Dépigmentation : Le business des produits éclaircissants

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De nombreuses femmes maliennes préfèrent encore se dépigmenter afin d’avoir une peau claire ou pour paraître plus attirantes. C’est un véritable business lucratif pour les promoteurs de produits de beauté. 

La dépigmentation est déconseillée par les dermatologues. Malgré cette réticence des spécialistes de la peau, les femmes sont toujours plus attirées par ces produits par rapport aux autres crèmes pour le corps. Cela à des fins de beauté.

Promoteur d’une boutique de vente de produits de beauté à Sogoniko, en Commune VI du district de Bamako, Cheicknei Keita vit de ce métier grâce aux achats massifs de ses fidèles clientes, depuis deux décennies.

Selon lui, le corps est une chose qu’on doit vraiment entretenir. « Les produits éclaircissants que je vends sont vraiment hyper efficaces. Je reçois de nombreuses femmes par jour. Aussi des hommes qui viennent me consulter pour leur donner des meilleurs produits pour l’entretien et l’éclaircissement rapide de la peau de leur partenaire », explique-t-il.

Si le commerçant exporte la plupart de ses produits, souvent il passe par l’intermédiaire des grossistes afin de satisfaire sa clientèle. « Parfois par manque d’argent, je passe la commande avec des grandes boutiques de luxe beauté au Grand Marché de Bamako, qui me fournissent les meilleurs produits que les femmes aiment», explique Cheicknei.

Il existe des produits qui dépigmentent plus rapidement que d’autres, alors les femmes n’épargnent aucun mélange qui peut les aider dans le processus.

Dans sa boutique, Cheicknei connaît les préférences de ses clientes. Il énumère une longue liste de produits éclaircissants les plus achetés par les femmes. Les prix varient entre 2 000 et 2 500 F CFA, souvent plus. « Mes clientes sont toujours satisfaites et contentes de mes produits. C’est la raison pour laquelle je reçois de nombreuses femmes par jour », se vante-t-il.

Comme Cheicknei, le commerce des produits éclaircissants est très lucratif au Mali. Dr. Salah Sow, chef de l’Unité dermatologie du Centre de Santé de Référence (CSref) de Sogoniko, explique les raisons qui poussent ces femmes à se dépigmenter. « La faute revient de nos jours aux hommes », constate le dermatologue. « Généralement les hommes tendent vers les femmes qui sont claires. Beaucoup de femmes se dépigmentent à cause de cela. J’ai même échangé une fois avec une patiente qui avait des problèmes d’acné sur son visage. Elle m’a clairement confié qu’elle ne pouvait pas arrêter d’utiliser les produits éclaircissants parce que son mari tournait le dos à chaque fois qu’il voyait une femme de teint claire. Raison pour laquelle elle s’est mise aussi à utiliser ses produits éclaircissants », précise le médecin.

Pour le spécialiste, le complexe pousse des femmes à s’adonner à cette pratique. Mais, rappelle-t-il, malgré cette situation, quelques rares femmes préfèrent toujours garder leur peau d’ébène naturelle. Même si beaucoup reconnaissent que l’entourage joue un rôle déterminant dans le processus de la dépigmentation.

« La plupart des campagnes publicitaires des produits de beauté ou de nourriture sont faites par des personnes de teint claires comme si la beauté ne réside que chez les personnes de teint clair », a-t-on constaté au Mali.

 

Dr. Salah Sow, Dermatologue :

« Les produits éclaircissants ont des conséquences à court et long termes »

Selon Dr. Salah Sow, chef de l’Unité dermatologie au CSref de Sogoniko, la dépigmentation est un phénomène très dangereux pour la peau.

Salah Sow

Mali Tribune : Qu’est-ce que la dépigmentation ?

Dr. Salah Sow : La dépigmentation, par définition, est comme la décoloration. C’est-à-dire essayer de changer la couleur de la peau. Par exemple, les peaux noires qui cherchent à blanchir leurs peaux. Les blanches aussi pour faire bronzer la leur. C’est ça qu’on appelle la dépigmentation.

Mali Tribune : Quelles sont les conséquences de l’utilisation des produits éclaircissants ?

Dr. S. S. : L’utilisation des produits éclaircissants a beaucoup de conséquences sur notre peau, surtout en Afrique.

