Lettre ouverte du Collectif “Touche pas à ma constitution” à ATT : “Monsieur le président, avec cette Constitution, vous risquez d’engendrer un régime monstrueux !”

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Plusieurs organisations de la société civile et des partis politiques:  SYLIMA, Forum des Organisations de la Société Civile, COMODE (dont 16 Associations membres), CSTM, CNAS Faso Hèrè, FAD, Association TOROBA, GEDLADJ, Mali prospective 2050,       MODEM, OED, Repères, SADI, AJCD,  UNTM,SANFIN, Association Malienne des Droits du Peuple, UJMA, Rassemblement pour les Actions Concrètes (RAC) dénoncent dans une lettre ouverte adressée au président de la République le projet de réformes constitutionnelles.                  

Excellence Monsieur le Président,

Nous,  associations démocratiques, partis politiques, syndicats et Organisations de la Société Civile, signataires de la présente lettre vous présentons nos  salutations patriotiques.

Nous sommes au regret de vous notifier que nous constatons, avec stupeur et amertume, qu’à l’heure où le pays entier est en proie, depuis   des mois,  à une  totale  ébullition et effervescence, en raison de l’approche à grands pas des élections, vous avez décidé de poursuivre l’organisation d’un référendum qui plonge dans la perplexité l’ensemble des maliens. Ce référendum est aux antipodes des préoccupations de vos concitoyens, tous épris de paix et qui  s’attendent légitimement à ce que le gouvernement s’occupe essentiellement de la résolution des questions relatives à tout bon processus électoral.

Surpris sommes nous aussi  par le moment choisi pour réformer la Constitution, alors que votre mandat s’achève et que vous aviez eu toute latitude de proposer les changements constitutionnels en des temps plus indiqués. En effet il est inhabituel de voir un Président sortant s’engager dans des réformes dont il n’est pas garant de l’application et qui engagent et lient lourdement ses successeurs, ce qui nous amène à nous interroger réellement sur les vraies motivations qui sou tendent ce projet. Est-ce simplement dans le but d’apporter, comme c’est le leitmotiv de toute opération de ce genre, une amélioration notable à des textes qui, dans leur formulation n’entrainent pas de difficultés spécifiques surtout dans la mesure où les carences sont plutôt à rechercher dans le comportement des responsables chargés de veiller à leur respect ?

Nous nous interrogeons toujours, depuis son annonce,  sur la nécessité d’une telle révision à l’heure où les Maliens ploient dans leur quasi ensemble sous les lourdes charges et difficultés qui rendent leur existence bien difficile. Aujourd’hui les Maliens sont plutôt préoccupés  par leur vécu quotidien et l’impossibilité pour la majeure partie d’entre eux de satisfaire à leurs besoins minimum. Ils sont préoccupés par l’école qui est dans un état lamentable et plonge dans l’ignorance les enfants issus des milieux défavorisés, par une insécurité qui menace l’intégrité du territoire et la cohésion nationale. Ils sont préoccupés par l’existence d’un système sanitaire déficient, par  une  corruption et une mauvaise gouvernance qui sont génératrices de misère et de pauvreté, notamment l’expropriation des terres de citoyens pourtant disposant de leurs lettres d’attribution voire de titres fonciers,  sans raison d’utilité publique évidente et sans compensation idoine prévue par la loi. Bref par le manque de perspectives souriantes pour la plupart d’entre eux. Ils auraient certainement applaudi des deux mains toute mesure qui irait dans le sens de l’amélioration de leurs conditions de vie, ce qui fut la motivation qui les a poussés à vous accorder leur confiance, et leurs suffrages en 2002 et en 2007.

Nous nous devons aussi de vous signaler qu’un processus de ce genre doit obéir à certaines considérations, notamment celles d’être en phase avec l’ensemble des sensibilités, celles des   acteurs socio politiques et celles du peuple lui-même, ce qui ne peut se faire sans une large concertation et une minutieuse préparation lesquelles ont pour but de donner une certaine légitimité au produit à venir et d’entrainer l’adhésion populaire. La Constitution est loin d’être un simple document juridique, et son élaboration ne saurait se réduire à un quelconque travail d’experts, enfermés dans une tour d’ivoire, coupés des réalités.

Une œuvre de cette importance, menée à la hussarde nous ramène dangereusement en arrière, à l’époque du régime dictatorial renversé par les événements de mars 1991. Elle risque de nous placer dans le cercle peu reluisant des pays qui se livrent  à un mode autoritaire d’élaboration de la Constitution, où le pouvoir constituant appartiendrait à un seul homme.

