Tiegoum Boubeye Maïga sur la journée de la presse : “La liberté de presse est la mère de toutes les autres libertés”

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Cela fait 30 ans que le Mali célèbre la Journée internationale de la presse. Une journée de réflexion et de bilan de la presse, la démocratie et les libertés au Mali. Tiégoum Boubèye Maïga, l’un des acteurs incontournables de l’avènement et de l’exercice de ce métier de journalisme au Mali fait le tour de la presse. L’historique, l’enjeu et les perspectives. C’est dur certes mais le doyen reste optimiste. Il le dit.

 Mali Tribune : Que vous disent, aujourd’hui, 30 ans d’exercice de la presse au Mali ?

Tiégoum Boubèye Maïga : 30 ans de la presse, c’est 30 ans de cheminement, 30 ans de haut et de bas, 30 ans d’incertitudes, 30 ans de liberté qui épousent un peu l’évolution du pays. Le pays a connu beaucoup de crises et la presse était aux premières loges de ces crises. En tant que spectatrice. En tant que narrateur. En tant que témoin et la presse n’a pas échappé à ces crises. Que ce soit les crises politiques, les crises sociales ou les coups d’Etat.

La presse a été témoin de tout ça et en a rendu compte. 30 ans d’un exercice périlleux  souvent. On a des journalistes qui ont disparu. Le cas de Birama Touré jusqu’à présent qui n’est pas réglé. On a des journalistes qui ont été battus. On a de grandes peurs mais les journalistes sont là. On se dit malgré tout, il faut essayer de faire le métier et d’informer les Maliens.

Mali Tribune : Comment était la presse à ses débuts au Mali ? Comment tout a commencé et comment ça s’exerçait ?

T B. M. : Pour nous le commencement c’est en 1988. Parce que c’est en cette année qu’il y a eu la loi sur la presse. Cette loi permettait la création de la presse libre, mais c’était une loi qui était très difficile en termes de contraintes pour les journaux.

Malgré toutes les difficultés, les contraintes qu’il y avait dans cette loi-là, les promoteurs du journal, “Les Echos”, les Alpha Oumar Konaré, la Coopérative Jamana, on dit oui, il y a des brèches qu’on peut exploiter. Allons-y pour la création des journaux dans le respect total de la loi sur la presse. Malgré les contraintes.

On marchait pratiquement sur les œufs. A gauche ou à droite si tu ne fais pas attention, le procureur peut mettre la main sur toi. Il y avait une sorte de censure qui ne disait pas son nom. Pour le dépôt légal, dans ladite loi, les journaux avaient l’obligation de faire le dépôt légal 24 heures avant la parution. On déposait chez le procureur et au ministère de l’Administration territoriale.

L’Etat se donnait les moyens de lire le journal et de le saisir au besoin, s’il y a des articles qui ne plaisaient pas aux autorités. Comme nous, on savait que c’était ça l’objectif, on faisait en sorte que les informations qu’on donne soient vérifiées, vérifiables et que nous puissions respecter les dispositions de la loi de bout en bout. Comme sur ce plan ils n’ont pas pu nous avoir, ils ont voulu faire en sorte que le dépôt soit fait 72 h en avant. Les journaux ont dit non. C’est la loi qui dit 24 h, donc il faut changer la loi.

La deuxième difficulté était l’accès aux informations. L’accès aux sources. Les gens avaient peur de la presse à l’époque. Il y avait “Les Echos, Aurore, la Roue…” La presse était perçue comme des opposants. Tous ceux qui étaient susceptibles de nous donner des informations avaient cette peur de collaborer avec des opposants. Il fallait être très professionnel pour mettre les sources à l’aise, les mettre en confiance pour avoir les informations et les traiter comme ça doit se faire.

L’autre difficulté qu’on avait, c’était les imprimeries, les outils n’étaient pas bons. Il y avait un environnement assez difficile. Sans compter la distribution et la vente du journal. Aller chercher de la publicité. La première entreprise qui a pris une demi-page publicitaire au journal “Les Echos”, a eu tous les problèmes du monde avec le régime. C’était une entreprise d’assurance. Le régime a estimé que cette assurance finance l’opposition. C’était comme ça jusqu’à l’avènement de la démocratie. La situation a fondamentalement changé.

Mali Tribune : Quelle lecture faites-vous de la relation entre la Transition en cours et la presse malienne ? Les relations sont-elles tendues ?

T B. M. : C’est que l’actuelle Transition est la 3e du Mali démocratique. Il y a une première Transition en 1991-1992. La deuxième Transition de 2012-2013 et l’actuelle Transition. En dehors de la première Transition où c’était la ferveur démocratique, on était tous ensemble, les deux dernières transitions qui sont issues de coup d’Etat se caractérisent par une restriction de la liberté de la presse.