La dépigmentation détruit la mélanine qui nous protège contre les rayonnements solaires. Dès que tu détruis ça, tu t’exposes à toutes les maladies de la peau. Comme les dermatihofixies, l’acné, l’hypertension artérielle, le diabète et même le cancer de la peau qui est fréquent chez les dames qui se dépigmentent.

Mali Tribune : Est-ce que les produits cosmétiques éclaircissants vendus dans des pharmacies, sont autorisés sur la peau ?

Dr. S. S. : Ce n’est pas autorisé. Il y a des produits qu’on utilise à la pharmacie tels que les crèmes du jour. Les dermatologues demandent toujours d’enlever l’hydroquinone dans certains produits. C’est l’hydroquinone-là même qui pose des problèmes chez les dames. C’est ce qui provoque les boutons sur les visages, qui fait affaiblir la peau et détruit les mélanines. Donc on le déconseille.

Sinon il y a des produits qu’on vend à la pharmacie qui font éclaircir, mais ce n’est pas pour l’effet éclaircissant que les pharmaciennes les vendent. C’est pour une autre maladie de la peau qu’on appelle essaimage. C’est utilisé très généralement pour les allergies cutanées pour casser un peu l’inflammation.

Mali Tribune : Recevez-vous des gens qui ont développé des problèmes liés à la dépigmentation ?

Dr. S. S. : Tous les jours je reçois des gens qui ont développé des problèmes liés à la dépigmentation.

Mali Tribune : Ces patients souffrent-ils de quoi généralement ? 

Dr. S. S.: Ils se plaignent surtout des tâches sur les corps. On utilise ces produits pour chercher l’effet d’éclaircissement surtout chez nous en Afrique. Alors qu’avec le soleil ces produits ont un composant qui absorbe la lumière. Ce qui fait que quand tu mets ces crèmes sur le corps, les zones décolletées, c’est-à-dire les zones qui ne sont pas couvertes par l’habillement, deviennent noires. Les femmes même l’appellent « goudron » « fard ». Nous l’appelons ” ocronose ” c’est-à-dire ça siège au niveau des décotes, des visages, le haut de la dot, ensuite au niveau du bras sur certaine personne.

Mali Tribune : Est-ce que l’utilisation excessive de ces produits a des conséquences à long terme ? 

Dr. S. S. : Oui. Les conséquences à court terme donnent à la peau le tricône. Tu trouveras qu’il y a des parties du corps qui sont plus foncées que d’autres. C’est ce que les dames même n’aiment pas. A long terme, sa peau donne de la vergeture, des maladies comme atteinte rénale, le diabète, etc. Ils peuvent même développer chez certains l’hypertension artérielle à long terme.

Mali Tribune : Quelqu’un qui abandonne la pratique peut-il encore retrouver son teint normal ? 

Dr. S. S.: En les recevant, on se met d’abord dans la peau d’un psychologue. C’est important de préparer le malade. On informe au début du traitement qu’elle va noircir plus que le teint normal. Ensuite la peau va se renouveler jusqu’à son teint normal. Mais ce n’est pas du jour au lendemain. Ça peut prendre des mois. Si la malade est prête pour ça, il n’y a pas de problème. Mais très généralement, dès que les femmes commencent ce traitement et qu’elles constatent qu’elles noircissent beaucoup reprennent les produits.

Mali Tribune : Quel conseil donnez-vous à la population ?

Dr. S.S.: Il faut qu’elle comprenne que la dépigmentation n’est pas une bonne chose. Tu dépenses de l’argent pour t’éclaircir la peau et tu vas débourser encore plus pour traiter les conséquences.

FATOUMATA TRAORE, UNE DEPIGMENTEE

« Mes remords »

Pour Fatoumata Traoré, pour être belle, il fallait obligatoirement avoir une couleur de peau blanche. Utilisatrice des produits éclaircissants depuis plus de 10 ans, Fatoumata Traoré regrette cette décennie qui, selon elle, a détruit sa vie.

Après dix ans d’utilisation, Mme Traoré regrette aujourd’hui cette décision. Avant la signification de la beauté était la couleur blanche. « J’ai commencé à me dépigmenter parce que je ne me suis jamais sentie bien dans ma peau. Mon mari me disait à chaque fois que je serai plus belle avec un teint clair et qu’il m’aimerait encore plus. J’ai donc commencé à utiliser les produits éclaircissants à l’âge de 25 ans. A l’époque, je ne voyais aucun inconvénient. Mon mari me soutenait. Il m’achetait même les produits », raconte l’utilisatrice.

