond de ma pensée et je ne reviendrai plus dessus : laissez les gosses en dehors de vos querelles de coépouses. Celle qui transgressera cette règle a un seul choix : abandonner d’elle-même cette maison avant mon retour”. La chose avait le mérite d’être très claire et surtout Ladji avait considérablement durci le ton pour énoncer sa décision. L’ancien intervint pour donner encore plus de poids à ce qui avait été dit : « Si la volonté de Dieu décide que chacun de nous doit être rappelé à lui selon l’ordre dans lequel il est arrivé, les enfants seraient les derniers à quitter cette concession. Gardez cela dans l’esprit pour cultiver en eux la fraternité ». Le petit tribunal se dispersa assez vite. Mais Ladji n’en avait pas tout à fait fini avec Assitan. Il alla la trouver sans sa chambre et la regarda sans compassion pour les larmes qui brillaient dans ses yeux. « Tu m’as énormément déçu, lui dit-il, tu es la première épouse et tu aurais dû m’aider à faire régner l’ordre dans cette maison. Au lieu de cela, c’est toi qui déstabilises la maison et son chef. Comment as-tu pu me faire cela ? ». A peine l’époux eut fini sa tirade que Assitan laissa échapper les sanglots, qui lui montaient dans la gorge. Elle pleura si fort que les occupants de la concession et certains voisins s’attroupèrent devant sa chambre pour essayer de comprendre ce qui se passait. Ladji sortit sans mot ajouter, et l’assistance en voyant son visage fermé se garda de lui poser la moindre question. D’un ton ferme, le maître de maison ordonna d’ailleurs aux curieux de se disperser. Puis d’un pas ferme, il se dirigea vers la chambre de Nana où il devait passer la nuit. Son épouse qui craignait que la foudre ne tombe sur elle aussi avait fait brûler un encens spécial, capable de désarmer l’époux le plus furieux. L’encens avait aussi la capacité d’amener les hommes vers des dispositions plus tendres. Le procédé sembla marcher, car Ladji se calma et se montra particulièrement ardent cette nuit là. Elle ignorait qu’un homme en colère était capable de se transcender au lit car la rage accroissait la libido. Mais malgré toutes ses questions, Nana ne put savoir ce qui avait provoqué les larmes de Assitan. Pour Ladji, la soirée se termina bien. Était-ce l’effet de l’encens ? Où avait-il besoin de décompresser après son accès de fureur. Toujours est-il que Nana fut cette nuit là comblée. Plus tard, l’époux reconnut devant les membres de son « Grin » qu’il s’était senti particulièrement en forme. « Mais je ne pense pas que ce soit l’effet de l’encens, reconnut-il très franchement. J’avais besoin de me détendre les nerfs et j’étais satisfait d’avoir remis toutes les pendules à l’heure. Mais je me suis bien gardé d’avouer à ma femme que la rage constituait un puissant aphrodisiaque. Cela pouvait se retourner contre moi. Car pour m’obliger à renouveler ma performance, Nana est bien capable de me mettre exprès en colère pour ensuite organiser une réconciliation au lit. Vous savez que les femmes ne reculent devant rien pour tirer le meilleur de nous. On désigne cela comme le « Kèlè ban kèlè » La conclusion de Ladji fit éclater de rire tout le « Grin », tant elle sonnait juste.

