CONSOLIDATION DE LA DEMOCRATIE MALIENNE : L’idéologie sacrifiée sur l’autel des intérêts personnels

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Dans le vocabulaire juridique et administratif, l’expression « écran législatif » est employée pour désigner l’obstacle fait au juge administratif de censurer un règlement d’application d’une loi, conforme à celle-ci, mais contraire à la constitution. La solution juridique consiste, pour faire triompher les valeurs constitutionnelles, en la modification de la loi écran.

En transposant cet obstacle à la vie publique, je me permets d’observer, en espérant la compréhension du lecteur, un écran auquel se heurte frontalement le processus démocratique. La démocratie est une valeur universelle que revendiquent tous les Etats modernes, laïcs ou théocratiques. La démocratie malienne, ne nous leurrons pas, n’est pas encore effective. Elle est en chantier, en construction.
L’aveu nous ferait avancer, enregistrer des acquis dans ce processus de longue haleine. En revanche, toute opinion contraire porterait en elle-même les germes du recul démocratique. Justement, les phénomènes sociaux qui font peser de sérieuses hypothèques sur les acquis démocratiques, sur le processus de développement politique sont légion.

Ils constituent l’écran politique. Nombreuses sont en effet les personnes et organisations qui par les faits et les mots peuvent être considérées comme contribuant à dresser l’écran politique. On les citerait à l’envi, mais j’en retiendrais notamment :

1) Les partis et groupements politiques relèguent au second rang la mission d’encadrement et d’éducation des militants. Les lois de la République, notamment le code électoral et le statut général des fonctionnaires traitent comme d’intérêt public l’activité des organisations politiques dans la seule mesure où elles créent les conditions de la participation des citoyens qui militent en leur sein à la conduite des affaires publiques.

La léthargie des partis et groupements politiques, qui ne sont véritablement actifs qu’en période électorale, donne du personnel politique l’image de prébendiers voraces et véreux et maintient à la distance de la chose publique les hommes et femmes étreints de scrupule. Par surcroît, tout engagement politique, qu’il émane d’un novice ou d’un vieux briscard, est suspect. Alors, on s’interroge : quelle mouche l’a piqué ? Il en sera ainsi tant que l’on ne se fera pas pénétrer du sens de la mission d’encadrement et d’éducation que la constitution et la charte des partis politiques assignent à ces organisations.

2) Les états-majors de partis ou groupements politiques qui monopolisent, aux dépens de la masse des militants, le pouvoir de décision. Les alliances politiques et électorales, les consignes de vote, les ralliements, les décisions disciplinaires échappent à la collectivité qui subit, impuissante, les choix opérés par la direction du parti ou du gouvernement.

La démocratie interne est entachée de ces vices et se mue inéluctablement en dictature de bureau. L’apathie qui gagne la masse tourne progressivement en antipathie. La population militante s’atrophie sans cesse.

3) Les leaders politiques versatiles, du moins transhumants, changent de convictions, de couleurs aussi facilement que d’habits. Parce que la constitution prescrit que « Tout mandat impératif est nul », aucun obstacle juridique ne peut être érigé contre les velléités de ces politiciens qui sacrifient l’idéologie politique sur l’autel des sentiments et des intérêts. On éprouverait du vertige à les suivre. Ils donnent au politique une image écornée à laquelle nombre de nos compatriotes rechignent à se conformer. Ils n’ont cure de la perception qu’ils offrent aux observateurs. Ils obstruent la voie d’entrée à ceux-ci qui s’engagent en politique et indiquent la porte de sortie à ceux-là qui déchantent. Les leaders de cet acabit sont plus à plaindre que les débaucheurs invétérés de cadres et militants, gros corrupteurs, dont l’existence est tributaire de leur versatilité.

4) Les militants de tous usages qui sont enclins à l’exécution de toutes les œuvres. La politique leur offre un refuge contre le destin auquel semblent les prédisposer leurs capacités intellectuelles et professionnelles limitées. Très actifs sur le front politique, ils ne s’embrassent pas de scrupule pour exécuter toutes les besognes, qu’elles soient des plus basses ou qu’elles relèvent d’un ordre plus élevé. Ils sont incontournables. Les chefs politiques ont besoin de toutes les ressources humaines. Ils ont moins souci de la qualité des militants (le suffrage est universel et non capacitaire) que de leur quantité.

