REBELLION AU NORD : Le droit d’ingérence étatique

0

Le problème de fond au Nord du pays, c’est que la nouvelle rébellion n’avait plus sa raison d’être après l’effectivité de la décentralisation qui accorde l’autonomie de gestion politique, sociale et culturelle à toutes les régions du Mali. En effet, le Pacte national du 1992 accordait un "statut particulier " au Nord du Mali dont le principe était consacré dans le contenu et l’intitulé même de ce document, mais l’Accord d’Alger du 4 juillet 2006 a reconnu ce "statut particulier " de fait à la seule région de Kidal comme le stipule également son intitulé et son contenu.

Mais la décentralisation effective ne rend-elle pas caduc tout "statut particulier " à quelque entité administrative que ce soit dans la mesure où c’est tout le pays qui aura désormais un "statut particulier " en rupture totale avec l’Etat jacobin et centralisé à outrance comme hérité du passé colonial?

La régence étatique

Article 17 : En cas de refus ou de négligence d’une collectivité de réparer les dommages engageant sa responsabilité, le ministre de tutelle, dans un délai de deux (2) mois, procède à l’inscription d’office des frais de réparation au budget en cours d’exécution ou celui à venir de ladite collectivité. Sous réserve de cas d’inertie ou de complicité avec les émeutiers en cas de troubles, lorsqu’une collectivité n’a pas eu momentanément ou de façon permanente la disponibilité de la police locale ou de la force armée, ou si elle a pris toutes les mesures en son pouvoir à l’effet de prévenir les troubles, elle peut exercer un recours contre l’Etat. L’Etat ou la collectivité déclarée responsable peut exercer un recours contre les auteurs ou complices du désordre. Les collectivités sont responsables des dommages subis ou occasionnés par les membres de leurs organes exécutifs dans l’exercice de leurs fonctions. Les membres des organes délibérants des collectivités territoriales bénéficient de la même protection lorsqu’ils sont chargés de l’exécution d’un mandat spécial ". Les collectivités territoriales, en vertu de l’article 18, exerçant leurs activités sous le contrôle de l’Etat et dans les conditions définies par la loi. Par ailleurs, selon l’article 20, aucune collectivité ne peut établir ou exercer de tutelle sur une autre collectivité.

La force  substituée à la légitimité  

C’est tout le contraire de l’Accord d’Alger du 4 juillet dernier avec l’imposition par la force du Conseil régional provisoire en lieu et place de l’Assemblée régionale de Kidal dont les membres, quoique l’on puisse dire à leur sujet, sont des élus locaux qui sont légitimement mandatés pour ce faire par les populations de cette localité. En effet, l’article 4 dudit accord indique à propos de ce conseil régional : "A l’issue de sa mission, ses prérogatives seront assumées par l’Assemblée régionale ". Ses compétences étant spécifiées à l’article 5 : "Il est consulté par le département de tutelle à l’élaboration des projets de loi et textes touchant les spécificités de la région de Kidal. Il participe à la promotion de la bonne gouvernance politique en aidant à une meilleure utilisation des compétences locales et régionales dans les rouages de l’Etat. Il est chargé d’appuyer l’Assemblée régionale dans l’exercice de ses compétences, en matières : d’actions de coopération avec les bailleurs de fonds dans le cadre du développement économique, social et culturel de la région, conformément à l’article.32 du Pacte National ; de tous les aspects de la sécurité de la région, conformément aux alinéas C et D de l’article 15 du Pacte National ; budgétaire pour la région, conformément à l’article 33 du Pacte National. Il est chargé d’aider, de concert avec les autorités administratives et politiques, à la préservation d’un bon climat social par les canaux traditionnels de dialogue et de concertation. Il est consulté pour tous les aspects de médiation et de développement spécifiques, et contribue à éclairer l’administration dans la préservation de l’harmonie et la cohésion sociale de la région ".

