Transition politique au Mali : Pourquoi réduire la mission de la transition à la seule organisation des élections ?

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“Ceux qui sont pressés de prendre le pouvoir, sachez que si j’échoue aujourd’hui vous allez échouer demain. Ces propos sont du regretté général Amadou Toumani Touré ancien chef d’État, alors président du Comité militaire pour le salut du peuple (CTSP), organe dirigeant de la transition qui a été mise en place après le départ forcé du général Moussa Traoré suite à un soulèvement populaire, en 1991, parachevé par  le coup d’État conduit par le même général président, d’alors lieutenant- colonel.

Trente ans après, nous voilà vivre les mêmes réalités. Loin d’être un prophète mais il apparaît évident qu’aujourd’hui l’histoire lui donne raison. Si le combat  contre la dictature du général Moussa Traoré et l’avènement de la démocratie ont été salués, force est de constater qu’aujourd’hui la déception  dépasse la hauteur des attentes. Les Maliens avaient misé beaucoup sur cette démocratie pour une amélioration conséquente de leurs conditions de vie. Tous avaient pensé qu’avec cette liberté démocratique retrouvée au prix le plus fort, rien n’allait plus être comme dans le passé. Ils avaient pensé que la gestion concertée du pouvoir serait une opportunité pour chacun et pour tous d’apporter sa pierre à l’édification nationale pour le bonheur partagé. Mais, hélas! Aujourd’hui, grande est la déception. Cet espoir immense né à la suite du renversement du régime dictatorial du général Moussa Traoré s’est vite transformé en illusion. Au lieu de voir leurs conditions de vie améliorées, les Maliens assistent impuissamment à l’émergence d’une oligarchie financière qui s’est accaparée de toutes les ressources du pays.

Que de pillages, de corruptions, que de gabegies qui ont marqué cette démocratie que vive notre pays. C’est pour quoi, les Maliens dans leur grande majorité ont protesté et continuent de protester pour un changement dans la gestion des affaires du pays, un changement à valeur d’une thérapie de profondeur pour débarrasser notre pays de ces maux qui entravent son développement. Ce qui justifie d’ailleurs ces soulèvements populaires couronnés par des interventions militaires. De 1992 à 2021, notre pays vient de connaître quatre coups de force ayant conduit à des démissions de présidents  démocratiquement élus. Comment expliquer cet état de fait dans une démocratie ? Voilà, telle est, à notre avis, la principale question que chacun de ces acteurs politiques doit se poser.

Loin de jeter l’anathème sur l’autre, il s’agira à notre avis d’interroger notre histoire démocratique  et poser les vrais diagnostics afin d’apporter la thérapie nécessaire pour prémunir notre pays d’éventuel récidive. Mais, au lieu de s’engager dans cette dynamique de réflexion pour sortir notre pays définitivement de ce cycle infernal d’irruption des militaires sur la scène politique qui n’honore ni les politiques ni notre pays, l’on assiste  plutôt à une véritable course au pouvoir. Tous semblent être préoccupés par le désir de récupérer ce qui semble leur échapper tel un lion à la poursuite de sa proie.

L’histoire nous a donné par trois fois: 2012, 2018 et voilà en 2021 encore,  l’occasion de changer le paradigme de la gestion de notre pays  mais que faisons nous de cette chance qui nous est  offerte ainsi pour sauver notre pays du chaos ?  Rien. La recherche de l’intérêt personnel nous empêche de voir l’intérêt général et pour tant dans les discours, personne ne manque de mentionner la recherche du bien- être général comme le fondement de sa politique et la raison fondamentale de son combat.

Pourquoi cette course au pouvoir ? Pourquoi cet acharnement à vouloir tenir coûte que coûte les élections aux dates pré-indiquées ? Certains nous dirons certes que c’est pour le respect des engagements pris vis- à- vis du Mali et de la communauté internationale, d’autres nous diront que c’est un  délai fixé par la communauté des États d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO).

Ainsi, soit-il. Mais le respect de délai primerait-il sur le futur de notre pays ? Faut-il aller aux élections parce qu’il faut aller aux élections ? Si nous devons réduire la mission de la transition à la seule organisation des élections, sur quelle base ces élections vont-elles être organisées quand nous savons qu’il est impossible de construire du nouveau sur l’ancien ? Et nous tous savons pertinemment que le nouveau Mali dont rêve aujourd’hui notre peuple ne saurait être une réalité sans une véritable réforme en profondeur. Et nul n’ignore également  que cela demanderait  certes plus d’efforts et plus d’engagement mais aussi un peu  plus de temps. Pour construire un nouvel édifice et pour qu’il ne s’écroule pas au bout de quelques années il est obligatoire de bien poser ses fondations et cela ne peut se faire dans une contrainte de temps.