L’audience électorale est fonction du nombre des suffrages. Au décompte des voix, savent-ils, seul le nombre importe. Mais la prospérité de ces militants dédiés à tout agace les gens doués de raison, à moins qu’ils trouvent consolation auprès de Montesquieu qui souligne que ce n’est pas « l’esprit qui fait les opinions, mais le cœur… Il est inutile d’attaquer la politique en faisant voir combien elle répugne à la morale, ces sortes de discours persuadent tout le monde et ne résolvent rien, la politique subsistera toujours pendant qu’il y aura des passions indépendantes du joug des lois ». On se satisfera de ces vérités courantes qui se sont échappées de la plume d’un adepte de la vertu contre le vice. On souffrira donc la présence dans le microcosme politique des brebis galeuses dont on souhaiterait quand même le nombre infime.

5) Les décideurs qui gèrent, comme un patrimoine personnel hérité de la famille, les ressources de l’Etat, humaines, matérielles et financières. L’opinion publique dénonce ceux qui en usent à titre exclusif comme d’une orange adaptée à leur bouche. Quel abus ! A ces décideurs font défaut notamment la culture de l’Etat, le sens des responsabilités. Visiblement, ils ne sont pas munis des prérequis de l’exercice des responsabilités publiques qui leur ont échu sous la forme d’un don de manque les ressources morales et intellectuelles pour tenir et utiliser à bon escient cette grâce divine inespérée. Qu’en font-ils au juste ?

Ils confient des responsabilités administratives assorties d’honneurs et de privilèges aux siens (parents, amis et alliés) alors même que ceux-ci n’y sont pas préparés, oubliant ainsi leur serment, prêté solennellement, publiquement. Ils couvrent par l’indifférence et l’astuce les malversations et détournements de fonds publics, ainsi que l’usurpation et la spoliation du bien commun. On traite avec mépris les avis émis par les citoyens dont les voix ont été hier sollicitées humblement. On en impose à l’opinion publique, au lieu de l’écouter.
Au final, l’électeur ne se reconnaît plus dans la personne et les actes de l’élu, le compagnon et l’intime d’hier. Il n’est plus prêt à lui renouveler son suffrage. Mais celui-ci, entouré de cigales qui chantent en toutes circonstances, même au-delà de l’été, ne réalise pas le fossé qui le sépare du peuple. Il n’est plus à l’abri des surprises de l’urne, sauf manœuvres ultimes de sauvegarde ou de survie qui se nourrissent à la veine de l’apathie du plus grand nombre, tout préoccupé par le quotidien.

Telles sont présentées, à titre indicatif, les personnes et organisations qui solidairement dressent l’écran politique, un écran géant. Mon propos n’a pas pour objet de jeter l’anathème sur les acteurs politiques, de les vouer aux gémonies. Je n’ai pas la phobie des politiques en tant que tels. La démocratie pluraliste dont je me réclame également repose sur les organisations politiques et notamment les partis.
Le processus démocratique a enregistré des acquis, quoique fragiles. Mais par devoir citoyen, j’interpelle les acteurs politiques en général et ceux-là qui en appellent à leur tour à la restitution du rôle des partis politiques en particulier pour qu’ils intègrent dans leur grille d’appréciation de l’exercice de la démocratie au Mali l’idée que la reconquête du statut des partis politiques dépend largement des amendements à réaliser au niveau de l’individu et du groupe.

L’engagement populaire suivra ces réformes nécessaires. Autrement, une minorité de citoyens, politiquement actifs et économiquement improductifs, continuerait à gérer les affaires publiques. Le Mali n’aurait alors de la démocratie, si les phénomènes sociaux ci-dessus décriés perduraient, que la façade ou l’embryon.

A l’orée de l’année électorale (2007), le rappel de quelques vérités politiques ne devrait pas être démocratiquement gênant. Il pourrait au surplus être le terreau de nos réflexions et actions futures.

Mama Djénèpo

Administrateur civil

N.B : le surtitre et le titre sont de la rédaction

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