Kidal  tire la couverture sur soi

Si le Pacte national et la loi ci-dessus référée font référence au statut particulier des trois "régions du Nord ", l’Accord d’Alger ne concerne que la région de Kidal comme l’atteste son intitulé et le contenu du chapitre II consacré au développement économique, social et culturel :

1.  Organisation d’un Forum à Kidal sur le développement en vue de la création d’un fonds spécial d’investissement pour mettre en œuvre un programme de développement économique, social et culturel. Ce programme couvrira les activités telles que l’élevage, l’hydraulique, le transport, la communication, la santé, l’éducation, la culture, l’artisanat et l’exploitation des ressources naturelles ;

2.  Accélération du processus de transfert des compétences aux collectivités locales ;

3.  Dans le domaine de l’emploi, créer des petites et moyennes entreprises, octroyer des crédits et former les bénéficiaires dans les domaines de la gestion ;

4.  Définition et coordination des échanges entre régions des pays voisins dans le cadre transfrontalier conformément aux accords bilatéraux signés avec ces pays ; 

5Instauration d’un système de santé adapté au mode de vie des populations nomades ;

6Exécution d’un programme durable pour l’accès à l’eau potable au niveau de toute la région, et notamment les localités importantes ;

7.  Dans les domaines de l’équipement et de la communication :

– Désenclavement de la région par le bitumage des axes routiers principaux : de Kidal vers Gao, Ménaka et de l’Algérie ;

– Réalisation de l’aérodrome de Kidal;

  Réhabilitation de l’aérodrome de Tessalit ;

– Electrification des chefs lieux des cercles et des communes ;

– Une couverture de communication téléphonique au niveau des chefs-lieux des cercles et des communes ;

– Mise en place d’une radio régionale et d’un relais de télévision nationale afin de promouvoir les valeurs culturelles de la région et rendre une image plus positive des populations de la région et la formation des techniciens en audiovisuel et prévoir une heure d’antenne par jour pour la région dans les programmes de la radio et de la télévision nationale ;

8Encourager les programmes de recherche et d’exploration des ressources naturelles ;

9.  Mise en place d’un système éducatif adapté à nos valeurs sociales, culturelles et religieuses et octroi de bourses à l’étranger pour les bacheliers les plus méritants de la région de Kidal ;

10.  Mise en place d’un programme spécial en direction des diplômés en langue arabe dans le cadre d’un recyclage et d’une spécialisation ".

Amnistie et réhabilitation des officiers déserteurs 

Les mesures qui ne peuvent attendre dans ce sens étant les points :

2.  Poursuite du processus de délocalisation des casernes militaires dans les zones urbaines conformément aux dispositions du Pacte National.

4Création en dehors des zones urbaines de Kidal d’unités spéciales de sécurité, rattachées au commandement de la zone militaire et composées essentiellement d’éléments issus des régions nomades, dans les proportions assurant l’exécution efficace des missions des Unités Spéciales de Sécurité. (…) Elles sont commandées par un commandement opérationnel des unités spéciales dont le commandant sera issu des personnels visés aux Chapitre III, Point 5 et dont le second proviendra des autres corps des forces armées et de sécurité nationales. Le commandant opérationnel des unités spéciales dépend hiérarchiquement de l’Etat major de la Garde Nationale. Les officiers issus du personnel visés dans le chapitre III, point 5 peuvent servir éventuellement dans les unités spéciales. Toutefois, lorsque l’unité est commandée par un officier issu des personnels visés dans le chapitre III, point 5, son second proviendra des autres corps des forces armées ou de sécurité nationale et vice-versa.

5.  Gestion avec discernement des officiers, sous officiers et hommes de rang, qui ont quitté leurs unités d’origine pendant les événements du 23 mai 2006, en les intégrant si besoin dans les unités spéciales de sécurité en mettant à contribution la structure spécialisée visée plus haut pour faciliter la régularisation de leurs situations administratives, financières et de carrière, ainsi que leur participation aux opérations de maintien de la paix.

6.  Renforcement de la participation effective des cadres issus de la région dans les différents rouages de l’Etat conformément à l’esprit d’équité prôné par le Pacte National.

7.  Création d’un fonds de développement et de réinsertion socio économique des populations civiles, notamment les jeunes touchés par les événements du 23 mai 2006 sans exclusion de tous les autres jeunes de la région de Kidal, sous le contrôle du conseil régional provisoire de coordination et de suivi. Le conseil sera en outre largement consulté sur le choix du gestionnaire de ce fonds

8.  Prise en compte du retard de Kidal dans l’élaboration et l’exécution du budget national.

9Création des centres de formations professionnelles avec des mesures d’accompagnement.

