OUSMANE SY à ‘’LE CHALLENGER’’ : ‘’Je suis un agitateur d’idées’’ ‘’Je suis sorti de la clandestinité depuis 1990…’’

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‘‘Estimer qu’on ne peut pas gagner les élections et qu’on cherche quelqu’un pour nous conduire aux élections, moi, je ne suis pas d’accord….’’ ‘’C’est dommage qu’on n’applique pas nos propres textes’’.

Membre fondateur de l’Adema Pasj, l’ancien ministre de l’Administration territoriale et des collectivités locales fait partie aujourd’hui des rares hommes politiques du landerneau politique malien qui combattent de toutes leurs forces le consensus politique qui prévaut depuis l’arrivée de ATT au pouvoir. Ousmane Sy, puisque c’est de lui qu’il s’agit, nous a livré, dans un entretien exclusif, sa lecture du paysage politique malien. Ce signataire parmi les premiers du ‘’Manifeste’’ dénonce la déperdition des valeurs politiques. Il s’insurge contre le choix de son parti consistant à s’aligner aveuglément derrière un ATT qui n’a même pas dit encore qu’il est candidat. Ousmane Sy tout en se révoltant contre la violation des textes au sein du Pasj pense qu’une crise couve toujours dans la ruche. Bref, aucune question de l’heure n’a été occultée par un homme qui ne cache pas son attachement aux valeurs de démocratie.

M. le ministre, bonjour. Pouvez-vous nous dire ce à quoi vous consacrez votre temps depuis 2002?

Je vous remercie. En 2002, j’étais ministre de l’Administration territoriale après avoir passé un bon moment à lla Mission de décentralisation. Parmi les tâches qui m’ont été confiées, il y avait l’organisation de bonnes élections en 2002. J’ai été un compagnon du président Alpha pendant 10 ans. Je suis sorti du processus de 2002 avec beaucoup d’interrogations. Et j’ai décidé de prendre du recul, intellectuellement et physiquement. Dans un premier temps, je me suis reposé. Mais quelques mois après, comme il fallait que je travaille pour nourrir ma famille et gagner ma vie, j’ai commencé comme consultant indépendant. Mais par la suite, j’ai vu que ça ne sert à rien de travailler seul -en fait, j’ai toujours évolué en équipe – nous avons, avec d’autres amis, créé le Cepia (Centre d’expertise politique et institutionnel en Afrique) pour participer aux débats politiques au niveau africain. Je coordonne aussi une alliance d’organisations pour refonder la gouvernance en Afrique. C’est pour dire que je suis toujours dans les débats. Je suis consultant indépendant, un animateur du débat politique. Quand on me demande ce que je fais aujourd’hui, je dis simplement que je suis un agitateur d’idées. C’est ça ma profession d’aujourd’hui.

Précisément M. le Ministre, il y a un sujet au centre des débats depuis quelques mois, le livre sur ‘’ATT-cratie…A se demander d’ailleurs si l’on peut qualifier ça de débat. Car avec tout le bruit produit par ce livre, hormis les allusions maladroites visant à incriminer des personnes censées en être les auteurs, on s’étonne du silence des principaux mis en cause, notamment Koulouba. Quelle est votre appréciation en tant que homme politique et intellectuel ?

L’autre jour, sur Radio liberté, j’ai répondu à l’un de vos confrères en disant que j’ai deux remarques fondamentales sur ‘’ATT-cratie…’’ Premièrement, je pense que publier un livre, comme ça sous un pseudonyme, je n’ai pas aimé. Parce que nous sommes dans un pays où la liberté d’expression est reconnue à tous. C’est un combat collectif de tous les Maliens. Quand on a quelque chose à dire, il faut le dire. Moi, en tout cas, je suis sorti de la clandestinité depuis 1990 avec la création de l’Adema parti. Je n’ai pas bien apprécié l’utilisation de ce pseudonyme.
Deuxièmement, quand j’ai lu ce livre, j’ai senti des attaques personnelles. Et en politique, je n’aime pas cela. Je pense que la politique est un débat d’idées. Je n’ai jamais fait ce genre d’attaque et je ne le ferai jamais. Mais, c’est dommage qu’on en arrive à ça.

