Entretien avec Dany et Jean Michel Fickinger auteur du livre « Koredugaw » : “L’idée d’écrire ce livre nous est venue suite à une exposition de photographies sur les Korèdugaw à Paris”

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Le binôme, Dany Leriche et Jean Michel Fickinger est un couple de photographe et d’enseignant français qui s’intéresse à la culture et aux traditions maliennes, notamment les minorités spirituelles qui résistent à l’uniformisation culturelle globale. Dany et Jean Michel enseignent respectivement les arts plastiques et la photographie au Conservatoire des Arts et Métiers Multimédia Balla Fasséké Kouyaté de Bamako (CAMM-BFK). Dans leur dernier ouvrage intitulé “Korèdugaw”, ils se sont, avec l’appui de spécialistes maliens et français, intéressés aux Korèdugaw du Mali, une société initiatique ancestrale dont le rôle, important dans notre pays, échappe à plus d’un. Nous les avons rencontrés pour une interview exclusive.     

Aujourd’hui-Mali : Bonjour, pouvez-vous nous présenter votre ouvrage Korèdugaw ?

Dany Leriche : Le livre Korèdugaw est un ouvrage relié, format 21 x 30 cm à la française, 136 pages, 82 photographies imprimées en quadrichromie édité par Trans Photographic Press. Il présente la société initiatique des Korèdugaw du Mali et plus particulièrement celles de plusieurs localités du sud. On les retrouve dans les régions de Sikasso, Ségou et Koulikoro. Comme nous essayons toujours de donner la parole à des Maliens dans nos différents ouvrages sur le Mali, nous avons, dans le livre, des textes d’André Tièmoko Sanogo, de Salia Malé, de Yaouaga Felix Koné ainsi qu’un texte de Laure Carbonnel qui apportent un regard extérieur. Laure a vécu dans le milieu Korèduga et a fait sa thèse sur cette société au musée du Quai Branly. On avait besoin de cette voix féminine et philosophique sur les Korèdugaw. Le livre contient également un texte de Jean Christian Fleury qui nous permet d’expliquer notre démarche.  Ce livre est important dans la mesure où il nous apprend énormément de choses sur les Korèdugaw, leurs rites, leur mode de vie et leur rôle dans la société malienne.

D’où vous est venue l’idée d’écrire ce livre ?

Jean Michel Fickinger : L’idée d’écrire ce livre nous est venue suite à une exposition de photographies sur les Korèdugaw à Paris. C’était dans la galerie d’Hélène Aziza (Le 19 Paul Fort à Paris) qui nous représente. C’est là qu’un éditeur, en voyant les photos, nous a proposé de publier un livre sur les Korèdugaw. Nous avons trouvé l’idée géniale et l’avons fait.

Comment s’est établi le contact avec les Korèdugaw et comment vous avez pu réaliser cet ouvrage ?

D.L : Nous avons été invités à Ségou’Art en 2014 et c’est là où nous avons pour la première fois vu les Korèdugaw. Il y avait une exposition photos sur les Korèdugaw d’Harandane Dicko, un des premiers étudiants maliens de Jean Michel en photographie. J’ai trouvé ça extraordinaire. C’est ainsi que nous lui avons proposé de reprendre le sujet, mais dans tout le Mali puisque lui n’était pas vraiment intéressé et ce qu’il venait d’exposer était une commande de Mamou Daffé. Au départ, on avait prévu une série de photographies. Ensuite, on a constaté toute la nécessité de publier des textes issus de recherches sur les Korèdugaw. Notre démarche a surtout été soutenue par Abdoulaye Konaté et Mamou Daffé qui accordent beaucoup de considération à la culture des Korèdugaw.

Avez-vous rencontré des difficultés dans la réalisation de cet ouvrage ?

J.M.F : Nous n’avons rencontré aucun problème au premier contact avec les Korèdugaw vu que nous étions présentés par Mamou Daffé qui invite les Korèdugaw à chacun de ses avènements. Ensuite, nous avons posé des questions à des personnes qui connaissent les Korèdugaw, comme Salia Malé, pour nous donner les noms des localités où se trouvent les Korèdugaw. Ainsi, de village en village, on a fait de nombreuses haltes entre Ségou et Sikasso et Baguinéda non loin de Bamako. Nous n’avons pas rencontré de difficultés, mais on prévenait toujours avant de venir dans ces localités où nous avions des contacts. Nous avons une amie du nom du Djénéba Tounkara avec laquelle nous travaillons ici depuis des années qui connaît pas mal de localités des Korèdugaw et qui nous a beaucoup aidés. A Watiala, nous avions Felix Koné comme contact.

Dans votre ouvrage, nous apprenons que “ne devient pas Korèdugaw qui le veut” ?

J.M.F : Oui parce qu’on devient Korèdugaw après initiation. L’initiation commence à 7 ans et s’arrête à 63 ans. Dans les sociétés d’initiation des Korèdugaw, d’après ce qu’on a compris, 63 ans c’est l’âge de la sagesse car c’est à partir de cet âge-là qu’on peut dire la vérité.

Qu’est-ce qui caractérise un Korèdugaw ?

D.L : La première des choses, c’est qu’il peut tout tourner en dérision ! Les Korèdugaw remettent en cause le pouvoir, le savoir et toute la société malienne. Et vous savez mieux que moi qu’au Mali tout est codifié. Il y a beaucoup de choses qu’on ne doit pas dire ou faire, mais le Korèdugaw, lui, a toujours le droit car c’est son rôle de contredire, de mettre tout à l’envers. Ce qui est fascinant, c’est qu’ils font tout avec humour.

