Doumbi-Fakoly parle de « La Maitresse du Président » : L’enseignant, les journalistes et le procureur…

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Citée en exemple, un peu partout dans le monde, la démocratie à la malienne vient d’être sérieusement égratignée par un fait divers des plus banals, survenu au cours du mois de juin 2007.rn

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Ce fait divers insignifiant est un sujet de dissertation, d’à peine une demie page, traité, hors de son contexte scolaire, d’une manière curieuse par un procureur de la République, Sombé Théra, autoproclamé avocat du chef de l’Etat.

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Intitulée « La maîtresse du président de la République », la dissertation, une pure fiction inspirée d’un fait de société, insupporte le magistrat, au plus haut point.

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Car, au terme d’une étrange réflexion, il a identifié le chef de l’Etat du Mali, parmi tous les chefs d’Etat du monde, à travers la description des mœurs légères tout à fait imaginaires du non moins imaginaire président de la République de la dissertation. C’est, d’ailleurs, le seul et unique personnage identifié par lui dans la pléthore de protagonistes obscurs de ce tout petit texte.

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Même le personnage central, la jeune prostituée « économique », qui a piégé son client de président en lui collant la paternité de sa grossesse, n’a pas ému le défenseur de ce dernier et encore moins fait vibrer sa fibre patriotique prompte à voler au secours de la République.

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Pourtant, en demandant à ses élèves de commenter le comportement de la jeune fille dévoyée, et d’elle seulement, l’enseignant, auteur de la dissertation a, à l’évidence, voulu faire réfléchir ses apprenants, futurs responsables du pays, sur un fait de société d’une actualité criarde.

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En éducateur conscient de son rôle de formateur de citoyens en prise directe avec les réalités sociales, Bassirou Kassim Minta, qui a choisi de rédiger le support de la dissertation plutôt que de puiser dans un ouvrage quelconque, a cru, et à juste titre, à la liberté de création et d’expression garantie par une démocratie, même naissante. Seulement, le Mali, aussi, regorge de forces centrifuges conscientes ou inconscientes qui ont des rapports difficiles avec la démocratie.

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En ordonnant, de sa propre initiative, l’arrestation du professeur de français pour « offense au chef de l’Etat » et de plusieurs journalistes, dont les journaux ont reproduit et commenté la dissertation, pour « complicité d’offense au chef de l’Etat », le procureur de la République a posé un acte fort dont il n’a pas pris la précaution de mesurer toutes les conséquences.

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Graves conséquences que n’atténueront pas les peines « de compromis » infligées aux prévenus : deux mois de prison ferme à Bassirou Kassim Minta et sa radiation de l’Education nationale ; huit mois de prison avec sursis et 200 000 F CFA à Sambi Touré (Info-Matin) ; treize jours fermes et 100 000 F CFA à Seydina Oumar Diarra dit SOD ; quatre mois de prison avec sursis et 200 000 F CFA d’amende à Hameye Cissé (Scorpion), à Alexis Kalambry (Echos) et à Birama Fall (Le Républicain).

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Graves conséquences amplifiées par le déroulement à huis clos de l’audience, décidé par le procureur de la République et le président du Tribunal, Moussa Sara Diallo, au prétexte de la « préservation des mœurs », et boycotté, en accord avec leurs clients, par les avocats de la défense qui n’entendaient pas cautionner une parodie de procès.

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Première grave conséquence : en voulant nettoyer l’honneur du président de la République éclaboussé par on ne sait quelle boue, le procureur de la République a jeté son protégé en pâture aux rumeurs de longue date qui alimentent les « grins » de Bamako et d’ailleurs sur les frasques extraconjugales des hauts responsables du pays.

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Deuxième grave conséquence : en lisant une pure fiction comme un récit historique ou une biographie, le procureur de la République a jeté le discrédit sur la capacité d’analyse des membres de sa corporation au nom de qui il a agi et qui ne l’ont pas désavoué, sans doute par solidarité.

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Troisième grave conséquence : en s’attaquant à un enseignant dans l’exercice stricte de sa fonction, le procureur de la République a violé l’espace pédagogique de l’école où sont formés les responsables du pays, comme lui-même, hier seulement.

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Quatrième grave conséquence : en s’attaquant à des journalistes dont l’éthique recommande d’être l’écho vivant de leur société, la voix des sans voix, le procureur de la République rappelle l’époque révolue où la presse n’avait de raison d’être que le « griotisme » en faveur du pouvoir en place.

