Contribution : Le sénat est-il la solution ?

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Non ! Pour deux raisons : d’une part, en instituant le Sénat, le pouvoir, loin de contribuer à résorber la rébellion, ferait preuve d’archaïsme ; d’autre part, cette institution serait de nature à exacerber le clivage latent entre populations du Nord du Mali. Auparavant, un point d’histoire pour mieux appréhender la question avec quelques épisodes de la résistance nationaliste opposée par les Arabo-Berbères aux troupes d’agression coloniale française.

  1. RESISTANCE A LA PENETRATION COLONIALE

Le 5 décembre 1898, désobéissant aux ordres du lieutenant-colonel Bonnier, son supérieur hiérarchique, le commandant Boiteux s’avance vers Tombouctou, livre bataille contre les Touaregs, entrent en pourparlers avec les Sonrhaïs pour leur proposer un traité de protectorat avant de s’emparer, le 15 décembre, de la ville. Son second, l’enseigne de vaisseau Aube, veut l’y rejoindre à la tête d’une colonne de 19 hommes. Le 28 décembre, ignorant la nature du terrain, il s’embourbe dans des marécages et est massacré avec toute la colonne au lieu dit « Our oumaira » (on n’entend pas). Bonnier, arrivé sur les lieux pour secourir le corps expéditionnaire en danger, se fait surprendre, le 15 janvier, à Dongoï, non loin de Taquinbawt (Tacoubao) par 260 fantassins et 130 cavaliers touaregs. A l’exception d’un capitaine, d’un sergent-major et d’un sergent, toute la colonne est massacrée en un quart d’heure : 11 officiers, 3 sous-officiers, 68 tirailleurs. Le 13 février, le lieutenant-colonel Joffre reçoit l’ordre de sécuriser la nouvelle conquête.

La résistance se poursuit, menée par les différentes tribus touarègues du Fleuve, notamment celles des Tenguéréguifs, des Kel Antessar, des Irreguenatendes Iguellads, des Igouadarens. Mais leur détermination ne suffit pas. Ils combattent, de préférence, avec des armes blanches. Sur ce point, les Français bénéficient d’une supéririté avec leur arsenal diversifié. Finalement, dans le courant du mois de juillet, la région nord du Soudan Français est créée avec les cercles de Tombouctou (capitale de la région), de Goudam et les postes de Saraféré et d’El Ouali Edji.

A partir du mois de mai 1891, les troupes d’occupation coloniale descendent le cours du Niger avec l’intention de s’emparer des régions situées en aval de Tombouctou. Madidou, amenokal des Oulliminden, en fin diplomate, évite la confrontation. Mais l’Arabe Abiddin El Kounti ranime la résistance, forme une vaste coalition rassemblant les Kel Bouroum, les Kel Tambacort, les Kel-es-Souk, les Tinguer Eguedesh, les Tademeket. Il réussit à rallier à sa cause les Igouadaren et les Kel antessar. A la tête de 3 000 gueriers, il avance sur Tombouctou. Les Français se portent à sa rencontre. L’affrontement a lieu à Rergho, le 19 juin 1897 : les résistants, 200 fantassins et 300 cavaliers leur infligent une lourde défaite : deux officiers, un maréchal des logis, un brigadier, un sous-officier noir et 29 cavaliers sont anéantis. La résistance dans les alentours de Tombouctou prend fin en novembre 1898 avec l’assassinat de l’âme de la résistance, Ngonna, tué d’une salve dans le dos.

 

Le 28 novembre, un poste est créé à Bamba.. Entre décembre 1898 et février 1899, les Français se rendent maîtres des rives du Niger de Bamba à Ansongo. De là, ils remontent vers le Nord et, sans combattre, occupent l’Adrar des Iforhas en 1903.

 

Ce ne sont là que certaines lignes de la résistance opposée par notre peuple dans les régions du Nord de notre pays. Nous sommes suffisamment informés sur les résistances des régions du Sud avec des noms comme Niamody Sissoko, Mamadou Lamine Dramé, Ahmadou Cheikhou Tall, Almamy Samory Touré et Bamba Traoré. D’autre résistances sont à enseigner pour mieux consolider l’appartenance à la patrie et à la nation : résistances des Peuls Ouarbé avec Ahmadi Ould Ahmadi Bâ, surnommé El Hadj Bougouni, des Arabo-berbères et des Sonrhaïs du sahel et de la Boucle du Niger, des Dogons, des Bobos sous la conduite de Banzani Théra et de son marabou Adaa Dembélé, des Bamanans du Bélédougou avec Diossé Traoré. L’histoire de la résistance à la pénétration française peut être considérée comme un élément constitutif de notre identité et de notre unité.