Nous ne prêchons pas pour  autant pour une transition sans fin, loin de là. Mais nous pensons qu’il est impossible d’aboutir à quelque chose de solide de durable dans la précipitation. En voulant coûte que coûte aller aux élections sans poser les jalons nécessaires d’une véritable refondation, il est clair pour nous que nous ne serons pas à l’abri de cet éternel retour à la case départ. Il est temps pour nous de tirer les leçons du passé pour laisser de côté nos intérêts personnels et taire nos égoïsmes pour penser ne serait qu’une fois à l’avenir de notre pays qui est le futur de nos enfants.  Rousseau ne disait-il pas ceci, dans le “Contrat social“, “… les sentiments humains naturels sont les mêmes. Au cas donc où la méchanceté régnerait d’avantage et où le nombre de fautes commises serait plus considérable dans une certaine nation que dans une autre, une conclusion évidente ressortirait d’une telle suite d’événement ; cette nation n’aurait pas été instituée dans un esprit suffisant de sagesse. Donc, il nous revient notre devoir de repenser nos actions, chacun à son niveau, vis- à- vis de notre héritage commun qui est le Mali, poser la problématique essentielle et trouver ensemble les solutions idoines  consensuelles pour le bonheur de notre peuple qui n’a que trop souffert. Cela plus qu’une nécessité, est un impératif qui s’impose aujourd’hui à nous en tant que dirigeants de notre destin commun. Il doit se faire avec le maximum de réflexion et  d’objectivité et pour cela la précipitation ne saurait être la bienvenue.

Daouda DOUMBIA

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  1. “En voulant coûte que coûte aller aux élections sans poser les jalons nécessaires d’une véritable refondation, il est clair pour nous que nous ne serons pas à l’abri de cet éternel retour à la case départ.”

    “Refondation”. Ceux qui font usage de ce mot fourre-tout ne prennent jamais la peine d’en donner une définition précise et d’expliquer aux maliens ce qu’ils mettent dans ce terme. C’est dommage pour la qualité du débat public.

    “Refondation”. Il faut être bien naïf pour croire qu’une énième rencontre à Bamako entre quelques personnes et groupes qui ne représenteront rien d’autre qu’elles-mêmes suffira à impulser la “refondation” du Mali, voire à rendre possible sur le plan constitutionnel la révision de la loi fondamentale du Mali.

    Les acteurs et analystes politiques qui nous rebattent les oreilles avec ce mot “refondation” sont dans la continuation des vieilles recettes et pratiques, faites de palabres inutiles, qui n’ont rien donné de bon au Mali et ailleurs dans le monde.
    Et croire qu’il sera possible dans le contexte actuel au Mali, caractérisé par l’occupation du territoire national, de réviser ou de changer la Constitution du Mali pour “refonder” le pays, sans tenir compte du fait qu’il s’agira non de refonder mais d’appliquer constitutionnellement le volet politique et institutionnel de l’accord d’Alger, relève d’une forme de cécité intellectuelle et/ou de mauvaise foi.

    Le contexte politique, sécuritaire, économique et géopolitique est complètement différent dans le Mali de 2021 par rapport à celui de 1991. Il n’y a actuellement rien à refonder puisque la Constitution actuelle du Mali est moderniste et la législation et la réglementation d’application sont foisonnantes.
    La priorité est d’amener, par la pédagogie et la contrainte, le maximum de Maliens, gouvernés et gouvernants, à respecter la Constitution et les lois existantes pour avancer. La priorité, c’est aussi de trouver les moyens de libérer le territoire national de l’emprise des terroristes séparatistes et religieux.
    Entre-temps, rien n’empêche les autorités actuelles de transition d’adopter des nouvelles lois pour assouvir leur soif de refondation du Mali. C’est à la Constitution qu’elles ne peuvent pas et ne doivent pas toucher. Elles n’en ont ni le pouvoir politique ni la compétence juridique de nature constitutionnelle, dans un contexte sécuritaire qui est au demeurant défavorable à tout projet de révision de la Constitution qui doit obligatoirement passer par la validation populaire lors d’un referendum organisé sur l’ensemble du territoire national.

  2. C’est dommage pour ce cas Choguel qui commence à ressembler au terme “pousse-toi que je me met”, il faut que le PM donne des signaux forts pour convaincre les citoyens maliens d’aujourd’hui, totalement découragés par les comportements de nos hommes et femmes politiques qui s’affichent comme des diables et des Satan sans aucune parole d’honneur. Pour une fois, il faut que ce PM sauve la face sombre des politiciens maliens eu égard à leur peuple, un peuple malien totalement braqué contre les politiciens maliens. Le PM doit savoir qu’il est en période de test afin que les citoyens maliens gagnent un peu de confiance à l’égard de nos hommes et femmes politiques. A ce titre, il faut qu’il se défonce pour atteindre au moins une fois ce pari, ce défis très important pour la démocratie malienne. Cette démocratie est depuis son instauration bancale aux yeux du peuple malien.

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