Elle explique comment elle a atteint le point de non-retour. « Je mélangeais différents produits à la fois tellement que j’avais hâte de me sentir dans la peau d’une blanche. Cela signifiait beauté pour moi ainsi que pour mon mari. Avec le temps, je suis passée de noir en chocolat. Ensuite, toute la famille m’enviait en me demandant tout le temps de leur donner mon secret que je refusais de donner avec fierté », se souvient-elle.

Des années ont passé. Fatoumata vivait bien dans son nouveau corps avec son mari jusqu’au jour où elle se réveilla avec des boutons rouges sur le visage. Ce jour reste gravé dans sa mémoire. « Les boutons sur le visage me grattaient énormément. Avec mon mari, nous sommes allés voir un dermatologue qui m’a conseillé de laisser ces produits-là.  Je l’ai bien écouté en suivant ses instructions. Quand j’ai commencé le traitement, mon corps a commencé à se noircir comme du charbon. Le regard que les gens ont sur moi m’a poussée à reprendre les produits », confie-t-elle. Remords dans la gorge. Elle poursuit : « aujourd’hui, je déteste mon corps. Je déteste vraiment la femme que je suis devenue. Tous ceux qui m’enviaient et qui m’appréciaient me regardent aujourd’hui avec du dégoût et de la pitié. Quant à mon mari, il ne me regarde même plus dans les yeux quand il me parle. Si je le savais, je ne me serais jamais mise dedans. Qu’Allah le tout puissant me pardonne et me donne la force de m’accepter comme je suis », affirme-t-elle, impuissante.

Désespérée, Fatoumata affirme avoir failli se suicider.

« Je déconseille vraiment l’utilisation des produits cosmétiques et éclaircissants. Il faut l’arrêter vraiment avant qu’il ne soit trop tard. Avec le temps, j’ai compris que rien ne vaut la beauté naturelle. Changer la couleur de sa peau ne sert absolument à rien », conseille-t-elle.

MICRO-TROTTOIR 

Que pensez-vous de la dépigmentation ?

Youssouf Diallo (responsable de ressources humaines) :

« Je suis contre la dépigmentation. Pour moi, c’est un complexe d’infériorité de la part des femmes et des hommes. Rien ne vaut de s’accepter et d’aimer la couleur de sa peau comme telle. Vouloir imiter l’autre en utilisant les produits éclaircissants et injections n’attirent que des problèmes et des maladies ».

Adama Condé (promoteur de motos taxi) :

« La dépigmentation est une perte d’argent. C’est de s’attirer des maladies avec son propre argent. Ce n’est vraiment pas bon de changer la couleur de sa peau en une autre. D’ailleurs l’islam est contre cela ».

Fatoumata Dembélé (commerçante) 

« La dépigmentation n’est vraiment pas une bonne chose. Je la déconseille à toutes mes sœurs. Rien ne vaut vraiment la peau naturelle. Le fait d’envier une autre couleur de peau ne t’attire que des problèmes ».

Fousseni Traoré (boutiquier) 

« Je suis musulman. Ma religion est contre tout ce qui n’est pas naturel. Le fait de se dépigmenter pour ressembler à quelqu’un d’autre est un péché. Se dépigmenter n’attire que des problèmes, des boutons, des vergetures, des tricônes à la peau. Sans mentir, rien ne vaut vraiment la beauté naturelle. Je conseille à mes sœurs musulmanes d’arrêter vraiment de se dépigmenter ».

Aboubacar Sidiki Diarra (étudiant) 

« Les femmes se dépigmentent pour les hommes. Elles le font pour eux. Question d’être plus attirantes, sexy, vu que la majeure partie des hommes préfèrent les femmes de teint clair qu’au teint noir. C’est ce qui explique la dépigmentation de plusieurs femmes. Prendre soin de son corps est tout à fait normal, mais l’excès de toute chose est nuisible ».

 

Dossier réalisé par

Adam Traoré 

(stagiaire)

 

 

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1 commentaire

  1. POLITIQUE
    Il y a trente ans éclatait la « guerre de Noël » entre le Mali et le Burkina Faso
    Le 25 décembre 1985, l’armée malienne lançait une offensive en territoire burkinabè. Officiellement déclenchée en raison d’un litige frontalier dans la bande d’Agacher, cette seconde « guerre des pauvres » constitue surtout l’apogée de plusieurs mois de tensions entre le Mali de Moussa Traoré et le Burkina Faso de Thomas Sankara.

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