L’ex-dictateur du Niger, Mamadou Tandja, avait dit un jour : "le peuple me réclame ; je dois continuer mon œuvre". Auto-satisfecit, paranoïa, mégalomanie, culte de la personnalité, certains hommes s’amusent souvent à se faire perdre. "Après moi, tirez l’échelle" ou "après moi, c’est le déluge", on sait qu’une seule hirondelle ne fait pas le printemps et que le règne d’un seul homme ne peut être éternel. Après avoir franchi le Rubicon, Jules César le conquérant des Gaulles s’était aussi autoproclamé dictateur à vie devant le Sénat romain. César pourtant était un grand homme mais son règne fut éphémère, car assassiné aux ides de mars par son propre fils adoptif Brutus.
Le 25 avril 1974, au Portugal, une révolution dirigée par les capitaines (révolution des œillets) sous la férule du général Antonio de Spinola mit brutalement fin au long règne tyrannique de la clique Caetano-Salazar. Nonobstant la pratique des hommes, l’UDPM avait un bon principe qui disait : "un seul parti, oui ! Un seul homme, non !".
Autant dire qu’après Bourguiba, Franco, Hasting Kamuzu Banda du Malawi, le temps de la présidence à vie est terminé. Comme le disait feu le doyen Boubacar Kéïta (paix à son âme) la roue de l’histoire tourne et nul ne peut l’arrêter. Plus malin et plus malien que le diable, le président Amadou Toumani Touré a bien compris le sens de l’histoire. Ayant mieux fait que Tandja, ne pouvait-il pas dire lui aussi que "J’y suis, j’y reste ?". Au contraire, il a décidé de passer la main. Au demeurant, personne ne pouvait l’obliger à annoncer prématurément sa retraite. Il l’a fait de toute bonne foi pour couper court aux ragots, aux supputations et pour rassurer les hommes politiques dont certains sont prêts à le mettre en quatre au cas où… Comme Tandja, il pouvait pourtant ruser, finasser, atermoyer, jouer au dilatoire pour… Mais l’adage dit que la parole d’un gourmet n’est jamais prise en compte lors du dépeçage du gigot. C’est ainsi que la promesse d’ATT de se retirer n’a jamais été considérée comme parole d’évangile. Allégations, suspicions, supputations vont bon train.
Ce faisant, il continue d’essuyer les tirs de barrage de quelques intellectuels malhonnêtes qui voient à travers les réformes proposées par la commission Daba le moyen le plus sûr pour le président de se maintenir à Koulouba. C’est un piège à rat, disent les uns ; c’est un nid de guêpe, disent les autres. Depuis quand le loup est devenu agneau, d’aucuns s’interrogent. Quand on veut duper son peuple, estime t-on encore, on lui brandit d’une main le rameau d’olivier alors qu’on tient dans l’autre le couteau assassin. Tout se passe comme si on se trouvait dans la fable de La Fontaine "Le coq et le renard". Pour autant que l’on sache, la commission Daba n’a pas touché à l’article 30 de la Constitution relatif à la limitation du mandat présidentiel. Elle a même recommandé son maintien.
Cependant, le pire était encore à venir. La création d’un parti d’obédience présidentielle a davantage contribué à alimenter la chronique. Ce que le président n’a pas pu faire avec Daba Diawara, disent-ils, il tente de le faire avec ses ouailles. Sur la grande place publique les inquisiteurs ont déjà dressé le bûcher. Pour le grand prêtre Torquemada, le PDES n’est qu’un paravent. Selon lui, pourquoi ATT, après avoir longtemps refusé la création d’un parti politique, a-t-il fini par donner son onction ? Ce faisant, ce nouveau-né est un tremplin idéal pour le locataire du palais qui au moment opportun laissera tomber le masque. Et ses hommes pourront alors dire : "le président est de nouveau partant, rebelote, il a fait beaucoup de réalisations, il doit continuer son chemin pour le plus grand bonheur du peuple malien". Et ATT va prendre les rênes du parti tout comme on soupçonne Alpha de revenir à la tête de l’Adema. Ainsi de la politique fiction aux calculs surréalistes, même les analystes chevronnés succombent à des délires fantasmagoriques. Le bouillant Ahmed Diane Séméga sera t-il la voix de son maître? Même à voir tout le zèle qu’il déploie pour défendre l’héritage de son mentor, ce scenario paraît des plus improbables. Le fait est que ATT étant sûr de son départ, il veut donner leur chance à d’autres, surtout à ses amis. Et c’est de bonne guerre. C’est vrai que la création du PDES a jeté un froid sur la classe politique. C’est contre mauvaise fortune que les ténors des grandes formations ont fait bon cœur. Ce monstre sacré constituera indubitablement en 2012 l’ennemi public numéro un contre lequel il faut former la sainte alliance. Et ce sera à la guerre comme à la guerre. Car avec tous ces mastodontes le camp présidentiel est perçu déjà comme un éléphant venu se promener dans un magasin de porcelaine.
Mamadou Lamine DOUMBIA