Pour beaucoup de Maliens, la scène paraît banale. Mais sous d’autres cieux, elle donnerait la chair de poule à plus d’un citoyen. En effet, en pleine circulation, un jeune garçon et un conducteur de taxi se livrent à une rixe sanglante aux pieds d’un policier. Ce dernier leur intime l’ordre de cesser le combat, mais ils restent sourds à sa sommation. Le policier s’avance alors pour les départager. Et après avoir tourné le dos, croyant avoir calmé leur ardeur, la bagarre reprend de plus belle. Entre temps, leurs engins, gisant sur le sol, obstruent la circulation. Sans compter les grossièretés qui sortaient de leurs bouches. Et c’est lorsque qu’ils ont retrouvé leur esprit que les deux bagarreurs décident de reprendre leurs engins pour disparaître en toute tranquillité. Oui, vous l’avez compris, les deux perturbateurs se sont taillés tranquillement, sans verbalisation, sans réprobation ni convocation encore moins une interpellation.
C’est dire qu’au Mali, l’adage selon lequel " la vue du gendarme est le début de la sagesse " n’est que pure chimère.
L’Etat se serait-il banalisé à tel point que ses symboles et sa personnification ne parlent plus au citoyen lambda ? Et ce phénomène gangrène tous les compartiments, même ceux qui sont considérés comme " l’incarnation de l’Etat dans sa toute puissance " à savoir la police, l’armée, la haute fonction publique, la diplomatie. En effet, partout, comme la mer après une marée, l’Etat recule. Ses agissements, ses manifestations et ses réalisations se démarquent à peine de ceux des simples personnes privées qui font souvent nettement mieux. En effet, au Mali, la mendicité de certains fonctionnaires à l’endroit des opérateurs privés n’est nullement un secret. Certains se traînent même à quatre pattes pour obtenir quelques pots de vin. Que ne font pas souvent nos diplomates postés à l’étranger, dans les administrations de leur pays hôte, pour obtenir une faveur ou une bourse ?
De cette décadence matérielle et morale, quelques-uns, qui se complaisent dans cette situation de déliquescence, se sont adonnés à toutes sortes de pratiques sordides : les hôpitaux et les administrations transformés en lieu de commerce, le racket sans vergogne, l’expropriation des biens d’autrui, la justice à plusieurs vitesses, la vente de produits illicites, sont devenus monnaie courante, quand l’Etat a purement et simplement demissioné. " Au Mali, tout est possible " s’est étonné un étranger.
Qui paie les frais ? Certes si le phénomène impacte toute la nation (notamment du fait de la corruption généralisée qui sous-tend cette faillite étatique et dont l’impact financier est inestimable), il est clair que ce sont les honnêtes citoyens, les dignes républicains (ceux qui sont respectueux de la chose publique), les légalistes qui sont les grandes victimes. Car il n’est pire situation que celle où certains acteurs suivent les règles du jeu et d’autres pas.
Il est donc grand temps que l’Etat se ressaisisse. Il n’est qu’au bord du gouffre. Il n’est pas tombé dans le précipice. " Notre pirogue tangue, il n’a pas encore chaviré " dira un poète. De ce fait, l’Etat peut redresser la barre. Et il en a les moyens. La preuve, la courte sortie musclée des forces de sécurité lorsque les vols de motos et les attaques des conducteurs de deux roues étaient devenus insoutenables pour les habitants de Bamako, au cours de la seconde moitié de l’année 2009, a non seulement permis de diminuer sensiblement la terreur, mais surtout restauré la confiance des citoyens en leur force de sécurité.
Autre preuve que si les dirigeants veulent, ils peuvent -en laissant de coté tout calcul politicien, électoral ou népotiste- c’est la réaction prompte et efficace avec laquelle l’armée a châtié ceux qui ont tué, de sang froid à son domicile (encore une preuve de la négligence en matière de sécurité des personnes et des biens), le Colonel Sidi Ould Lahmana Bou, de la sécurité d’Etat.
Enfin, pour coller à l’actualité, rappelons l’emprisonnement de certains cadres du ministère de la Santé impliqués dans des malversations du Fonds Mondial. Mais la question que tout le monde se pose est de savoir si la logique de fermeté ira jusqu’au bout. Que Dieu sauve le Mali !
Mamadou Lamine DEMBELE