Mais ceci dit, politiquement la leçon que je tire ‘’d’ATT-cratie…’’ et que je veux que tous les Maliens, en tout cas les hommes politiques, tirent de ce livre, c’est que ‘’ATT-cratie…’’ est le résultat d’un processus politique. ‘’ATT-cratie…’’ est le résultat de quoi ? Dans un pays où l’on évite les débats à visage découvert, dès qu’on veut enterrer les débats et les confrontations à visage découvert, dès qu’on n’admet pas les formes de critique comme moyen de faire évoluer la société, dès qu’on se cache derrière un faux consensus… on provoque des situations comme ‘’ATT-cratie…’’C’est comme si les débats politiques sont descendus dans les caniveaux. Alors que dans la démocratie que nous sommes aujourd’hui en train de bâtir, je pense que le débat politique devrait être une confrontation de projets sur notre vision du Mali.

Mais, je le répète, c’est le résultat d’un processus. Il faut qu’on soit conscient de cela et que l’on puisse arrêter cette situation. Aujourd’hui, ce qui me fait peur est que ‘’ATT-cratie…’’ a déclenché un processus qui risque d’aller plus loin. A quoi, on assiste? Au lieu que ceux qui sont attaqués attaquent en justice s’ils se sentent diffamés, qu’est ce que je vois, entends ? Des insultes. Jusqu’où ça va aller? Voila mon point de vue sur ‘’ATT-cratie…’’

M Ousmane Sy, vous avez été mis en cause dans un tract diffusé par…disons l’un des sphinx qui polluent l’atmosphère actuellement. En avez-vous eu connaissance ?

Non, je n’ai pas vu le tract. Mais c’est quelqu’un qui m’en a parlé. Sinon, je n’ai pas vu et si vous pouvez me l’apporter, ça me ferait plaisir car j’aimerai bien savoir ce qu’on me reproche. Dire que je suis un auteur de ‘’ATT-cratie…’’ ? Non, je n’écrirais jamais un tract comme ça. Tout ce que j’ai écrit, je l’ai assumé.

Qu’avez-vous fait pour l’avoir ?

Je ne savais pas d’abord que j’étais personnellement accusé. On m’a dit qu’il y’a un tract sur Ibrim, Boubèye et d’autre. Sinon, je ne l’ai pas vu et je ne peux pas vous donner un avis.

Pourquoi seriez-vous, selon vous, concerné par ce genre de dénonciations ? Est- ce en rapport avec votre récente prise de position relativement au débat politique de notre pays ?

Je ne l’ai pas lu. Mais je suis une personnalité publique et je peux dire des choses qui ne vont pas certainement plaire à des gens. Ils n’ont qu’à venir me voir pour porter la contradiction. J’ai arrêté de faire des tracts depuis que j’étais étudiant en France. Je suis un signataire à visage découvert du Manifeste. Si j’ai des choses à dire, je les dis ouvertement. J’ai autres choses à faire aujourd’hui que de me mêler de ce genre de choses.

Ousmane SY est-il pour une candidature interne au sein de l’Adema ? Fait-il partie de cet pro-Adema au sein de l’Adema qui estiment qu’il faut une candidature interne ?

Oui ! Je vais vous dire pourquoi. Un parti est créé pour conquérir le pouvoir mais pas le pouvoir à tout prix. Le pouvoir à tout prix n’a pas de sens. Les partis politiques sont en manque de projet. C’est un projet qu’on amène aux populations et c’est à eux d’adhérer ou ne pas adhérer. C’est à eux de décider de vous confier le pouvoir ou de ne pas vous le confier. Quand les partis, dans leur grande majorité, renoncent à leur projet pour simplement dire que ‘’nous sommes avec un tel et nous le soutenons’’ moi, en tout cas, je suis contre ça. Maintenant, dans mon propre parti, la première fois où j’ai assisté à ce débat dans la Commission politique dont je suis membre, c’était pour entendre dire que le parti n’a pas de candidat.