6.  Renforcement de la participation effective des cadres issus de la région dans les différents rouages de l’Etat conformément à l’esprit d’équité prôné par le Pacte National.

7Création d’un fonds de développement et de réinsertion socio économique des populations civiles, notamment les jeunes touchés par les événements du 23 mai 2006 sans exclusion de tous les autres jeunes de la région de Kidal, sous le contrôle du conseil régional provisoire de coordination et de suivi.

Le conseil sera en outre largement consulté sur le choix du gestionnaire de ce fonds

8.  Prise en compte du retard de Kidal dans l’élaboration et l’exécution du budget national.

9Création des centres de formations professionnelles avec des mesures d’accompagnement ". La seule concession pour les deux autres régions étant l’article 11 du chapitre II dudit accord : "Reconduction pour une durée de dix (10) ans du régime préférentiel fiscal défini par le Pacte National pour les régions du Nord du Mali en vue d’attirer et d’encourager l’investissement ".

Le niet au statut particulier

Ce qu’il convient de noter, c’est que les différentes rencontres ayant réuni le gouvernement et les MFUA n’ont jamais abordé avec une suite favorable la question de "statut particulier " des régions du Nord à plus forte raison pour Kidal seule. Le point n°20 de la rencontre de Tamanrasset (du 16 au 20 avril 1994) en atteste éloquemment à travers le PV qui en fait foi : "La partie gouvernementale a relevé l’absence de différence fondamentale entre les dispositions du Pacte National relatives au statut particulier des régions du nord et celles de la loi de février 1993. Cette loi définit le cadre général de la libre administration des collectivités territoriales et complète dans certains cas les dispositions du Pacte National.

Les représentants des MFUA, eu égard aux diverses interprétations faites notamment au sujet des articles 19 et 28 de la loi 93-008 du 11 février 1993, d’une part, et sur le mode de scrutin différemment conçu dans les deux textes (Pacte National et Code électoral) d’autre part, ont demandé une révision de ladite loi par l’insertion d’un article nouveau qui pourrait se lire comme suit : "les régions de Tombouctou, Gao et Kidal sont régies par le Statut particulier tel que prévu par le Pacte National ". Les MFUA ont rappelé, à cette occasion, qu’aucune disposition du statut particulier n’a été à ce jour mise en oeuvre. La partie gouvernementale a estimé que la mise en oeuvre du statut particulier est liée à l’adoption des mesures législatives et réglementaires complémentaires en voie d’adoption et au retour des populations déplacées. Par ailleurs, la partie gouvernementale s’est engagée à lever toute contradiction éventuelle entre les dispositions du Pacte National et celles de la loi n°93-008 sur la décentralisation ". Quant à la rencontre d’Alger (du 10 au 15 mai 1994) et celle de Tamanrasset II (du 27 au 30 juin), elles n’ont même pas abordé cette question de "statut particulier ".

La paix non garantie

Comme on peut s’en rendre compte après analyse des textes fondamentaux et lecture des PV des différentes rencontres ci-dessus évoquées, les fameux accords d’Alger, signés le 4 juillet dernier, présentent une double facette à la fois itérative et contradictoire : c’est un Pacte national bis tant au niveau du référentiel à ses chapitres et à ses articles spécifiques qu’au plan des innovations, mais aussi ledit pacte est violé dans son esprit comme dans sa lettre.

Quelles sont les chances de l’applicabilité de ces accords pour récupérer toutes les armes enlevées (à Kidal et à Ménaka) et restaurer la pleine sécurité comme la paix "définitive " à la lumière des couacs qui ont toujours accompagné la mise en œuvre du Pacte national dont un des succès (l’intégration des ex combattants de la rébellion dans les forces armées et de sécurité) a été paradoxalement retourné contre la volonté de paix et de sécurité comme les événements du 23 mai dernier à Kidal et à Ménaka en constituent une illustration éloquente ?

La réponse a été donnée par le ministre de l’Administration territoriale et des collectivités locales, le général Kafougouna KONE, qui était interrogé sur les accords d’Alger par le député Boubacar TOURE. "La signature des accords d’Alger ne garantit pas qu’il n’y aura plus de rébellion au Nord ", a confessé le général KONé. 

 

 Par Seydina Oumar DIARRA-SOD

Commentaires via Facebook :