Vous voyez, Monsieur le président de la République que notre pays, et surtout vous-même, auriez très peu à gagner dans une action qui risque d’être lourdement porteuse  de perte de crédit et nous faire perdre le gain d’une démocratie, qui, bien qu’imparfaite, a été chèrement acquise, au prix de combien de sang et de martyrs !…

Vous n’en êtes pas à votre première réforme, Monsieur le président, mais celle-ci risque d’être la plus périlleuse d’entre toutes pour votre image et de ternir votre sortie, car vous risqueriez de laisser un texte improvisé, mal élaboré, rempli de multiples lacunes et d’imperfections.

Ce n’est certainement pas votre intention, Monsieur le président, mais vous risquez d’engendrer un régime monstrueux, pire que toutes les dictatures que nous avons connues, et qui serait un anachronisme au regard des aspirations  à la démocratie qui nous animent tous, et de cet air de liberté qui souffle déjà sur notre pays et dont on saurait difficilement se passer.

Monsieur le président, permettez nous, sans vous sentir offensé, de revenir sur ces multiples imperfections qui jalonnent ce texte déjà voté par l’Assemblée Nationale et sera bientôt soumis à référendum, lors d’élections couplées qui risquent d’être un véritable casse tête pour ce qui concerne leur organisation.

A titre de rappel, les textes communautaires sur la bonne gouvernance et notamment le Protocole A/SP1/12/01 sur la démocratie et la bonne gouvernance additionnel au protocole relatif au mécanisme de prévention, de gestion, de règlement des conflits, de maintien de la paix et de la sécurité adopté le 21 décembre 2001 à Dakar par les Chefs d’Etat et de Gouvernement de la Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), la déclaration de Bamako en date du 3 novembre 2000, sont autant d’instruments internationaux qui devraient vous engager à ne pas réviser la Loi Fondamentale ni électorale dans les 6 mois précédant une élection générale, et à ne le faire que suite à un large débat.

Le ministre Daba Diawara ne disait-il pas en guise de conclusion de son Rapport que : "Le Comité croit simplement devoir rappeler qu’une révision constitutionnelle ne peut être entreprise et aboutir sans organisation et méthode, sans prise en compte du facteur temps. Elle met en jeu des forces et des intérêts. L’expérience a montré qu’une telle entreprise rencontre moins de difficultés si elle est engagée bien avant l’approche d’échéances électorales ayant des enjeux de premier ordre".

Comment peut-on alors comprendre qu’avec des propos si sages, Monsieur le Ministre des réformes institutionnelles aille en croisade pour le passage en force de cette Loi Fondamentale pour le moins controversée ?

Venons en maintenant à ces imperfections et lacunes évoquées plus haut, et qui coupent le sommeil à nombre de vos concitoyens.

*La référence à  Kuru kan Fuga  est loin d’être heureuse. Elle crée une inutile  polémique car cette Charte ne s’inscrit pas dans le sens des valeurs  démocratiques et républicaines et constitue en bien des points une négation totale des droits de la personne humaine. Les rédacteurs du projet de la Constitution en ont été conscients pour  ne retenir  que les "principes et valeurs énoncés dans la Charte adoptée en 1236 à Kuru kan Fuga, compatibles avec ceux de l’Etat démocratique  républicain". C’est dire que la Charte renferme des principes et des valeurs non compatibles avec un Etat Républicain et Démocratique. Aussi, la charte, si son existence était avérée serait une référence culturelle non applicable à l’ensemble des communautés culturelles qui composent la nation malienne.

Pourquoi alors y faire référence, sinon pour jeter la poudre aux yeux des Maliennes et des Maliens légitimement nostalgiques de la grandeur passée du Mali devant la dure réalité du présent ?

*Les dispositions relatives au président de la République sont des plus préoccupantes. Elles  génèrent un véritable pouvoir personnel, un euphémisme pour ne pas parler de dictature, un terme qui semblait condamné à disparaitre du vocabulaire des Maliens. Un homme, bien qu’élu au suffrage universel, va concentrer tous les pouvoirs entre ses seules mains.

C’est un retour déplorable aux premières constitutions africaines, issues des coups d’Etat militaire et contre lesquelles les peuples se sont révoltés. Et surtout ces dispositions nous éloignent davantage de la notion de séparation des pouvoirs qui était un des crédos du constituant de 1992…

 

(à suivre)


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