J’ai répliqué que, d’abord, ce n’était pas le débat de l’heure. Je n’exclus pas les alliances mais j’ai dit à l’époque que ce n’était pas le débat de l’heure, parce que nous mêmes nous n’avons pas fait le bilan. On a quand même géré le pays pendant 10 ans. On a fait de bonnes comme de mauvaises choses. On ne peut pas diriger pendant 10 ans et ne même pas sortir une feuille pour dire aux Maliens :’’ Voilà ce que vous nous avez confié, voilà ce que l’on a pu faire et voilà ce qui reste à faire et pourquoi nous n’avons pas pu le faire’’. Pour moi, c’est ce qui est préalable au lieu de penser à s’allier à quelqu’un. Une fois ce bilan fait, on aurait pu réfléchir sur un projet et quand on aurait défini le projet, on peut se mettre en quête des gens qui partagent les mêmes ambitions, les mêmes projets sur l’avenir du Mali. Je ne suis pas contre le fait de s’associer. Mais, estimer qu’on ne peut pas gagner les élections et chercher en conséquence quelqu’un pour nous conduire au pouvoir, moi je ne suis pas d’accord. La politique pour moi est un engagement pour un projet.

Vous êtes favorable à une candidature interne au sein de la ruche, quel est alors votre choix ?

Je n’ai pas d’idée fixe. Mais ce que je sais, c’est que je n’ai pas d’ambition de ce coté-là pour le moment. Il y a des militants de l’Adema qui sont là. Je pense qu’il faut leur donner l’occasion de s’exprimer. C’est dommage qu’on n’applique pas nos propres textes. Dans les textes, il y a trois articles qui parlent des choix de candidature pour toutes les élections. Donnons la parole aux militants de l’Adema. S’il n’y a pas de candidature, on peut dire: ’’Voilà, on n’a pas de candidat et on va voir avec qui s’aligner. En voici les conditions…’’. Je pense que tout ceci n’a pas été fait. Commencer à dire, un an et demi avant les élections, et avant même que celui qui est censé être candidat ne se déclare ’’nous, on te soutient’’. Je dis que c’est allé vite en besogne. Et ça cache des choses qui, pour moi, ne font pas honneur à la politique.

Quelle est la position du président Alpha dans cette affaire ?

Je ne connais pas sincèrement sa position car je n’ai pas discuté de ça avec lui.

Lorsque vous dites de laisser le soin aux militants de l’Adema de se déclarer candidat, vous ne faites pas allusion au cas de Soumeylou ?

Pourquoi pas ? Soumeylou m’a invité, même si je ne fais pas partie de son club. C’est un compagnon politique. Nous avons créé l’Adema ensemble. Il n’a pas dit qu’il créait un autre parti ni qu’il était candidat. Il ne faudrait quand même pas oublier pourquoi nous nous sommes battus et pourquoi on a demandé le pluralisme politique.
J’ai l’impression qu’on oublie quelque part le sens même de ce combat. Pourquoi les Maliens sont sortis nombreux dans les rues au risque de leur vie en1991. C’était pour réclamer le pluralisme, la multiplication des candidatures. Quand il n’y a pas de pluralisme de choix, il n’y a pas de liberté de choix. Quand le choix se limite à un seul, il n’y a plus de pluralisme. Moi, je suis pour 3 à 5 candidatures. S’il y’a des candidats à l’Adema qui méritent et qui ont un projet, je crois qu’il faut les laisser s’exprimer plutôt que de chercher les raccourcis. Je suis pour une candidature interne au sein de l’Adema qui n’empêche pas les alliances car les alliances font partie la politique. Il faut créer les conditions de l’alliance. Ce qui s’est passé, je pense que c’est de l’abdication pure et simple.

