La semaine dernière, le président de la République a effectué un voyage de trois jours en Mauritanie voisine. Selon les mauvaises langues, Ibrahim Boubacar Kéita aurait mis à profit ce week-end pour se reposer, déjà essoufflé et usé par seulement moins de quatre mois d’exercice du pouvoir. Parce que, toujours selon eux, IBK n’a pas besoin de 72 heures pour, avec son homologue mauritanien, discuter de questions qu’ils auraient pu régler en une seule ou une demi-journée. Même qu’ils auraient pu expédier tout cela, au téléphone, en quelques minutes, après des réunions de travail des services et commissions techniques des départements concernés, sous la supervision des ministres impliqués dans la gestion des dossiers évoqués. Toujours est-il que le chef de l’Etat, après une paisible campagne électorale, une facile élection à la présidence et un début de mandat douillet, a estimé avoir besoin de dormir pendant quelques nuits au bord de l’Atlantique, loin des sourdes revendications de son peuple désabusé.
Pourtant, les raisons officielles de ce voyage sont tout autres. Selon Koulouba, il s’agissait pour IBK de relancer la coopération économique, militaire et sécuritaire entre les deux pays, d’évoquer les conditions de vie et le retour des milliers de Maliens réfugiés en Mauritanie. Mais pour le citoyen lambda, IBK devait profiter de ce voyage pour éclaircir les nombreuses zones d’ombre qui existent, depuis quelques années, dans la coopération entre le Mali, qui a accordé à sa voisine le droit de poursuivre des terroristes sur le territoire malien, et celle-ci qui accueille, héberge et aide des terroristes et rebelles touareg et arabes. IBK avait là l’occasion de savoir pourquoi le Mnla s’est servi du territoire mauritanien pour sa propagande, comme base arrière et zone de repli.
Déjà avec l’ancien président de la République, Amadou Toumani Touré, cette coopération n’était pas rose, le Malien accusant son homologue mauritanien de fournir armes, munitions et logistiques à certains groupes armés, de 2005 à 2011. Avec le déclenchement de la rébellion armée au Mali, en janvier 2012, la coopération de la Mauritanie avec les rebelles terroristes touareg a été évoquée à plusieurs reprises, détériorant les relations entre les deux pays. Et ce n’est certainement pas un hasard si le président mauritanien a boudé les cérémonies d’investiture et d’intronisation de son voisin, même si, auparavant, il a accepté sur son territoire des réfugiés maliens et facilité la participation de ceux-ci aux opérations électorales.
Pour en revenir aux raisons officielles de la visite d’IBK en Mauritanie, relatives au retour des réfugiés maliens dans leur pays d’origine, elles se révèlent assez légères au vu de la situation sur le terrain. De l’avis de tous les connaisseurs de ce dossier, en effet, il semble que les conditions d’un retour apaisé et sécurisé ne sont pas encore totalement réunies. Le tissu socioéconomique est toujours en lambeaux dans les régions du nord. La relance économique parait compromise par la non réhabilitation des infrastructures socioéconomiques, la dégradation des équipements marchands, le dénuement financier et économique des populations, pour lesquelles les services sociaux de base ne sont plus assurés convenablement.
Sur le plan sécuritaire, la situation n’est guère plus reluisante malgré le succès patent de l’intervention française pour repousser et vaincre les groupes jihadistes terroristes (Aqmi, Mujao, Ansar Eddine, MIA) qui avaient occupé les régions du nord, chassé les autorités légales et instauré la loi islamique. Un an après l’arrivée de la force Serval, des poches de résistance jihadistes existent toujours dans cette zone encore exposée aux actes sporadiques de terrorisme et de banditisme. Cette situation d’insécurité est aggravée par la situation particulière de Kidal, toujours occupée par les groupes armés non étatiques et échappant au contrôle de l’armée régulière.
Cette particularité fait que la zone de Kidal est redevenue un sanctuaire pour les mouvements rebelles terroristes, comme le Mnla, et une succursale de blanchiment des mouvements islamistes terroristes comme Ansar Eddine, le MIA (Mouvement islamique) et le MAA (Mouvement arabe de l’Azawad), tous regroupés aujourd’hui au sein du Haut Conseil pour l’unité de l’Azawad. A tout ce beau monde belliqueux, Kidal sert aujourd’hui de base de regroupement, de réorganisation, de renforcement, d’entrainement et de tremplin pour des actes de déstabilisation de l’Etat et de banditisme contre les populations.
Pourtant, le 18 juin dernier, tous ces groupes avaient accepté, à Ouagadougou, de se plier aux exigences de cantonnement et de désarmement avant toute négociation poussée avec les autorités légales. Mais à ce jour, ils se refusent à respecter cette clause de l’Accord, forts du soutien dont ils bénéficient, entre autres, de la France, de la Mauritanie et de l’Algérie.
Le président IBK sera aujourd’hui dans ce dernier pays où, déjà, les groupes armés rebelles et terroristes sont en conclave, sur invitation des autorités algériennes, depuis quelques jours. Selon plusieurs sources concordantes, l’Algérie aurait décidé de s’impliquer dans la gestion de la crise malienne, et pourrait amener IBK à « traiter d’égal à égal » avec ces groupes rebelles terroristes, consacrant définitivement la caducité de l’Accord de Ouagadougou qui n’a jamais été respecté par les différentes parties signataires.
Sachant que la force Serval va se retirer en ne maintenant plus qu’un millier d’éléments sur le terrain, sachant que la Minusma (forces onusiennes) ne pèse pas lourd dans une lutte efficace contre le terrorisme, sachant que les forces armées et de défense de son pays ne sont pas prêtes pour faire le « boulot », le président IBK sera très certainement contraint de signer un énième accord, sous l’égide de l’Algérie, tout en sachant que ce pays n’a jamais supervisé des accords de paix véritable et durable.
Cette nouvelle entente qui se dessinerait apportera-elle enfin la sécurité et la paix ?
Cheick TANDINA