NORD-MALI: L’Accord d’Alger vu par Dialla Konaté*

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L’histoire nous enseigne que chaque fois que des dirigeants politiques ont accepté un mauvais accord de paix à la va-vite pour éviter une « bonne guerre », ils ont fini par avoir les deux : le mauvais accord et la guerre.
 
Des compatriotes de grande compétence ont débattu et continuent à débattre des événements survenus le 23 mai 2006 à Kidal et de l’Accord d’Alger. Le débat, quelquefois emprunt d’émotion, se concentre essentiellement sur les aspects politiques et juridiques de l’Accord d’Alger. Dans le présent texte, je vais plutôt m’attacher à comprendre comment les événements du 23 mai eux-mêmes sont arrivés à être.
Ceux qui sont instruits dans la collecte de l’information savent que les spécialistes du renseignement classent l’information en trois catégories qui sont : la catégorie de l’information que l’on sait ; la catégorie de l’information que l’on ignore ; la catégorie de l’information que l’on ignore ignorer.
Concernant les événements du Nord que sait-on ? Des garnisons de l’armée régulière ont été attaquées le 23 mai 2006. Au vu des comptes-rendus, il n’y a aucun doute, l’Armée malienne a perdu une bataille. Cela est indiscutable quelle que soit la métrique utilisée. Elle a perdu des hommes, des équipements. Les assaillants ont décidé du lancement des attaques. Ils ont décidé de leur cessation. Ils se sont repliés, à leur guise, à l’endroit qu’ils ont choisi.
Que savaient les autorités et les services de renseignements de la préparation des événements du 23 mai ? Apparemment, pas grand-chose. De là vient la première grande surprise. Une opération militaire a été organisée en territoire malien contre l’Armée malienne en utilisant des moyens de communication publics et militaires appartenant à l’Armée malienne pendant des jours et des semaines sans que cela se sache.
Les insurgés ont entretenu des communications les uns avec les autres, au Mali. Ils ont également communiqué avec certains de leurs associés se trouvant hors du territoire national. Ces communications ont eu lieu aussi bien à l’aide de messages en clair que de messages codés avant, pendant et après les opérations. Les responsables de la sécurité ignoraient-ils ce qui se passait ? Il est probable que oui.
Dans les années 60 et 70, une telle déconvenue de l’armée régulière intervenue un 23 mai aurait conduit, dès le 24 mai, dans la plupart des pays du monde, à la condamnation à mort et même à l’exécution, sans autre forme de procès, de quelques officiers supérieurs et officiers généraux. Mais depuis 1989, le Mali est devenu progressivement un grand camp de vacance, d’indiscipline, d’incivisme et souvent d’irresponsabilité.
De son côté, le sommet de l’Etat n’a manifestement tiré avantage d’aucune mémoire archivée de la longue histoire des crises de cette partie du Mali longtemps terre de razzia. Les autorités supérieures de l’Etat doivent saisir cette occasion pour créer si cela n’existe déjà, une sorte de Conseil de la sécurité intérieure.
Cet organe permanent, au-delà des régimes politiques, serait la mémoire active des crises et agirait comme instance de conseil auprès du gouvernement et du président de la République. Les conseillers actuels du président de la République ont commis l’erreur de projeter celui-ci, de façon prématurée et inutile, au-devant de la scène au risque de court-circuiter le Premier ministre et le gouvernement de la République.
Il est souhaitable de vouloir que l’image du président de la République, entité constitutionnelle, garante de l’intégrité du territoire soit associée à la paix et à tout processus conduisant à la paix. Cependant, le Nord du Mali et ses problèmes sont trop complexes pour croire qu’un accord signé sans doute trop vite suffirait à y abolir les troubles et cela, pour longtemps. Ecoutons et lisons les insurgés eux-mêmes !
 
La République avant tout
Sur la base de leurs déclarations publiques ou confidentielles, il est évident que ces personnes se voient dans un rôle qui est tout autre que d’être de paisibles citoyens exerçant librement leurs droits et devoirs civiques dans un Mali uni. Dans leurs comportements de tous les jours, les insurgés se considèrent en situation de traiter d’égal à égal avec l’Etat malien. Ils refuseraient de se laisser fouiller en arrivant en ville et exigeraient que l’Armée malienne quitte la ville de Kidal, ville qui, jusqu’à preuve du contraire, se situe sur le territoire national.
Il faudrait veiller à ce que tout individu, insurgé ou non qui se hasarderait à se présenter en public au volant d’un véhicule volé à l’armée, à un particulier ou à une ONG doit être immédiatement appréhendé par la police et traduit devant un juge. Kidal ne doit pas être un espace de non droit. A moins que bientôt, la rébellion ne commence à recevoir des véhicules 4×4 flambant neufs achetés à Gibraltar.
Il est vrai que le souhait de tout Malien est de maintenir l’intégrité du pays dans la paix. Mais l’histoire nous enseigne que chaque fois que des dirigeants politiques ont accepté un mauvais accord de paix à la va-vite pour éviter une « bonne guerre », ils ont fini par avoir les deux : le mauvais accord et la guerre.
Les termes de l’actuel ministre de l’Administration territoriale sont à la ponctuation près les déclarations qu’Arthur Neuville Chamberlain, Premier ministre britannique a faites pour saluer les « mauvais » Accords de Munich, signés en 1938 pour épargner une « bonne » confrontation avec l’Allemagne hitlérienne. On connaît la suite, il a utilisé la même main pour signer la déclaration de guerre un an plus tard.
Le « mauvais » accord suivi de la mauvaise guerre ont coûté 50 millions de morts au monde. Staline qui a pactisé également avec Hitler pour les mêmes raisons ou presque, en 1939, a été obligé de faire la guerre. Coût humain payé par son pays : 20 millions de morts. Cependant, gardons la mesure, ce qui se passe au Mali n’a rien de commun avec ce qui s’est passé en Europe au milieu du siècle dernier.
Au Mali, le dialogue est la solution. Il faut en trouver le moment et le langage. Je parle plus volontiers de République que de démocratie. En effet, la République correspond à des textes et des règles facilement identifiables. La démocratie repose plutôt sur un esprit, l’esprit démocratique. Les lois et les règles en démocratie sont temporelles. Par contre les règles de la religion sont intemporelles et intangibles.
De ce fait la propension que les hommes politiques ont de plus en plus à se référer, dans leurs discours, à la religion, est anti-démocratique. De même vouloir donner force de loi au mariage religieux est aussi anti-démocratique et même anti-républicain dans une République laïque. Dans ce domaine, j’observe que dans la plupart des articles de presse traitant du sujet qui me sont parvenus, il est fait une confusion entre mariage religieux et mariage coutumier.
Le mariage coutumier, dans le langage courant (je ne me réfère pas à une éventuelle définition légale que j’ignore) peut inclure mais non nécessairement le mariage religieux. Le mariage coutumier se fait conformément à la tradition et aux coutumes. Mgr Mory Julien Sidibé a, dans son livre « La rencontre de Jésus-Christ en milieu Bambara » en son chapitre 6, de la page 78 à la page 94, décrit parfaitement ce qu’est le mariage coutumier en pays bambara.
Attention, je ne dis point qu’il est antidémocratique d’être religieux ou de réciter des textes religieux pour soi en famille, à titre privé. C’est même un droit constitutionnel. Ce que je dis est qu’un responsable politique ou un texte politique, dans le cadre du type de démocratie dont le Mali se réclame, ne peut se prévaloir ou se mettre sous l’obédience de la religion.
*Professeur d’université aux Etats-Unis
Blacksburg, 27 août 2006

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