Si le CE Adema continue de soutenir le président ATT sans donner la liberté à ses militants de s’exprimer, quelle sera votre position ?

Très sincèrement, ma position est connue à l’intérieur et à l’extérieur de l’Adema. La première fois que j’ai entendu parler de ça, je l’ai combattu. Quand la discussion interne au sein du parti s’est passée, ma section est l’une des sections de Bamako qui n’était pas d’accord. La conférence nationale en a discuté. Mais, je tiens à préciser, pour lever une équivoque, que la Conférence nationale n’a pas décidé de soutenir la candidature d’ATT.

Je vous recommande d’aller regarder les résolutions de la Conférence nationale. La Conférence nationale a recommandé au Comité exécutif de voir les conditions de transformation du soutien politique en soutien électoral. Et d’aller voir comment créer les conditions pour que cela soit possible. Pour que cela soit possible, aujourd’hui, il faut réviser les textes du parti. ATT n’est pas militant de l’Adema. Il s’en défend d’ailleurs. Il n’a jamais dit qu’il est militant de l’Adema. Donc, nos textes ont prévu une modalité. Il faut que ça soit exigé pour qu’on aille chercher des candidats dehors. Je n’ai pas caché cette position. A l’intérieur du parti, je l’ai défendue.

Aujourd’hui, je pense que créer une situation comme ça compromet la crédibilité de la démocratie. C’est pourquoi je me donne la liberté de défendre cette position, hors même du parti. Je ne pense pas que c’est un parti simplement qui est en cause, mais c’est la démocratie même qui est en cause. En réalité, ce que l’on voit, c’est l’image de l’homme politique. Je suis en train de boucler une étude que j’ai faite avec des consultants indépendants sur les partis politiques. On va d’ailleurs organiser un atelier là-dessus.

Ce qui sort de tout ça est que l’homme politique est présenté comme le plus machiavélique de notre société. L’image de l’homme politique, c’est le menteur, le voleur, le brigand. Non, le mensonge, ce n’est pas la politique qui, au contraire, est l’une des nobles activités du monde. Non, ce n’est pas ce que nous avons appris. Quand je vois la politique devenir une histoire d’argent, je dis :’’ non ! Je vais me démarquer de ça’’. Voilà pourquoi je suis contre cet engouement. Je ne sais pas pourquoi.

C’est lié à moi. C’est une remarque, quand bien même je n’ai pas des rancoeurs particulières contre ATT. Mon problème est qu’aujourd’hui les partis politiques deviennent simplement des marchepieds pour accéder au pouvoir sans que l’on dise aux Maliens ce que l’on veut faire. C’est pourquoi dans notre parti, je me bats pour un projet. Vous voyez, on est à cinq mois des élections, est-ce que vous entendez parler d’un projet ? Est-ce que vous entendez les partis dire :’’Réfléchissons autour d’un projet que nous allons proposer aux Maliens’’. Est-ce que le débat politique est une confrontation sur l’avenir du Mali ? Et, après, quand on a un taux de participation de 8 à 10%, on s’étonne. On dit que les gens votent de moins en moins. Ah, je dis que les gens ont de plus en plus de raisons de ne pas aller voter.

Donc, c’est à peu près ce que Tiéman Coulibaly disait l’autre jour ? Que les hommes politiques suivent ATT comme un bus ?

J’ai bien aimé son image de Sotrama dans lequel tout le monde s’engouffre. Bien que ATT, lui, sait où il va. Mais les autres le savent-ils ? Malgré tout, il gère notre avenir. J’espère qu’ATT sait où il va.