    L’homme le plus enfumé – Le coup de gueule du maître de maison fut en tous les cas salutaire. Plus jamais dans la concession de Ladji, il n’y eut de dispute à cause des enfants. Au contraire les femmes s’impliquaient pour aplanir tous les différents, qui surgissaient entre les gosses. Assitan avait retrouvé sa place de première femme et elle était la plus active dans le retour de la paix au foyer. Elle était d’autant plus dévouée que ses retrouvailles nocturnes avec son époux s’étaient très bien passées. Nana lui avait donné de son fameux encens et Assitan avait copieusement parfumé la chambre. Ladji le remarqua et s’efforça de faire honneur à l’initiative de sa femme. Une fois de plus, l’encens n’était pour rien dans ses performances. Mais Assitan, tout comme Nana avant elle, fut persuadé que la fumée magique avait enflammé les sens de son époux. Cela lui fit tellement plaisir qu’elle organisa un rapprochement avec le camp adverse. Ce ne fut pas une paix totale, mais le nombre de ragots murmurés sur l’oreiller diminua considérablement. Ladji, en bon chef de famille, apprécia cette évolution. Mais dans le même temps, quelque chose changea dans ses rapports avec ses épouses et il l’expliqua au « Grin ». « Vous avez devant vous, dit-il, l’homme le plus enfumé de Bamako. Mes femmes sont tellement convaincues du pouvoir de l’encens sur moi qu’elles rivalisent de recherches.

    Chaque fois qu’elles sentent mon ardeur diminuer, elles vont chercher une autre variante de graines. Je n’ai pas essayé de les dissuader. D’autant plus que moi-même je commence à être un spécialiste des différentes variétés d’encens. Je peux en tous les cas vous donner le prix précis des meilleurs d’entre eux. Car ces derniers temps, c’est moi qui mets souvent la main à la poche ». Encore une fois l’humour de Ladji provoqua l’hilarité générale parmi ses amis sauf un seul, Issa. La manière dont Ladji menait sa barque et parvenait à tenir ses quatre femmes l’avait encouragé. Sa retenue n’était du qu’au fait qu’il cogitait beaucoup. Fallait il sauter le pas et donner une “sœur” au trio Fanta, Oumou et Ami ? Il se décida à faire le saut. Seulement Issa n’avait pas le savoir-faire de son camarade et il donnait une mauvaise solution à un problème réel. Cependant épouser une “quatrième” était devenu chez lui une obsession et il la mit en exécution dès la première occasion. Cette occasion se présenta sous les traits de Awa une ressortissante du Wassoulou, qui avait eu une vie plutôt agitée. Originaire de Yanfolila, elle avait tout d’abord émigré avec son premier mari en Côte d’Ivoire. Mais au bout de huit ans de mariage, le conjoint décéda et Awa décida de rentrer au pays. Ses parents lui trouvèrent rapidement un second époux. Mais qui ne convenait pas du tout à la jeune femme. Comme celle-ci le raconta plus tard, le nouveau conjoint était un “vieux” qui n’était pas loin d’avoir l’âge de son père. Elle s’ennuya tellement avec lui qu’elle tomba facilement dans les bras d’un jeune enseignant. Les deux amants prenaient au début une infinité de précautions. Mais leur passion finit par devenir tellement dévorante qu’ils abandonnèrent toute prudence et se firent surprendre en flagrant délit par l’épouse de l’enseignant. Le vieux se précipita pour répudier avec perte et fracas Awa. Celle-ci ne pouvait plus rester dans sa ville natale et prit donc le chemin de Bamako. Dans la capitale, elle n’était pas malheureuse. En effet, c’était une femme grande de taille, au visage avenant et au teint clair. En outre, elle était dotée de rondeurs suggestives et son déhanchement faisait des ravages.

