Mme Bouare, Madani Toure et Tatam Ly : Confrontations tendues

Les anciens membres du gouvernement, Madani Touré, ex-ministre délégué au Budget, et Oumar Tatam Ly, ancien Premier ministre, ont comparu respectivement le jeudi et vendredi derniers par vidéoconférence devant la Cour en qualité de témoins.

25 Juin 2025 - 02:02
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Mme Bouare, Madani Toure et Tatam Ly : Confrontations tendues

Le témoignage de Madani Touré a rapidement viré à une véritable joute verbale avec Mme Bouaré Fily Sissoko, ancienne ministre de l'Économie et des Finances.

Lors de son audition, M. Touré a nié toute connaissance de l’achat de l’avion présidentiel, une affirmation vigoureusement contestée par Mme Bouaré. Pour appuyer ses propos, celle-ci a présenté des échanges de courriels montrant que les discussions autour de l’acquisition de l’aéronef avaient impliqué Madani Touré, elle-même et Marc Gaffajoli, conseiller du gouvernement malien sur ce dossier.

Madani Touré a reconnu avoir reçu un courriel de M. Gaffajoli contenant la lettre d’intention et le prix d’achat de l’avion, mais a insisté sur le fait que cette lettre ne lui était pas destinée, mais à Moustapha Ben Barka, ministre délégué aux Investissements. Selon lui, Mme Bouaré avait désigné Ben Barka pour mener les négociations lors d’une réunion de cabinet.

Ce point est formellement contesté par Mme Bouaré, qui affirme que Madani Touré a suivi l’intégralité du processus de négociation. Elle a produit à cet effet des échanges de courriels et des dates de réunions auxquelles M. Touré aurait pris part.

Ce dernier réfute ces allégations, soutenant qu’il n’a assisté qu’à une seule réunion, le 7 janvier 2014, au cours de laquelle Mme Bouaré aurait désigné Ben Barka pour porter le dossier. Mme Bouaré corrige, expliquant que la réunion en question s’est tenue dans le salon de son bureau, et qu’il s’agissait d’un échange sur les options entre location-vente et acquisition directe. Elle rappelle par ailleurs qu’entre-temps, la lettre d’intention avait été signée par le ministre de la Défense, engageant ainsi l’État malien.

Concernant le coût de l’avion, Madani Touré confirme un montant de 18,5 milliards FCFA pour l’acquisition, 2,5 milliards pour les frais annexes (parking, assurance, immatriculation, etc.), soit un total de 21 milliards FCFA. Il précise également que le sceau "secret défense" a été apposé en raison du caractère sensible de l’appareil, destiné au commandement présidentiel un point sur lequel les deux parties s’accordent.

Interrogé sur l’origine du décaissement de 15 milliards FCFA par le Trésor, Madani Touré dégage de toute sa responsabilité, expliquant que la direction nationale du Trésor ne relevait pas directement de son autorité. Il nie avoir donné un quelconque ordre à Boubacar Ben Bouillé Haïdara, alors directeur national du Trésor.

De son côté, Mme Bouaré affirme également ne jamais avoir ordonné ce décaissement, précisant que la lettre en question visait à accompagner le paiement et non à le régulariser. Elle évoque un courrier émis a posteriori.

M. Touré insiste et jure même sur le fait qu’il n’a jamais été informé du prêt octroyé par la BDM, encore moins autorisé son décaissement.

Un flou persiste quant à l'identité de la personne ayant effectivement ordonné le décaissement des 15 milliards, désormais au cœur de l’un des mystères de ce procès.

Dénis

En ce qui concerne le contrat militaire, Madani Touré assure n’avoir jamais eu connaissance d’aucune pièce liée à ce contrat et affirme n’en avoir entendu parler qu’après son départ du gouvernement, par voie de presse.

Après cinq heures de confrontation, le président de la Cour a remercié M. Touré pour sa comparution, l’invitant à rester disponible pour toute suite éventuelle.

Après une pause d’une heure, à 16h, le directeur général de la Banque Atlantique, Mahamane Ismaël Maïga, est appelé à la barre pour apporter un éclairage sur la garantie de 100 milliards FCFA accordée par l’État au profit de la société Guo Star.

M. Maïga explique que cette garantie visait à sécuriser la Banque en cas de défaut de paiement de Guo Star. Grâce à cette couverture, une lettre de crédit de 33 milliards FCFA a été débloquée au bénéfice de Guo Star, accompagnée d’un financement de 15 milliards FCFA mobilisé par la Banque malienne de solidarité, destiné aux frais d'approche.