Avec votre prise de position en plus d’autres cadres de l’Adema, est-ce que le scénario de 2002 n’est pas prévisible ?
En fait, l’Adema n’est pas sorti de sa crise. Je suis convaincu de ça. La crise de l’Adema est très profonde. Il faut que l’on fasse l’histoire de ce parti. L’Adema est sorti de la lutte pour la démocratie. D’abord, il y a un noyau de partis clandestins auquel est venu se greffer des démocrates venus de tous les bords, de l’extrême gauche à l’extrême droite, même les plus libéraux. Un an après sa création, ce parti a eu entre les mains le pouvoir d’Etat. Rappelons le contexte, un pouvoir d’Etat complètement cassé. Je me souviens quand Alpha a été investi en 1992, les observateurs les plus avisés disaient :’’On lui donne trois mois’’, les plus optimistes disaient six mois, parce que l’Etat était par terre. Dans cette situation, le parti a été oublié quelque part, nous avons mis toutes nos capacités sur le pouvoir d’Etat. Bien qu’à l’époque certains camarades l’ont dénoncé. Le parti a été laissé entre des mains et puis comme dit un de mes amis, dans cette formule en bambara ‘’ Ni bafara, a bè gnaman tiè’’.

Le parti est entré dans une logique d’accaparer tout. C’est comme ça qu’on est sorti de notre logique de parti. Je me souviens, il y a eu des débats pour identifier les candidats pour les législatives. Les gens disaient ‘’on va prendre celui-ci parce qu’il est capable de nous faire gagner’’. A l’époque, on a beaucoup discuté. On cherche quelqu’un qui est capable de faire défendre le parti mais si on prend quelqu’un qui est capable de nous faire gagner, dès qu’il gagne, c’est lui qui a fait gagner le parti et non pas le parti qui l’a fait gagné. Voilà, les dérives dans lesquelles nous sommes entrés. C’est comme ça que nous avons reconduit dans nos rangs des anciens udpmistes et des anciens ‘’machins’’. Et l’Adema, petit à petit ‘’A kèra donbagala filiyè’’. Voilà la crise profonde de l’Adema.

Lorsqu’on est sorti de 2002, au lieu qu’on prenne le temps de réfléchir pour nous réparer, pour nous reconstruire, pour nous faire le point, on a recommencé dans la lancée. On n’a pas eu le courage d’aller dans l’opposition. On dit : ‘’Amadou, il est d’accord avec nous. Il faut aller avec lui !’’ On n’a jamais voulu faire face au problème réel de l’Adema. Ça m’étonne que tout ce que l’on a connu en 2002, les indisciplinés et les ‘’machins’’ puisse reprendre, parce qu’on n’a pas attaqué le problème au fond. Je me dis que, quand on sortira des élections 2007 et que tous les espoirs vont être déçus, peut être qu’en ce moment on aura suffisamment le temps à se pencher sur la reconstruction de l’appareil du parti. C’est à ça que je rêve aujourd’hui.

Pour moi, 2007 n’est pas un enjeu. Au sortir de 2007, essayons de voir comment refonder nos projets. Amener la politique autour des projets. Refondons nos unions autour d’un projet et non autour d’un homme. Quelque chose a tué l’Adema et les autres partis qui fondent tout autour d’un homme. Je suis contre cette idée. C’est pourquoi, j’évite toujours d’entrer dans des débats de personne. La politique pour moi, c’est une confrontation d’idées, une confrontation de projets. Je pense aujourd’hui que la seule façon de sauver l’Adema est peut-être qu’on réfléchisse comme en 1992 où on a écrit notre ambition pour le Mali. A la sortie de 2007, il faut qu’on cherche à reconquérir la confiance des Maliens et surtout des militants de l’Adema qui ont besoin d’être remobilisés, de croire aux hommes politiques.

Ousmane SY est-il un homme qui gène aujourd’hui ?

C’est possible que je gène. Mais je ne fais pas ça pour gêner. Je pense que dans un pays démocratique à dimension comme le Mali, l’expression d’une idée ne doit pas gêner. Je pense que c’est même salutaire. On est représenté dans les organisations internationales. Mon travail fait que je voyage beaucoup en dehors du Mali. Et le Mali a une réputation qui exige que nous puissions avoir la capacité de gérer nos situations. Moi je pense que dans un pays où tout le monde est d’accord, c’est la pire des choses qui peut arriver. C’est l’une des raisons qui m’a fait signer le Manifeste pour dénoncer ce consensus.