    Une correction nette et sans bavures – Elle se trouva donc plus d’amants qu’il ne fallait pour la faire vivre. Au point qu’elle rejeta même des propositions de mariage. Issa la connut quand elle prit un logement non loin du chantier où il servait comme contremaître. L’homme commença hardiment sa cour, sans écouter ceux qui essayaient de le décourager en disant qu’il ne boxait pas dans la même catégorie que les hommes que fréquentait habituellement la belle. C’était sans doute vrai sur le plan pécuniaire. Mais beaucoup oubliaient qu’Issa était aussi un amoureux expert et surtout « bien doté » comme le laissaient transparaitre les commentaires de certains de ses amis qui l’enviaient. De plus, les femmes n’étaient pas avares de compliments sur ses prouesses au lit. Awa aussi ne put se passer de lui, une fois qu’elle lui eut cédé. A la surprise générale, elle accepta donc de l’épouser. Issa n’était pas peu fier de son exploit. Sa quatrième femme était incontestablement sa plus belle conquête et ses trois premières épouses furent littéralement démoralisées quand elles s’aperçurent à quel point la nouvelle venue leur était supérieure sur le plan de la beauté et des atouts physiques. Seule, Ami resta imperturbable. Elle pensait que sa situation ne pouvait pas être pire que celle qu’elle était déjà avec les deux grandes sœurs, qui ne manquaient pas une occasion pour lui rappeler sa condition de “bonne”. L’arrivée de Awa fit même du bien à Ami. Cette dernière remarqua que ses aînées étaient profondément déstabilisées par la concurrence de Awa et qu’elles n’avaient plus leur morgue d’auparavant. Elle se mit donc à leur résister et leur répondre du tac au tac lorsqu’elles hasardaient leurs remarques blessantes habituelles. Un beau jour, Oumou en eut assez des nouvelles audaces de la « bonne » et elle résolut de lui donner une bonne leçon. Ce fut là une grossière erreur. Car la leçon, ou plus exactement la correction, ce fut Ami qui l’infligea de manière nette et sans bavures à son aînée. Cela se passa sous les yeux de Fanta et de Awa, qui se gardèrent bien d’intervenir. La première s’approcha ensuite de Oumou pour lui reprocher d’avoir donné à la bonne une occasion de l’humilier. Mais elle eut à peine le temps d’entamer ses remarques que l’autre se leva, arrangea sommairement ses habits froissés et salis par la bagarre, partit à grand pas au commissariat. Là-bas elle fit établir une convocation au nom de Ami pour coups et blessures. L’affaire aurait pu être compliquée pour la troisième femme si Awa n’était pas intervenue. Elle proposa à Ami de l’accompagner à la police. Là, elle prit de côté un de ses anciens amants qui était inspecteur, lui expliqua sommairement la situation et obtint sans peine que l’affaire soit classée. C’était là la seconde humiliation pour Oumou en moins d’une heure. Fanta et elle comprirent que le rapport de forces avait changé et qu’il était pas question pour elle de recourir à l’arbitrage du mari.

    Ce dernier était complètement sous l’influence de Awa et comme Ami était sa seconde épouse préférée sur le plan physique, les deux premières avaient fort peu de chances de faire passer leurs doléances. Elles choisirent donc de garder un profil bas. Et pour la première fois depuis très longtemps, une paix relative s’installa au logis de Issa. La discrète assistance technique – Ce dernier ne chercha pas à comprendre le pourquoi du comment de la chose. Il se contenta de jouir de la tranquillité qui s’était instaurée. Cependant, comme il ne pouvait pas changer de caractère, il ne profita pas de la nouvelle atmosphère pour remettre de l’ordre chez lui. Il penchait visiblement pour le tandem Ami/Awa vers lequel partait une bonne partie de ses revenus. Mais le temps de vaches grasses eut une fin. Le chantier ferma et Issa ne put immédiatement trouver du travail. Comme il n’avait pas d’économies et qu’il épuisa très vite ses possibilités d’emprunt, l’atmosphère se dégrada très vite entre lui et ses préférées. Ami, qui attendait un enfant, finit néanmoins par se contenter de ce qu’elle avait. Awa, par contre, ne pouvait pas se résigner à la baisse de son niveau de vie, son entretien coûtait en réalité une petite fortune à Issa. Après avoir longtemps grogné entre les dents, elle choisit un soir de laisser échapper son énervement. « Si mon époux est incapable de m’assurer ce à quoi il m’avait habitué, qu’il me laisse donc repartir ! » dit-elle à haute et intelligible voix. Issa, assis dans la cour, feignit de ne pas entendre. Peu après, il partit au « Grin » la rage au cœur. Il devait passer la nuit chez Oumou. A son retour à la maison, il fut surpris de trouver un excellent repas préparé alors qu’il n’avait pas assuré le prix des condiments. L’épouse lui expliqua qu’elle avait pris sur son salaire pour faire la cuisine et qu’elle lui remettrait désormais une certaine somme pour ses petites dépenses. Elle lui dit qu’ils devaient se serrer les coudes en attendant que la mauvaise passe ne s’achève. Tout cela resterait, bien sûr, entre eux. L’arrangement convenait parfaitement à Issa qui tirait le diable par la queue. Deux jours plus tard, Fanta lui proposa, elle aussi, son aide. Qui fut acceptée, bien entendu. Le chef de chantier s’installa ainsi sans aucun état d’âme dans la situation d’homme entretenu. Le tandem Fanta/Oumou réussit grâce à son “assistance technique” un retour en force. Awa en fut ulcérée. Issa était toujours envoûté par elle, mais il lui interdisait désormais de dire du mal des “bailleurs de fonds”. La quatrième épouse se mit à s’absenter de plus en plus souvent et revenait souvent avec des sommes substantielles dont elle donnait une partie à son alliée, Ami. Issa, fidèle à son habitude, ne voulut pas s’interroger. Mais d’autres étaient là pour le pousser dans la bonne direction. Une nuit, Fanta lui fit une mise en garde très explicite : « Ta Awa, lui dit-elle, est en train de briser ton honorabilité. Elle a repris son mode de vie d’autrefois et si cela continue, elle amènera bientôt ses amants sous ton toit ».