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Cinquième grave conséquence : du fait de son acharnement contre les droits sacrés d’éduquer et d’informer, le procureur de la République a provoqué une énorme déception et une grande amertume chez les amis du Mali, hier totalement conquis par sa pratique de la démocratie.

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Une neutralité ambiguë

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Cependant, il faut reconnaître que si le haut magistrat a pu aller au bout de sa terrible logique, c’est parce qu’il a pu tirer profit du comportement de la grande majorité de ses compatriotes dont quelques-uns ont fait preuve de négligence coupable et d’autre d’indifférence inexplicable.

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A commencer par le chef de l’Etat lui-même, principal intéressé, qui continue de se comporter comme s’il n’était pas concerné. Mauvaise stratégie que le refuge dans le silence qu’il a choisi d’observer. En tant qu’officier supérieur, il devrait savoir que la même stratégie n’est pas forcément applicable à deux situations identiques ; car tout dépend du contexte de la survenance des situations en question.

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Ainsi, si « l’affaire du Sphinx » a pu être perçue par lui-même comme une agression et a pu être gérée par l’indifférence et le silence, le traitement de « l’affaire la maîtresse du président de la République » perçue par d’autres que lui comme une agression à son endroit ne peut souffrir l’indifférence, la négligence, le silence de sa part.

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Sa neutralité ambiguë suscite un certain nombre d’interrogations. Se sent-il vraiment ciblé par l’enseignant et pour quelles raisons mystérieuses ? A-t-il mandaté secrètement le procureur de la République pour agir en son nom ? A-t-il des conseillers prêts à perdre leurs bons d’essence en lui disant la vérité ? A-t-il encore des amis d’enfance avec qui il a chassé les margouillats et les oiseaux, fait les 400 coups un peu partout dans le pays et capables de se brouiller avec lui s’il n’accepte pas la vérité ? Les sollicite-t-il ? Mais peut-être que le président de la République n’écoute et n’entend que sa seule parole !

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Il y a ensuite, l’indifférence du ministère de l’Education nationale, de tout le corps enseignant et de la direction du lycée Nanaïssa Santara où Bassirou Kassim Minta a cru pouvoir satisfaire sa passion d’enseigner aux fins de contribution à la formation de la relève de demain.

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Pas le moindre petit doigt ne s’est levé dans ces trois institutions pour défendre cette grande victime de la démocratie malienne qui vient d’amorcer un tournant inquiétant. Pourtant, une grève nationale soutenue par des manifestations pacifiques déterminées n’auraient pas manqué de faire reculer le procureur de la République, de lui-même, ou alors contraint et forcé d’en haut.

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Il y a enfin, l’attitude des médias nationaux qui ont semblé résignés, n’ayant pas compris que leurs divergences idéologiques doivent être reléguées au second plan devant une menace qui pèse sur toute la corporation. L’arrestation arbitraire d’un  journaliste, a fortiori de plusieurs journalistes, invitait à une union sacrée immédiatement opérationnelle au travers d’une grande mobilisation.

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Cette grande mobilisation aurait pu consister en la publication et le commentaire de la dissertation dans les colonnes de tous les journaux, et à l’antenne de toutes les stations de radio. Ainsi, à moins de s’enferrer dans des contradictions insolubles, le procureur de la République aurait été contraint d’enfermer tous les journalistes de son pays ou alors de choisir la voie de la sagesse : en libérant ses victimes.

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Quant au président de la République, c’est la voix de la sagesse qui l’invite à rouvrir le dossier mal ficelé, ici et maintenant. En tant que premier magistrat de l’Etat, il gagnerait à ordonner un second procès destiné à réinstaller l’enseignant et les journalistes dans leurs droits, tous leurs droits.

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En clair, l’annulation de toutes les peines, de toutes les amendes, la réintégration de Bassirou Kassim Minta dans l’Education nationale, et le paiement de dommages et intérêts à toutes ces victimes d’un abus de pouvoir judiciaire.

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Pareille attitude responsable et courageuse contribuerait à toiletter sa propre image et celle de son pays fortement dégradées, non pas par le sujet de dissertation, mais par l’inqualifiable comportement bizarre du procureur de la République.

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Doumbi-Fakoly

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(auteur)

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