Je suis un signataire du Manifeste, mais je ne suis pas un militant de l’Adj. J’ai signé le manifeste parce que je suis un démocrate et je crois en ce qui se trouve dedans.
Dans un pays où il n’y a pas de confrontation d’idées, où il n’y a pas de débats d’idées, il y a régression. Je ne parle pas de la confrontation de personnes, mais c’est la confrontation d’idées qui fait avancer un pays.

Dr Ousmane SY pourrait gêner qui à votre avis ?

Je peux gêner beaucoup de gens. Ousmane Sy est un homme libre, un indépendant. Nous sommes dans un pays où l’on n’aime pas les hommes libres car il faut un ‘’Jatigui’’ pour tout le monde. Moi, je fais partie de ces gens qui n’ont pas de ‘’Jatigui’’. Ça gène ? Je suis fier aujourd’hui que les Maliens me respectent. Après 10 ans de gestion, je reconnais vraiment que les Maliens me respectent. Ce qui veut dire que je ne gène pas la majorité des Maliens, sinon j’aurais dû me retrouver en exil. Je n’ai jamais accusé quelqu’un. Je ne fais que donner mon point de vue.

Même au sein de l’Adema ?

Peut-être dans l’Adema, je gène des gens. Mais je ne dramatise pas cela. J’estime que quand je donne un point de vue divergent, ça gène des gens. Quand j’ai signé le Manifeste, on m’a dit :’’Pourquoi tu ne portes pas le débat dans ton parti, au lieu de le mener ailleurs ?’’
Je vais vous faire une anecdote : quand je suis arrivé à la tête du département de l’Administration territoriale en 2000, un de vos confrères m’avait interpellé pour me dire ‘’Ah, M. Sy, vous êtes membre fondateur de l’Adema et on vous a mis-là pour faire gagner l’Adema’’. J’ai répondu que je suis un militant de l’Adema mais, pour moi, ‘’l’Adema est un instrument dont la finalité est la démocratie. Donc, je ne ferais rien contre la démocratie avec ou sans l’Adema, parce que mon rôle ici est d’organiser les élections. Ceux qui sont chargés de faire gagner le parti sont au siège’’. A l’époque ça m’a coûté quelques récriminations au niveau de mon parti, car lors d’une réunion, on m’a interpellé sur le sujet et je me suis bien défendu.

Ousmane Sy, l’homme qui a piloté le processus électoral en 2002 au terme duquel ATT est revenu aux affaires, trouve-t-il à redire sur la gouvernance actuelle ?

Je pense que l’alternance est une bonne chose. C’est dommage que mon parti ait perdu. Une alternance est saine pour la démocratie. Je pense que, globalement et malgré tout ce que l’on dit, les élections se sont bien passées surtout les conditions dans lesquelles elles ont été organisées. En quoi, on juge une élection crédible ?

C’est quand le perdant félicite le gagnant. Les gens ont oublié ça. En 2002, Soumaila Cissé, qui était le challenger d’ATT, a félicité ATT avant la proclamation officielle des résultats. C’est des petites choses qui font la grandeur de la démocratie. Celui qui perd reconnaît qu’il a perdu. Quelles que soient les raisons et il félicite le gagnant. Et cela s’est passé en 2002. Je pense que certaines choses ont marché.

Je ne suis pas contre l’alternative que cela a produite. Si j’ai un reproche à faire, c’est que mon parti n’a pas pu gérer l’après élection. C’est ma seule frustration. Aujourd’hui, j’aurais été fier, homme de gauche, démocrate africain qu’on soit dans notre rôle au sein de l’opposition pour réfléchir à une alternative. Cela ne veut pas dire que je suis contre ATT. Dans un pays où il n’y a pas d’alternative politique, la seule alternative sera le mécontentement parce que dans n’importe quel pays, qu’on le dise directement ou indirectement, il y a des gens qui ne sont pas d’accord. Ceux qui ne sont pas d’accord ou ils ont des moyens de le dire ou d’aller dans un projet qu’ils ont fait, ou ils le font dire dans les tous cas violemment. C’est pourquoi je dis que notre sens politique devrait nous conduire dans l’opposition comme le PS au Sénégal qui a géré pendant 40 ans.

