Lettre ouverte au Professeur Diola Bagayoko : En réponse à son article « L''Expulsion et la Fuite des Cerveaux »

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Professeur Bagayoko, votre essai contient des points pertinents sur les Droits et Libertés Fondamentaux de l”Homme, et en particulier la place de choix qui doit être reconnue à la recherche, aux chercheurs et en général aux intellectuels.

Vous avez beaucoup insisté sur le rapport entre les pouvoirs publics et les intellectuels. Or soutenir que les intellectuels des 1ère et 2ème Républiques aient seulement voulu le développement du pays et de meilleures conditions de vie des populations, résiste mal à l”analyse.

Leur rhétorique a en tout cas semblé montrer le contraire. Partout dans les pays nouvellement indépendants – Tunisie, Guinée, Sénégal, Mali… -, les intellectuels des années 60 voire 80 ont cru qu”ils ne pouvaient exister que dans et par la contestation et la vindicte verbale bien grossières et souvent improductives à l’adresse des dirigeants. Rarement, ils ont cherché la collaboration. Rarement, ils ont approché les gouvernants avec déférence. Beaucoup ont conspué sans raison fondée les talents et niveaux d’instruction des dirigeants d’alors. Presque, tous ont aspiré à la direction du pays par les intellectuels donc eux y compris.

Moi, je prétends que le défaut de ces intellectuels se situe tant au niveau de leur rhétorique que de leur inclination pour le pouvoir: leurs communication et manière d”approcher le pouvoir sont éclairants! Considérez les relations on ne plus tendues entre Diallo Telli et Sékou Touré, entre Cheick Anta Diop et Léopold Sédar Senghor… etc. Les exemples sont multiples, pensez à Wole Soyinka du Nigéria, et plus récemment au regretté Ken Saro WiWa.

Si ces intellectuels n”avaient pas estimé que le pouvoir devait leur revenir – même Platon n”a pas osé une telle imposture -, s”ils n”avaient pas nourri d”ambitions personnelles légitimes selon eux par l”autorité de leur prétendu savoir, s”ils avaient approché le Roy comme il le sied, s”ils avaient émis des propositions et des idées ( neuves ) dans un esprit de collaboration et non d”affrontement, je soutiens qu”ils ne seraient ni frappés par la lex ni accusés d”offense au chef de l”Etat ou de crime de lèse-majesté. [Reconsidérer les procès Galilée, Condorcet, Socrate, Marie Olympe de Gouges, Copernic, Bruno de Giordano…etc.

Vous y trouverez un grand similaire avec le comportement de nos modernes : même prétention, même déficit de sobriété, même agacement ! Rappelons le fort de Socrate, qui consistait en l’humiliation publique et des dirigeants et des personnes lambda de la cité. De même, malgré la grande volonté du Pape Urbain VIII d’épargner à Galilée toute condamnation, celui-ci, tellement hautain, a refusé d’abjurer ses œuvres et convictions scientifiques. N’était-ce pas le même personnage qui criait à l’endroit de ses pairs universitaires jésuites et à son concurrent de grand nom Jonas Kepler « A moi seul a été donné le pouvoir de percer les mystères de l’univers, vous n’y découvrirez rien ! » Sans même lire les travaux de Jonas Kepler, Galilée a estimé qu’ils ne valaient rien. Parce que lui, Galilée avait décidé ! ]

Sans verser dans l”apologie de la communication (politique), les hommes de lumière ont rarement été de bons communicants. S”ils l”ont été alors ils avaient trop d”ego et trop peu de sens pratique pour se prêter à des concessions et penser la politique comme un art de conduire, diriger, déléguer, et non seulement comme un art de penser les institutions. [Relisez à ce propos, Réflexions sur la Révolution Française d’Edmund Burke, où celui-ci met à nu le manque de pragmatisme de la Constituante alors composée d”intellectuels sans influence ni expérience ou compétence politiques.]

Le grand Jésus dont on connaît la célèbre formule « Rendez à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu » n”a pas de son vivant réussi par l”astuce à enrôler les pharisiens et les publicains dans son école. Machiavel, lui, a par contre réussi à jeter les bases d”une science politique nouvelle en rentrant par ruse dans la grâce de Laurent de Médicis.

En conclusion à ce 1er point, j”avance que nos intellectuels – comme ceux de l”histoire – ont été soit des monarchistes soit des aristocrates ou des républicains très réactionnaires et au sens politique très peu éclairé sinon complètement idéel. Même Grassmann et Evariste Galois ont failli rater de peu leur entrée dans l”Histoire à cause d”une lourdeur de notations pour l”un, et d”une mauvaise communication pour l”autre! Puisqu”il s”agit de “ langage “, relisons Leibniz, Kant et surtout Hegel.