    Le mari protesta faiblement. Mais Fanta, se serrant contre lui, murmura des renseignements plus précis. Issa eut le cœur serré en les entendant. Il hésita pendant plusieurs jours sur la conduite à tenir. Puis il finit par faire une chose peu reluisante. Il suivit sa femme lors d’un des rendez-vous galants de celle-ci. Ce jour là, Awa s’en était allée retrouver l’inspecteur de police, qui l’avait aidé lors de la convocation lancée par Oumou contre Ami. Les deux amants avaient pris rendez-vous dans un hôtel bien connu. Issa qui avait pisté les amants, menaça le gérant d’un immense scandale si jamais on ne lui communiquait pas le numéro de la chambre du couple. Muni de cette information il fit irruption dans la pièce où il trouva les amants déjà à demi-dévêtus. Le policier n’en menait pas large. Mais Awa ne se démonta pas le moins du monde. Alors que son époux cherchait les mots pour l’accabler, elle passa à l’attaque avec virulence. « Ainsi, donc, tu me files ? lança t-elle avec mépris. Que voulais-tu donc savoir ? Tu aurais pu me poser la question et je t’aurai répondu sans aucune gêne. Tu es un époux lâche et injuste. Tes deux premières femmes travaillent, elles ont des revenus réguliers et il n’y aucun mérite pour elles de t’aider aujourd’hui. Elles te remboursent une partie des économies que tu leur as permis de faire. Puisque tu prenais tout en charge. Moi, je n’ai pas de travail et je dépends entièrement de toi. Si je t’ai choisi parmi les nombreux hommes qui me faisaient la cour, c’est que je pensais que tu aurais les moyens de m’entretenir. Mais visiblement, ce n’est pas le cas ». Awa était sincèrement en colère et Issa était complètement désarçonné. Il était venu pour confondre son épouse infidèle. Et c’était lui qui se trouvait en situation d’accusé. Le policier avait profité de son désarroi pour ramasser rapidement ses vêtements et se faufiler dehors. Issa tourna les talons et sortit à son tour. La situation était devenue incontrôlable pour lui. En effet, Awa ne s’était pas soucié de baisser la voix. Tous les clients et le personnel de l’hôtel avaient donc droit à son assaut verbal. Le mieux pour l’époux était de quitter les lieux avant que ne survienne le scandale dont il avait menacé le gérant.

    (A suivre) TIÉMOGOBA

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