Même, tout récemment, quand Wade les a appelés, ils ont refusé. Voilà ce qui est attendu aujourd’hui de nous, démocrates africains. Qu’on joue les règles du jeu. Qu’on assume. La démocratie est aussi un jeu de gagnant-perdant. S’il n’y a pas de perdant dans une démocratie, ce n’est plus une démocratie. N’est- ce pas qu’on aurait dû assumer notre rôle de perdant ? Quelles que soient les raisons, on aurait assumé notre rôle et on serait sorti grandi. Je suis sûr que le peuple malien allait avoir beaucoup de respect pour les hommes politiques. L’Adema sera grandi aujourd’hui aux yeux des Maliens.

Si ATT n’était pas candidat en 2007 ?

Je ne sais pas comment les gens vont faire. Si ATT tombe en panne aujourd’hui, on est tous foutus. Les gens sont en panne d’alternative.

Et pourtant, Il ne s’est pas encore déclaré ?

J’espère qu’il va être candidat. J’espère bien aussi qu’il va y avoir plusieurs candidats. Aujourd’hui, il y a ATT, IBK. Aucun d’eux n’a dit qu’il est candidat. Depuis quelques jours, on parle de Boubèye. Aucun d’eux n’a ouvertement dit qu’il est candidat. Mais ce sont des candidats potentiels. J’espère qu’il va avoir un autre. Je souhaite qu’on va éviter ce que moi j’ai connu en 2002, c’est-à-dire 24 candidats. J’espère qu’on va avoir 4 à 5 candidats pour une pluralité de choix. C’est la démocratie. On n’a pas besoin d’un candidat unique. Il ne faut pas qu’on descende dans le parti unique.

Parmi ces candidats potentiels, quel est votre choix ?

Non, je n’ai pas fait mon choix. Comme je n’ai pas vu leur projet. Quand j’aurais leur projet, si je sens qu’un projet doit être soutenu. C’est en ce moment que je vais faire mon choix.

Ancien ministre, aujourd’hui homme indépendant, qu’est-ce qu’Ousmane Sy pense de la gestion actuelle du pouvoir ?
J’ai participé à la gestion du pouvoir. J’ai accompagné Alpha pendant dix ans. Donc je ne suis pas du genre à vilipender un homme d’Etat, à considérer que tout le malheur est causé par lui. Ceci dit, je pense qu’on aurait pu mieux gérer la situation politique. Sincèrement aujourd’hui, je ne parle même pas du bilan de ATT. Ce qui m’inquiète beaucoup, c’est la situation dans laquelle on est en train de mettre la politique. Je pense qu’on aurait pu éviter la clochardisation de la politique. Aujourd’hui, la politique est clochardisée. Cela ne permet pas de construire une démocratie. Si j’ai un reproche à faire à la gestion publique actuelle, c’est ça. La démocratie ne se décrète pas, elle se construit sur un processus où chacun vient avec sa pierre. Affaiblir les partis, décrédibiliser les hommes politiques, je pense que ça n’aide pas. C’est vraiment une conviction personnelle. C’est ce que je déplore aujourd’hui quand je regarde la scène politique. Ce n’est pas même la responsabilité première du président qui a dit qu’il n’a appelé personne et que la porte est grandement ouverte. Il l’a dit publiquement. Je crois que c’est peut être la responsabilité de l’homme politique.

M Ousmane Sy, peut-on savoir votre point de vue sur la pauvreté et la corruption au Mali ?