Un avenant de 5,9 milliards FCFA est ensuite intervenu pour augmenter le nombre de véhicules blindés prévus dans le contrat. Toutefois, seuls 10 milliards ont effectivement été décaissés, les 5 milliards restants faisant l’objet d’une syndication.

Le directeur note également que le coût total de l’opération s’est élevé à 39 milliards FCFA, tandis que le Trésor a débloqué 44 milliards FCFA, répartis sur deux mandatements.

Interrogé sur la rémunération de la Banque Atlantique, M. Maïga indique que la structure bancaire a perçu 8 897 912 404 FCFA, TVA comprise, au titre des intérêts sur cette opération.

Ce vendredi 20 juin 2025, à 10h à Bamako (6h au Canada), Oumar Tatam Ly, ancien Premier ministre, est apparu à l’écran pour témoigner par vidéoconférence. Après avoir prêté serment, il a été invité à livrer sa version des faits concernant l’achat de l’avion présidentiel et le contrat militaire controversé.

M. Ly explique que, peu avant le départ du président feu Ibrahim Boubacar Keïta (IBK) pour Assemblée général des Nations-unies à New York, ce dernier lui aurait personnellement demandé de prendre les dispositions nécessaires pour acquérir un nouvel avion pour ses déplacements.

Il déclare avoir été mis en contact avec Marc Gaffajoli, mandaté par IBK pour proposer un schéma d’acquisition. Il précise alors avoir instruit la ministre de l’Économie et des Finances de produire une note technique sur les différentes options permettant de préserver les finances publiques. Cette note a recommandé l’option de la location-vente, une formule que le président aurait rejetée. En Conseil des ministres, IBK aurait alors annoncé sa volonté d’acheter directement un avion présidentiel. Tatam Ly affirme avoir "pris acte" de cette décision politique et s’être ensuite totalement désengagé du dossier.

Concernant le contrat des équipements militaires, l’ancien Premier ministre déclare ne pas avoir été associé à son élaboration, affirmant en avoir pris connaissance à travers la presse après son départ du gouvernement. Il reconnaît néanmoins avoir reçu un e-mail au sujet de commandes de matériels roulants pour l’armée de terre, sur lesquels il aurait conseillé à la ministre concernée d’user de la "bonne règle de l’art" dans la gestion de ce marché.

Il ajoute que la manière dont ces deux dossiers ont été gérés est la principale raison de sa démission du poste de Premier ministre.

Des tensions avec IBK et certains ministres

Oumar Tatam Ly a également évoqué des relations difficiles avec le président de la République et certains membres du gouvernement. Il affirme que ses suggestions en matière de gouvernance ou de sécurité nationale ont systématiquement été écartées par IBK. Il regrette notamment qu'aucune réunion du Conseil supérieur de la défense n'ait été convoquée malgré ses nombreuses demandes.

Il dénonce également le fait que certains ministres voyageaient sans son autorisation, une pratique qu’il jugeait "anormale". Il cite Bouaré Fily Sissoko et Soumeylou Boubèye Maïga comme les deux membres du gouvernement avec qui il avait le plus de désaccords. Il affirme avoir tenté à deux reprises de les écarter lors de remaniements, sans succès.

Mme Bouaré a vivement réagi à ces propos, l’accusant d’avoir mandaté Madani Touré pour produire un rapport à charge sur sa gestion dans le but de la discréditer et de l’écarter du gouvernement. Oumar Tatam Ly a rejeté cette accusation : "Je n’ai jamais demandé un rapport sur elle. Ce n’est pas ma nature. Je n’ai aucune rancune envers qui que ce soit".

Interrogé sur sa connaissance de Mahamadou Camara, accusé d’avoir délivré un mandat exclusif à Sidi Mohamed Kagnassy au nom de la Présidence, il affirme l’avoir rencontré pour la première fois lorsqu’il a été nommé directeur de Cabinet du président.

Des propos démentis par Mahamadou Camara, qui affirme avoir connu Tatam Ly avant son entrée en fonction, lors d’une réunion au domicile d’IBK dans le cadre de la campagne présidentielle. Il assure que Tatam Ly faisait partie de la troïka chargée de gérer la transition post-électorale, ce qui aurait justifié sa nomination à la Primature.

La Cour prévoit, pour la semaine qui commence, l’audition des membres de la commission de réception des matériels et des contrôleurs financiers impliqués dans le dossier.

Ousmane Mahamane

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