En 2012, il y a eu le doyen, Saouti Haïdara qui a été enlevé et agressé. Son bras cassé et jeté derrière le stade du 26-Mars. Il y a eu Birame Fall qui a fait quelques jours dans les geôles. Donc il y a une sorte de chape de plomb qui pesait sur la tête des gens. Et je ne dis pas que les gens avaient peur, mais ils étaient très prudents. La Transition actuelle, c’est la même chose. Tous les jours, on entend qu’on a enlevé une personne. On l’a bastonné et on le ramène. Sans compter que la pression sur la presse d’une manière générale est tellement forte que certains journalistes ont peur de faire leur travail, c’est-à-dire que s’ils parlent, filment ou écrivent, il y a de fortes chances qu’on mette la justice sur leur dos, ça c’est au mieux des cas. Sinon se faire enlever et violenter.

Il y a Djoliba TV qui a été fermée un moment donné même si c’est la Haute autorité de la communication (Hac), qui l’a fermée. J’ai remarqué que l’éditorial que faisait le jeune Attaher Halidou a disparu. Ce n’est pas normal. C’est une restriction dans l’exercice de la profession. Deuxième chose en chassant nos confrères internationaux, RFI et France24 ont été fermées, TV5 n’a presque plus de correspondants ici, Jeune Afrique ne peut plus envoyer des journalistes. Peut-être c’est un message pour nous les locaux, en disant si ces gens, on les empêche de devenir donc soyez prudents. Ce n’est pas toutes les informations qu’il faut traiter.

Aujourd’hui un journaliste qui voudrait aller au centre du pays, voir comment la lutte se mène, ce n’est pas évident qu’il soit autorisé. Alors qu’en temps normal pour l’information des populations, c’est le journaliste qui est sur le terrain qui peut avoir les informations. Là à Bamako, on est obligé de nous contenter de la communication de la Direction des relations publiques de l’Armée (Dirpa). Chaque mois la Dirpa fait un communiqué. Comme personne d’entre nous n’est sur le terrain, on est obligé de les diffuser tel qu’il est. Alors que l’idéal aurait été que les journalistes puissent aller sur le terrain. Aller recouper les informations.  Sans compter que l’actuelle Transition a énormément de difficultés avec les partenaires internationaux.

Il y a une contraction de l’économie et des finances que les journaux qui vivent ou survivent ne sont pas nombreux. La censure et l’autocensure qui frappent la presse, ne sont pas à l’avantage des Maliens. On ne peut donner des informations aux gens. Les informations qu’on a, ce sont des informations à sens unique. Les journalistes qui osent donner des informations qui osent donner des opinions dans le sens de la Transition, sont lynchés tous les jours. Mais il faut se battre.

Mali Tribune : Que peuvent être les conséquences de ces censures ?

T B. M. : La population n’est pas au courant de ce qui se passe réellement. Par exemple : ce qui s’est passé à Sévaré, en dehors des communiqués, des messages de la hiérarchie militaire, je n’ai pas vu de journalistes, y compris ceux de Mopti, faire un reportage, faire parler les gens et apporter des informations. Ça n’existe pas. Parce que les gens, ils ont peur d’aller chercher de l’information.

Le Premier ministre a été interpelé par rapport à l’achat des équipements militaires, il n’a pas été capable de donner une seule réponse. Il dit que lui, Premier ministre, ce n’est pas son domaine et que ces gens-là s’ils ont besoin d’information, ils n’ont qu’à s’adresser au ministre de la Défense. C’est assez grave. C’est quand-même lui le chef du gouvernement, le chef de l’Administration et une telle déclaration, rejaillit sur l’ensemble des fonctionnements de l’Etat.

Le Vérificateur général n’est allé ni à la Défense ni au ministère de la Sécurité. On est dans une zone de non transparence et ce n’est pas bon pour l’information du peuple. Le peuple voit beaucoup d’équipements mais ne sait comment et dans quelles conditions ils ont été achetés. Peut-être qu’un jour on va se retrouver avec une dette extraordinaire et on ne pourra pas l’expliquer aux Maliens. Or c’est maintenant qu’il faut expliquer. On dit budget national, budget national, c’est un terme générique. Il y a certains nombres d’informations dont le peuple n’a pas accès et ça c’est le rôle du  journaliste. Si le journaliste est opprimé, il est censuré, il est menacé, l’instinct de survie ne veut pas qu’il aille chercher l’information.

Mali Tribune : Comment voyez-vous l’avenir de la presse malienne ? Etes-vous optimiste la concernant ?

T B. M : : Je suis un éternel optimiste. Oui, il y a des problèmes. Ne parlons même pas de la nouvelle race des videomen, des réseaux sociaux. Je parle de notre métier. Mais je pense qu’avec les différentes écoles, on va résoudre ça. C’est un problème de formation. N’importe qui ne peut se lever pour dire qu’il est journaliste. Donc il faudrait que les gens comprennent que c’est un métier et ça s’apprend. C’est une science. Malheureusement, pendant un bon moment tous ceux qui n’ont pas eu accès à un bon travail pensent qu’ils peuvent devenir journaliste.

