Les
Casques bleus de la mission de paix des Nations unies au
Mali (Minusma) sont à nouveau endeuillés. Sept d'entre eux ont été tués mercredi 8 décembre par un engin explosif dans le centre du pays. La veille, un membre de la mission onusienne avait déjà péri de ses blessures à Dakar, après avoir lui aussi été touché par une explosion le 22 novembre dans le nord du Mali.
Déployée en juillet 2013, sept mois après le début de l’opération française contre les jihadistes dans le nord du Mali, la Minusma, qui compte quelque
11 000 militaires, 2 000 policiers ainsi que des équipes civiles de terrain, a notamment pour mission d’accompagner l’application de l’
accord de paix de 2015, la restauration de l’autorité de l’État et la protection des civils.
Mais avec la dégradation de la situation sécuritaire dans le pays, la mission onusienne a essuyé de lourdes pertes depuis sa création : plus de 150 de ses membres ont été tués par des actes hostiles, selon les statistiques de l’ONU.
Pour mieux comprendre les difficultés des Casques bleus sur le terrain, France 24 s’est entretenu avec le général de brigade Philippe Pottier, chef d’état-major de la Force de la Minusma.
France 24 : Depuis sa création, la Minusma a été visée par de nombreuses attaques et a enregistré un nombre record de pertes humaines. Comment expliquer ce lourd bilan ?
Général de brigade Philippe Pottier : Nous évoluons dans un contexte de guerre asymétrique, imposée par les jihadistes. Le plus souvent, ils nous visent avec des engins explosifs dissimulés ou avec des tirs d’artillerie puis se sauvent. Ces tirs dits “de harcèlement”, qui durent généralement une dizaine de minutes, créent un effet de surprise et rendent la riposte très difficile puisque les assaillants quittent rapidement la zone.
Ces attaques indirectes constituent 90 % des assauts auxquels sont confrontées nos troupes. Mais nous devons parfois faire face à des assauts directs, comme le
20 janvier dernier contre notre base d'Aguelhoc, au nord de la région de Kidal, qui, bien qu’il ait coûté la vie à 10 Casques bleus, a tourné à notre avantage.
D’autres missions de l’ONU sont confrontées à des attaques indirectes de par le monde. Mais elles sont au Mali d’une ampleur inédite et occasionnent de lourdes pertes dans nos rangs.
Quelles mesures avez-vous mis en place pour mieux protéger vos effectifs sur le terrain ?
Ce sujet fait l’objet d’une réflexion permanente. À chaque attaque, nous tentons d’adapter notre dispositif pour limiter les risques. À titre d'exemple, la sécurité du camp d’Aguelhoc a été significativement renforcée depuis l’attaque. Nous avons récemment doté le bataillon de mini-drones d’observation présents dans tous les camps pour surveiller les abords de nos bases et déceler les attaques en amont.
Nous menons par ailleurs un gros travail avec nos unités d’escorte, lors de nos déplacements en convoi, pour repérer et détruire les engins explosifs dissimulés qui occasionnent la grande majorité de nos pertes humaines. Nous parvenons aujourd’hui à découvrir environ 70 % de ces engins.
Mais si ce travail permet d’atténuer la menace, la guerre se joue à deux et notre ennemi s’adapte également en multipliant les attaques. Entre 2020 et 2021, le nombre d’incidents liés aux engins explosifs improvisés recensés dans le pays est passé de 158 à 226.
La Minusma doit également protéger les civils contre la menace jihadiste, comment cette mission s’articule-t-elle sur le terrain ?
La Minusma ne peut, à elle seule, restaurer la sécurité au Mali et notre rôle n’est pas de remplacer l’armée malienne. Nous agissons en appui de l’armée nationale lors de ses opérations et organisons pour eux des opérations de rapatriement sanitaires lorsque c’est nécessaire. Pour autant, la Minusma bénéficie d’un mandat robuste qui va au-delà de celui d’une mission de la paix classique. Il nous autorise à prendre des mesures proactives en particulier pour la protection des civils.
Notre mandat comprend le respect de l’accord de paix [signé en 2015 entre la République du Mali et la Coordination des mouvements de l'Azawad NDLR], or tous les groupes armés ne l’ont pas signé. Nous sommes donc considérés comme une cible privilégiée par les groupes qui y sont opposés.
La situation est encore plus compliquée dans le centre, où il n’y a pas d’accord de paix et où nous faisons face à des violences liées aux jihadistes mais également aux conflits ethniques ainsi qu’au banditisme. Nous essayons de multiplier les patrouilles dans les zones qui font objet d'attaques récurrentes, comme c’est le cas actuellement entre Mopti et Bandiagara.
Notre présence a un effet dissuasif pour les jihadistes qui préfèrent généralement nous éviter. C’est pourquoi ils multiplient les attaques sur les axes routiers afin de réduire notre présence et notre liberté d’action dans les villages dont ils tentent de prendre le contrôle.
Nous enregistrons parfois des succès, comme à Ogossagou, où nous sommes parvenus à sécuriser la zone et avons engagé des discussions entre communautés rivales qui ont permis la signature d’un accord de paix en octobre.