 

  1. ADMINISTRATION : LA VALORISATION DES AUTORITES COUTUMIERES ARABO-BERBERES PAR LES FRANÇAIS

 

Au fur et à mesure que les troupes d’agression coloniale gagnent du terrain sur les résistants, ils songent à la manière d’administrer la région Nord récemment créée. Si, avec les Négro-Africains, cela se révèle aisé, ces derniers étant habitués à respecter l’autorité, avec les Arabo-Berbères, il en va autrement.  Ces derniers se désignent comme « les hommes libres ». Tout pouvoir leur est insupportable. Les Français les ont vaincus, certes, mais, ils choisissent de garder leurs distances vis-à-vis de ceux qu’ils considèrent, avec mépris, comme des « ilkouffar », des infidèles.

Cette différence d’attitudes vis-à-vis du pouvoir entre Arabo-Berbères et Négro-Africains va inspirer aux colonisateurs deux modes d’administration pour la région : l’administration directe et l’administration indirecte plus connue sous la dénomination anglaise de « indirect rule ». Ainsi, comme le fait noter une étude du Cercle Condorcet intitulée Réflexions sur l’Azawad (Mali) Territoire déjà revendiqué à l’époque coloniale : « L’administration coloniale se caractérisait par la séparation systématique des deux populations, créant une discrimination entre nomades blancs et sédentaires noirs. Rien n’avait été entrepris en direction des populations nomades dans le domaine social et culturel.

« Seules les populations sédentaires étaient astreintes aux 10 jours annuels de prestations obligatoires pour l’entretien des routes et la construction des bâtiments administratifs. Seules, elles étaient soumises au recrutement pour l’école, l’armée et les corvées exigées pour les industries coloniales. »

Le Dr Richer, spécialiste des Oullimindens a écrit, à propos de cette confédération : « Amener un grand peuple errant à la compréhension de nos idées coloniales, lui faire, en vue des bienfaits d’une civilisation qu’il pouvait à peine soupçonner, abdiquer une liberté dont il était fier ; lui faire accepter, enfin, à la place d’institutions sociales que nous jugeons surannées, un régime administratif, social et économique ayant pour base nos grands principes modernes, tel était le but. »

Comme pour lui donner la réplique, Bonamy, administrateur des colonies, écrit : «  En pays touareg, on a souvent le travers de vouloir, d’un trait de plume, rompre le cadre traditionnel de la société… Notre penchant pour l’égalité s’accommode mal de la situation et nous avons tendance à reformer un état social qui peut se modifier de lui-même, peu à peu et sans heurts. Ils ont le respect de la force, dit-on, c’est exact, mais ils ont le dégoût de tout ce qui à leurs yeux ressemble à une humiliation et à une profanation de leurs sentiments. Il n’ y a pas lieu de nous immiscer dans le règlement des affaires intérieures des tribus. Il vaut mieux laisser ce soin aux chefs que de risquer avec nos conceptions d’Européens de méconnaître les conditions de vie des nomades et de heurter leurs coutumes. »

Cette remarque de l’administrateur Bonamy nous ramène à l’actualité. Le principal argument avance pour procéder à un e révision de la Constitution du 25 février 1992 est la nécessité de mettre en œuvre la disposition de l’Accord pour la paix et la réconciliation issu du processus d’Alger avec la création d’un sénat. Cette institution serait de nature à donner satisfaction aux Arabo-Berbères avec la désignation (désignation, non élection) de certaines de leurs notabilités comme sénateurs.

Nous disons que le projet n’est pas nouveau. Il a été utilisé par la France lors de la colonisation. En effet, ayant renoncé à administrer directement ses sujets arabo-berbères, elle  a mis en œuvre  ce que le chef de bataillon Bétrix, premier commandant de la région de Gao créée en 1908, a appelé, dans son essai intitulé La Pénétration Touareg, « le principe de responsabilité ». Ses propos sur la question sont explicites : «  Il nous faut donc donner aux nomades l’esprit de discipline. Pour cela, nous leur appliquerons le « principe de responsabilité ». chaque Touareg, quel qu’il soit, doit obéissance à son amrar, et, ce dernier, à l’aménokal, qui enfin relève du secteur ou du cercle. De plus, tous les chefs sont responsables de l’exécution des ordres reçus ; mais, d’autre part, ils punissent eux-mêmes les récalcitrants, sous le contrôle de leurs officiers. »

Avec l’application du « principe de responsabilité », la France maintient en place les autorités coutumières tout en exerçant sur elles un contrôle vigilent.

A suivre

La semaine prochaine : « Indépendance nationale et autorités coutumières ».

La Rédaction

 

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