Souleymane Papa Coulibaly : «On doit mettre en place les outils de prévention pour limiter la consommation et l'accès à la drogue»
Dans cet entretien, le chef du service de psychiatrie du Centre hospitalier universitaire du Point G explique l'ampleur du phénomène dans notre pays. Le praticien hospitalier souligne également l'addiction à la drogue et les dispositifs de prise en charge des toxicomanes

L'Essor : Quand est-ce qu’on parle d’addiction à la drogue ?
Pr Souleymane Papa Coulibaly : On parle de ce phénomène, lorsque la personne perd sa capacité à contrôler ce qui est consommé. Certes, elle reste conscience des conséquences du produit sur sa santé, mais aussi sur son fonctionnement. Elle tente aussi d’arrêter la consommation du produit sans y parvenir. Autrement dit, son désir d’arrêter est surpassé par les effets du produit. Si elle décide d’arrêter, elle peut ressentir aussi des malaises liés au fait que le corps s’est habitué au produit. Parfois, il arrive que le consommateur ne ressente plus les mêmes effets que le produit avait l'habitude de lui procurer. Ce qui l'amène à augmenter la quantité de la substance consommée pour ressentir les mêmes effets. En présence de ces signes, on peut conclure à une dépendance à la substance concernée d’où la toxicomanie, c'est-à-dire une appétence pour un produit.
L’Essor : Comment le manque se manifeste chez vos patients et quelles sont vos méthodes de sevrage ?
Pr Souleymane Papa Coulibaly : Le manque est un état de mal-être que la personne va ressentir dans sa disposition psychologique, psychique. À ce stade, il lui faut consommer sa substance pour être soulagée. Les signes de manque peuvent se traduire par l’incapacité à rester tranquille, à se concentrer sur des tâches, mais aussi par des vomissements, des vertiges, la douleur et la sensation d’avoir mal partout. Tout cela en fonction des produits incriminés. Il peut également se traduire par une détresse respiratoire et une perte de connaissance. Le pronostic vital peut même engagé.
Il est complexe de pouvoir parler globalement de la prise en charge. Mais le médecin procède à un traitement des signes. La prise en charge repose sur la surveillance pour éviter que le pronostic vital de la personne soit engagé parce qu’il faut faire extrêmement attention. Pour certains produits, on ne peut demander d’arrêter la consommation sans assistance médicale. C’est comme si vous condamnez la personne à mort. D’où, la nécessaire implication d’un spécialiste. Celui-ci doit prendre en charge ce moment de sevrage.
L'Essor : Quels sont les psychotropes que vous retrouvez souvent chez les jeunes patients?
Pr Souleymane Papa Coulibaly : Les psychotropes peuvent être des médicaments utilisés pour soigner. Mais, ils sont souvent détournés de leur usage. Je dois admettre une réalité. Ce sont aussi des substances consommées en dehors de toute prescription médicale, par des jeunes ou des patients. Chez les patients que nous recevons le plus souvent, le produit incriminé est le cannabis communément appelé «joint». En plus de ce produit, les gens peuvent nous solliciter parce qu'ils ont perdu la capacité à contrôler leur consommation, donc ça devient un problème.
Ces dernières années, nous recevons en consultation des patients ayant consommé des médicaments comme le tramadol. En plus, des drogues dures, notamment la cocaïne, l'héroïne, les amphétamines et d'autres sont aussi consommés par certains patients qui nous sont référés.
L'Essor : Quels sont les troubles psychologiques et physiologiques provoqués par ces substances ?
Pr Souleymane Papa Coulibaly : La dépendance va vous faire perdre du temps, beaucoup d'argent et des relations. Vous aurez besoin du temps pour vous remettre des effets du produit. Au-delà, les produits qui sont consommés peuvent avoir un effet direct sur le cerveau et crSur le plan physique, la drogue qui est
éer des maladies ou encore aggraver une situation précaire de santé mentale notamment une dépression, un trouble psychotique. Sur le plan psychique, le consommateur peut être agité ou agressif pour la communauté.
incriminée peut avoir une toxicité sur les poumons, le sang, les reins, la dentition, la peau, les cheveux et l'état nutritionnel. Le mode de consommation de la drogue peut aussi être un facteur favorisant d'autres pathologies. Par exemple, l'usage des seringues peut être un facteur de transmission du VIH, des hépatites et de la tuberculose. Sur le plan social, la consommation de la drogue peut aboutir à la disqualification de la personne, la perte d'emploi et de ses capacités, voire de sa responsabilité familiale.
L'Essor : Comment évaluez-vous les dispositifs de prise en charge des toxicomanes dans notre pays ?
Pr Souleymane Papa Coulibaly : Il y a plusieurs aspects de la prise en charge qui sont sous-développés dans notre système de soins. Celle des personnes qui ont des problèmes liés à la consommation de drogue ne se limite pas qu'à un sevrage. Il y a beaucoup de choses à faire avant de poser le diagnostic. Il faut travailler avec la personne sur comment vous allez ensemble cheminer pour la gestion de ce produit. Vous allez travailler sur la capacité à réduire les dommages liés à la consommation. Et tout un programme doit être mis en place pour gérer ces dommages-là ou pour arrêter. Donc, ça peut nécessiter la prescription de médicaments, la mise en place d'un protocole national. Pour l'instant, ce sont des choses qui sont La prise en à un niveau rudimentaire dans notre système de soins. Et aussi, il faut mettre les dispositifs à plusieurs endroits pour que les soins soient accessibles à la population.
charge est à la fois professionnelle et communautaire. Malheureusement, vous allez voir des gens dire beaucoup de choses sur la consommation des substances qui ne relèvent pas de leur ressort. Et il y a des informations relayées dans les médias publics avec des erreurs de communication qui vont aggraver la situation. J'attire l'attention des autorités et de tous les intervenants que nous devons cheminer dans la cohésion, la synergie pour faire face à la prise en charge des toxicomanes selon les programmes et les modes d'intervention reconnus par les instances internationales comme ayant un effet bénéfique sur la consommation et la prévention de l'usage des substances.
L'Essor : Que préconisez-vous pour éradiquer ce fléau qui fait des ravages en milieu jeune?
Pr Souleymane Papa Coulibaly: Malheureusement, on ne l'éradiquera pas. On doit mettre en place les outils de prévention pour limiter la consommation et l'accès de la population à ces produits. Il faut mettre aussi en place les dispositifs de prise en charge de ceux qui seront dans le besoin et de r
éinsertion de ceux qui ont eu des problèmes ainsi que ceux qui ont pu arrêter. Il faut les permettre de maintenir leur position d'arrêt.
L'Essor : Un message à l’endroit de la population?
Pr Souleymane Papa Coulibaly: J'invite la communauté à s'organiser en vue d’apporter son assistance à une personne qui développe une addiction à certaines substances. Elle doit la considérer comme une personne en nécessité d’assistance. La communauté doit s'organiser afin que l’on est moins accès aux substances toxiques. Le gouvernement aussi devrait mettre en place des programmes, des stratégies, mais aussi des politiques visant à mieux protéger la population et aussi offrir les soins les plus adaptés à ceux qui consomment des drogues. Enfin, les professionnels de la santé doivent se former sur les interventions les plus adaptées dans la prise en charge des problèmes liés à la consommation de drogues.
Propos recueillis par
Fatoumata Kamissoko
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