Nous apprenons dans votre ouvrage que le Korèdugaw n’est pas synonyme d’animiste ?

D.L : Le Korèdugaw est spirituel. Il peut être musulman, chrétien ou athée, mais ce n’est pas forcément un animiste. Le Korèdugaw n’est lié à aucune croyance religieuse, c’est une philosophie.

C’est quoi “le vol du cheval des Korèdugaw” ? 

J.M.F : C’est un vol symbolique qui en réalité est synonyme de demande d’une journée de “travail champêtre collectif des Korèdugaw” (Salia Malé).

La société des Korèdugaw est-elle menacée aujourd’hui par la société moderne dans laquelle nous vivons ? Que préconisez-vous pour la sauvegarde de cette identité ?

J.M.F : On a deux versions sur cet aspect. Nous avons eu une interview avec Felix Koné qui nous a confié que l’une des raisons de la disparation des Korèdugaw vient du fait que les épreuves de l’initiation sont très difficiles. Il nous a dit que l’ancienne génération ne veut pas assouplir les épreuves pour permettre aux jeunes d’être initiés. La deuxième version de Fodé Moussa Sidibé dit qu’une confrérie d’initiés a deux caractéristiques, le profane et le sacré. Si l’une d’entre elles disparaît, la confrérie ne survit pas. Nous avons aussi une autre interprétation qui n’a rien à voir avec celles des Maliens. Un anthropologue brésilien affirme qu’il y a moyen de faire survivre les confréries initiatiques à travers l’art, notamment la musique, le théâtre, la danse et les spectacles.

Nous apprenons dans l’ouvrage que le Korèdugaw a des atouts diplomatiques. Alors en quoi consiste ce rôle ?

 D.L : Quand il y a un conflit entre deux familles ou deux communautés que les autorités n’ont pu régler, on fait appel aux Korèdugaw pour le régler.  Leur intervention est source d’extrêmes désagréments pour les protagonistes jusqu’à ce qu’ils finissent par faire la paix. Cette intervention des Korèdugaw consiste à prendre d’assaut la concession des belligérants. Ils renversent leurs repas à chaque fois qu’il est prêt, ils font leurs besoins partout chez les deux camps en conflit. Fatigués d’être privés de nourriture et d’avoir les excréments des Korèdugaw chez eux, les protagonistes mettent ainsi un terme à leur conflit. Et si par malheur ils tentaient de les empêcher de jouer leur rôle, ils aggraveraient leur situation.

On vous prête une grande connaissance du Mali et de ses traditions qui se perpétuent depuis des siècles. Qu’est-ce qui vous fascine en tant que couple blanc dans ce pays ?

 J.M.F : Nous sommes devenus blancs en venant au Mali. C’est au Mali qu’on a su qu’on était blancs et qu’on avait un certain privilège. Mais ce qui nous a le plus fasciné au Mali, c’est l’accueil. C’est également ce trait fondamental chez le Malien : l’humour.  Aussi, le Mali a une culture extrêmement riche et on en découvre chaque année de nouveaux aspects. On aime aussi le thé et le gingembre (rires).

Vous occupez une place assez importante dans le milieu culturel, d’abord en tant qu’artistes, mais surtout comme enseignants. Que retirez-vous de cette expérience avec les étudiants ?

D.L : C’est une expérience pédagogique différente de qu’on avait en France. Ici c’est complètement différent. Moi je suis personnellement fan parce que j’ai enseigné 25 ans à la Sorbonne (France) et animé beaucoup d’ateliers en Arabie Saoudite. Je donnais toujours les mêmes sujets qui correspondaient au même nombre d’heures et c’est toujours les étudiants maliens qui avaient la meilleure réponse en arts plastiques parce qu’ils ont quelque chose en plus que j’appellerai un don.

Que pensez-vous de la jeune scène malienne des arts visuels ?

 D.L : Je pense qu’il y a énormément de talents sur ce plan au Mali, mais le grand problème c’est le manque de culture générale et la finition des œuvres. Sur ce côté, je me bats, j’essaye de les aider comme je peux. Au départ, le Conservatoire avait la chance d’avoir l’apport de nombreux professeurs étrangers qualifiés, mais aujourd’hui, ce n’est plus le cas. En plus de cela, il y a le système LMD (Licence-Master-Doctorat) qui a tout rétréci parce qu’il n’est pas vraiment adapté aux réalités d’ici. La plupart des étudiants (99%) arrêtent en licence, alors que la 4e année et la 5e année sont hyper importantes dans leur formation. En 3e année, ils ne sont pas vraiment prêts et pour continuer ces études avec ce système, il faut payer un million cinq cent mille francs Cfa. Comme propositions, nous demandons de faire des ateliers en 4e année et d’engager des professeurs de culture générale et de philosophie parce qu’il y a un sérieux problème de ce côté-là. Imaginez qu’un étudiant arrive à réaliser un excellent travail, mais qu’il soit dans l’incapacité de prononcer une bonne phrase sur son travail. C’est dommage et je crois qu’il est urgent de trouver une solution à ce problème.

Quels sont vos projets au Mali ?

J.M.F : Nous continuons à travailler au Mali. Notre prochain projet sera consacré à un livre sur Yaya Coulibaly le célèbre marionnettiste international malien.

                                                                         

 Réalisé par Yousouf KONE 

 

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