Le journalisme est devenu un métier pas un fourre-tout mais un passe-temps. Tu vas trouver qu’il y a un docteur qui n’a pas eu une infirmerie ou une pharmacie va dire bon en attendant je vais créer un journal où je vais travailler dans une radio. Ou quelqu’un qui a étudié le droit. Qui n’a pas pu être magistrat. Qui n’a pas eu un cabinet d’avocat, qui va dire en attendant je vais… Il faut que ça soit réglementé et il faut que les gens l’apprennent.

Deuxièmement, avec les nouvelles technologies, ça nous apporte beaucoup d’opportunités. Toutes les informations dont on a besoin, on peut les trouver sur internet. Mais si un journaliste n’est pas formé, il ne saura quel meilleur usage à en faire. Je reviens toujours à la formation, il faut former les journalistes. Les réseaux montrent aujourd’hui que les Maliens ont une grande capacité de commentaire, une grande capacité de mettre leur opinion sur la place publique. Une opinion ou un bon commentaire ne peut être fondé que sur des faits. Pour que les opinions et les commentaires soient bénéfiques, pour ceux qui les expriment d’abord et pour le pays, il faut que le journaliste soit là pour les faits.

Les faits concernant la santé, l’éducation, la lutte contre la corruption. Un peuple informé, je pense que ce peuple peut bien décider. Malheureusement avec toute la pagaille que l’on a là, je ne suis pas très sûr. On a des gens qui donnent l’impression d’être très informés,  mais je ne suis pas sûr qu’ils le soient vraiment au courant des faits.

Mali Tribune : Quelles solutions préconisez-vous à ces difficultés ?

T B. M. : Pour surpasser toutes ces difficultés, il faut que l’Etat s’implique. L’Etat son premier rôle c’est d’encadrer la presse. C’est de former les Maliens à être des journalistes et d’aider la presse. Prenons juste l’aide à la presse, cela fait deux ou trois ans que l’Etat ne s’acquitte pas de cette affaire. Or ce n’est pas un cadeau. C’est dans la loi. L’Etat doit aider la presse. Je pense que l’état végétatif de la presse, des journaux, les radios ça arrange un peu le pouvoir, le gouvernement. Parce qu’une presse faible ne pas être un bon contrepouvoir. Comme on est très faible, je pense que les journalistes, sont plus dans la survie que l’exercice plein et entier de la profession. Un bon journaliste doit pouvoir titiller le pouvoir tous les jours, mais là on ne peut pas. Rares sont les journaux qui peuvent le faire. Et c’est bénéfique pour le pouvoir.

Mali Tribune : Presse et liberté, qu’en dites-vous ?

T B. M. : La liberté d’expression est la mère de toutes les libertés. La liberté de la presse, je pense que sur les quatre libertés (bien vivre, bien se soigner…), la liberté de presse vient en première position. Parce que quelqu’un qui est malade, qui ne va pas à l’école, s’il ne peut pas aussi s’exprimer, s’il n’y a pas de journaliste pour mettre en avant cette difficulté et lui permettre de dire exactement ce à quoi il aspire, ça ne sert à rien. C’est le soubassement. La liberté de presse est le soubassement de la démocratie. Quand les gens ne peuvent s’exprimer, les gens ne peuvent pas écrire, quand les journalistes ne peuvent pas faire leur travail, on n’est plus dans une démocratie. Toutes les autres démocraties sont appelées à disparaitre.

Mali Tribune : A vos confrères, vous diriez ?

T B. M. : Qu’on a le plus beau métier du monde. Il ne faut pas baisser les bras. La lutte continue. C’est une lutte que l’on reprend tous les matins. La liberté se défend tous les matins. Personne ne dira, ici, c’est un stop, on est arrivé. Il faut se battre tous les matins. Sinon de l’autre côté, les gens sont toujours prêts à nous priver de la liberté. Et il faut que nous soyons nous-mêmes vigilants par rapport à l’exercice de cette liberté.

Propos recueillis par

Koureichy Cissé

 

 

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1 commentaire

  1. La liberté de la presse est contrôlée dans tout pays. Mais les puissances veulent toujours mettre les pays Africains à genoux, à travers les médias nationaux; elles les paient pour raconter du n importe quoi, dénigrant ces pays.
    Alors que les gouvernements africains contrôlent leurs médias, en particulier en temps de guerre et de tensions entre un pays Africain et une puissance, comme au Mali. Tout intellectuel, honnête homme, patriote, bon homme de média, ne s oppose pas au contrôle des médias, de la presse par son gouvernement.

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