D’abord la pauvreté. Le slogan de la pauvreté est en train de cacher quelque chose de très grave dans notre pays. Ce qui est dangereux dans notre pays, c’e sont les inégalités. Il y a une minorité qui s’enrichit et une majorité qui s’appauvrit. Derrière le slogan du concept de lutte contre la pauvreté, se cachent les inégalités. Ça c’est très dangereux.
A l’échelle africaine même au-delà du Mali, nous africains, nous empochons derrière la communauté internationale sur le concept de la pauvreté. C’est un signe de manque d’ambition pour notre continent. La lutte contre la pauvreté n’est pas un projet. Le projet, c’est le développement, c’est l’ambition de se développer. La lutte contre la pauvreté, c’est la vision d’un autre. Je pense que c’est la première grande faillite de notre système politique. Notre regard sur nous-mêmes et le regard des autres sur nous. Aujourd’hui, à la place d’une stratégie de lutte contre la pauvreté, on aurait pu mettre en place une stratégie pour la croissance et le développement.

Quant à la corruption, si l’on est honnête, le slogan de lutte contre la corruption doit être réfléchi. Quand on regarde notre société, je ne suis pas sûr qu’elle soit contre ce que l’on appelle communément corruption, c’est-à-dire puiser dans les caisses de l’Etat, tel qu’on est en train de condamner publiquement. Les régimes politiques qui se sont succédé depuis l’indépendance, ont tous parlé de la lutte contre la corruption. Ma première opération de lutte contre la corruption a commencé en 1967. J’étais à l’époque au lycée. C’était l’opération taxi. Les fonctionnaires qui gagnaient leur vie ont acheté des voitures appelées des taxis. Le régime à l’époque a décidé de faire une opération appelée ‘’opération taxi’’.

Sous la deuxième république, il y a eu des lois condamnant à mort pour le détournement plus de 10 millions. Alpha est venu. Il y a eu beaucoup de choses sur la lutte contre la corruption. ATT est venu voilà bientôt 5 ans, on a créé le Vérificateur général. Mais quand on regarde les choses évoluer, on dirait que de plus en plus la corruption augmente. Cela veut dire qu’il y a un problème.

Moi, je crois que le problème, il faut le regarder lucidement : ‘’Est-ce que le fait, aujourd’hui, de prendre les biens de l’Etat au profit de sa famille, de son clan, de ses amis, est condamné par les Maliens ? Je ne suis pas sûr. Au contraire, c’est même apprécié. Mais, il n’y a qu’à regarder aujourd’hui ce que la société valorise. Quand tu sors et que tu n’as rien. Les gens disent que tu es un enfant maudit. Par contre, ceux qui ont puisé dans la caisse et qui ont distribué, on les appelle les enfants bénis et que leur pouvoir leur a servi à quelque chose. Mais, regardez ! Vous êtes Maliens. Je suis Malien. Quand tu sors du pouvoir et que tu n’as rien, les gens disent que ce n’est pas possible. Dès que tu sors, tout le monde est persuadé que tu es sorti avec des millions sinon des milliards. Le premier problème de la corruption est que nous avons des conduites sociales qui ne condamnent pas de prendre dans les caisses de l’Etat pour faire vivre sa famille, ses amis. Pour les gens, ils ne sont pas concernés par l’Etat. Par contre cela ne veut pas que dire notre société admet des voleurs. Il y a des choses auxquelles les gens ne touchent pas. C’est l’Etat, tout le monde dit que c’est l’Etat. Et l’Etat n’est censé concerner personne. Donc il nourrit leur famille, leur clan et leurs amis. Parce que c’est là où il y a de l’assurance ‘’ Si tu ne fais pas quelque chose, le jour où tu vas quitter, tu nous retrouvera ici. Parce qu’on n’a pas d’assurance…’’. Donc nous sommes dans un cercle vicieux. Tant que la société sera bienveillante sur la question, tant que le pillage des biens en faveur de sa famille, de son clan n’est pas condamné par la société, on restera comme ça. C’est mon point de vue sur la corruption. C’est une question de fond.

Entretien réalisé par Djibril SACKO et Chiaka DOUMBIA

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