Un deuxième point de votre essai a aussi attiré mon attention. « La forte rémunération d”élus insuffisamment éduqués » semble ne pas rencontrer votre enthousiasme. De même, votre argumentaire donne à penser que le nombre d”années d”études doit linéairement ou proportionnellement déterminer le niveau de la rémunération. Pas vraiment d”accord…. Toujours d”après votre écrit, le médecin serait ainsi plus utile à la cité que le juge! Je ne pense pas, Professeur. Peut-être que vous ne vous êtes pas donné à lire de manière indiscutablement et facilement compréhensible? Alors, si c”est le cas, on reviendrait toujours au problème de communication c”est-à-dire de conceptualisation ou de théorisation. Une cité sans juge, est une cité sans loi ni droit. Elle se réduit alors à l”état de nature id est la jungle! Et le médecin n”y aura pas la tranquillité pour exercer; et l”humaniste non plus n”y aura pas droit de prêche!

Par ailleurs, la loi pose et dit l”égalité des citoyens. Et cette égalité en droits donc théorique et non de fait ne distingue ni le sexe ni la vertu ni la compétence de l’individu. Les individus candidats aux mandats électifs sont égaux pour solliciter le suffrage du peuple, pourvu qu”ils jouissent de leurs responsabilité et droits civiques. Donc bien sûr, un berger non instruit a tout droit de siéger à l”assemblée et même de briguer la magistrature suprême! Un élu étant entouré d’un staff, cette fois-ci très éclairé, est rarement la source de la décision politique.

Puisque représentants du peuple, encore faut-il que les élus de la Nation soient suffisamment rémunérés pour que leurs pensées puissent se fixer sur les problèmes et besoins du peuple et non sur les leurs. N”oublions pas que la corruption est essentiellement due à la faiblesse du niveau de rémunération!

Professeur Bagayoko, je tiens à vous rassurer que mon intervention est plus dans le sens de la collaboration et non dans celui du critique creux. En dernier lieu, j”affirme que diriger ne s”improvise pas, qu”il faut une vraie techne i.e. de la compétence technique politique. Elle suppose une claire compréhension du concept de la décision politique. La décision politique, qu”est-ce que c”est? Comment naît-elle? Quels processus ou itinéraires suit-elle?

En récapitulant, les intellectuels n”ont pas toujours été des personnes désintéressées, et n”ont pas toujours la capacité ni la compétence techniques requises dans le champ politique contrairement à leur prétention. Le Président Lula da Silva ne rencontre t-il pas l”adhésion de son peuple? Ne conduit-il pas son pays vers la prospérité?

Sans le juge disant la loi et le droit, qu”est-ce qui assurerait la reconnaissance de la propriété privée, sans laquelle, toute société se livre au pillage, au meurtre, au retour à la jungle? Si “ le médecin qui a au moins 20 ans d”études gagne nettement moins que le magistrat qui n”en a que 16 “, l”ingénieur ne gagne t-il pas mieux que l”ouvrier qui fournit beaucoup plus d”efforts? L”un se tue au travail, essayant de résoudre des équations compliquées, l”autre passe sa vie à la plage ou au tourisme: qui de l”ingénieur et du détenteur du capital est le mieux rémunéré?

Si on est tous d”accord pour soutenir l”augmentation du taux de la redistribution, on ne peut cependant pas fustiger nos institutions, correctes sur ce point: les niveaux des salaires ne sont certes pas hauts mais le décalage de rémunération entre les fonctions est respectable !

D’ailleurs loin de toute complaisance, la marche de développement du Mali et de l’Afrique en général est satisfaisante : il y a un peu moins d’une cinquantaine d’années, on n’existait pas encore ! Que d’étapes brûlées par rapport au temps de formation des Etats et de l’amorce du développement en Occident. Et puis, les régimes du temps des indépendances ne pouvaient pas penser le développement comme nous le concevons aujourd’hui. Parce que tout simplement, les concepts actuels n’étaient pas dans l’air du temps : le profit et l’argent n’avaient pas autant subordonné nos sociétés ; la liberté d’expression était un vain mot, et même dans une large mesure en Europe et en Amérique du Nord !

Bien fraternellement,

Sikou SEMEGA, étudiant et enseignant de Mathématiques et de Science Politique.


Lire Article du Pr Diola KONATE (26 Mai 2007) : L”Expulsion (et la fuite) des Cerveaux >

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