Almouner Ag Hamad Ahmad, nomade à Djébock : «Sans amélioration de la qualité de vie de toutes les populations septentrionales, le Nord ne connaîtra jamais la paix»

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Almouner Ag Hamad Ahmad
Almouner Ag Hamad Ahmad

Almouner Ag Hamad Ahmad vit à Djébock dans la région de Gao. Il est un nomade Kel Tamasheq de 27 ans. Sa tribu, les Chérifiens, a toujours entretenu des liens cordiaux avec les autres nomades et avec les sédentaires Songhoï. Dans cet entretien, il se prononce sur les pourparlers d’Alger, le retour de la paix et de la stabilité, la vie entre les communautés dans la région de Gao. Il évoque surtout la vie des nomades.

Dites-nous ce que veut dire être nomade aujourd’hui ?

Almouner Ag Hamad Ahmad : Depuis la grande sécheresse de 1973, beaucoup de Chérifiens se sont sédentarisés dans les villages, mais ils continuent à vivre au rythme des saisons avec leur bétail. Par définition, un nomade n’a pas d’habitation fixe et pratique la transhumance. Il vit sous la tente et change de lieu en quête de pâturage. Il se déplace avec sa famille et souvent, avec des voisins. Parfois, les familles forment ce qu’on appelle un campement. Pour les déplacements, ce sont généralement les ânes qui transportent les tentes, les mâts, les caisses… La femme s’occupe de tout ce qui concerne la famille. L’homme est chargé du bétail qui est constitué de moutons, chèvres, bovins et camelins. L’organisation du campement est assurée par l’ensemble des chefs de famille, sous la responsabilité de l’aîné ou du plus expérimenté. Les débats tournent autour du bétail, du choix des pâturages et des puits. Les nomades s’approvisionnent dans les marchés. Autrefois, ils prévoyaient suffisamment pour transhumer un ou deux mois. Aujourd’hui, ils trouvent souvent des marchés près des zones de pâturage. Donc, si nécessaire, ils s’y ravitaillent en grains (riz, mil), et aussi en semoule qui vient de l’Algérie. Les nomades ne consomment quasiment pas de fruits et légumes. La vie est simple, avec des contraintes, mais les nomades sont heureux de leur façon de vivre.

Vous parlez de familles, donc il y a des enfants. Les jeunes nomades peuvent-ils aller à l’école? 

Depuis 2 ans, les écoles n’ont presque pas fonctionné dans nos régions.  Avant le début du conflit, les nomades qui étaient conscients de l’importance de l’instruction, confiaient leurs fillettes et garçons à une connaissance ou à un parent sédentarisé, et les inscrivaient à l’école.  Il faut reconnaître que tous ne le faisaient pas. C’est ce qui explique que le taux de scolarisation est très bas. Il faut que les parents soient sensibilisés sur la nécessité de scolariser les enfants.

Une des raisons qui ont servi de prétexte au soulèvement est le déficit de développement du septentrion. Peut-on dire que la zone nomade souffrait de ça aussi ?

Bien sûr. Tout visiteur pouvait le constater partout et dans tous les secteurs, que ce soit sanitaire, éducatif ou hydraulique. Quand on sait les  sommes colossales qui ont été allouées, c’est une honte ! Par exemple, ici, vous ne trouverez pas un centre de santé dans un rayon de 60km. Dans cette région, hors des villes, c’est ça la réalité des populations nomades et sédentaires. En saison pluvieuse, nous souffrons tous de ce qu’on appelle la «fièvre», le palu, malgré les moustiquaires. La fièvre, c’est notre souci principal, mais nous sommes loin de tout centre de santé, donc ce n’est pas facile. L’eau, c’est la vie partout, mais à plus forte raison dans les zones désertiques. Pour nous nomades, le point d’eau se trouve parfois à plusieurs km des tentes. Les hommes comme les femmes s’en occupent. Il y a les petits puits (6 à 7 mètres de profondeur) et les grands (50 ou 60m). S’il n’y a pas de pompe mécanique, les hommes attachent la longue corde aux  ânes ou aux dromadaires, et ce sont les bêtes qui tirent pour remonter les seaux. On remplit les outres, les jerricans, les bidons, pour le transport et le stockage. Nous consommons régulièrement de l’eau que d’autres appellent «café au lait». C’est une eau remplie de résidus sableux ou boueux. Elle n’est pas considérée comme potable, mais malheureusement, c’est souvent la seule qui est disponible.

On entend fréquemment que des frictions, parfois tragiques, ont lieu entre nomades autour des points d’eau ?

Effectivement, des conflits éclatent autour des puits, et pourtant, l’eau ne manque pas. Ils naissent de l’incompréhension ou de l’agissement des uns ou des autres. C’est ce qui fait que ça dégénère. C’est aux chefs de campement de désamorcer les tensions en proposant une solution.

On parle aussi de conflits entre les communautés. Qu’en est-il? 

Dans notre région, il y a les Tamasheqs, les Songhoïs, les Peulhs, les Maures et les Arabes. Nous avons des rapports historiques d’entente et de solidarité, entre nous, nomades et sédentaires. Autrefois, en cas de tension,  les chefs se consultaient pour trouver une issue aux problèmes, qu’ils aient été intercommunautaires ou internes à une communauté. Mais depuis début 2012, la situation générale s’est dégradée. La méfiance s’est installée chez tout le monde. On cherche les responsables de la crise. Les vieux démons se sont réveillés et les tensions sont parfois devenues très sévères. Certains individus ont souillé et souillent encore cette entente ancestrale par des actes abominables. Nous devons reconstruire nos liens séculaires. Voilà pourquoi il est important aujourd’hui que l’Etat s’appuie aussi sur les autorités traditionnelles. Vous savez, la parole du chef traditionnel reste très écoutée dans toutes nos sociétés. C’est le levier de la paix dans le septentrion.

Depuis janvier 2013, les forces armées nationales et étrangères sont présentes.  Qu’en pensent les populations ?

Avec toutes ces forces, nous avions cru que la quiétude et la paix allaient renaître. Quelle désillusion ! La Minusma et des militaires français n’ont pas évité l’enlisement pour trouver un accord global. Cela suscite une grande incompréhension. Cet enlisement a même favorisé la reprise sévère des hostilités. On peut s’attendre à ce que ça coûte encore d’autres vies. J’ose espérer que les belligérants sont conscients de la nécessité d’arriver à un accord, le plus vite possible, pour stopper cet engrenage.

Outre cet enlisement, on constate une résurgence des  jihadistes. Les nomades sont-ils plus vulnérables ?

Les populations ne savent plus qui est qui dans la multiplication des acteurs nationaux et jihadistes. Ce qui leur fait peur, ce sont les hommes armés, quels qu’ils soient. Ce qui intéresse les nomades, c’est l’avenir de leur vie sur leur terroir. L’Etat ne s’est pas réinstallé en brousse et les forces internationales ne se stationnent pas à proximité. Mais, les populations mènent leur vie, malgré tout. Elles n’y ont d’ailleurs rien changé pendant l’occupation. Parfois, des hommes lourdement armés venaient aux campements pour les intimider. Je vais vous donner un exemple. Ils sont venus collecter la Zakat. C’est un des piliers de l’Islam. Tout musulman doit consacrer une partie de ses revenus aux plus pauvres. Chez les nomades, c’est une habitude. À partir de 40 chèvres, tu dois en soustraire une par an et la donner aux pauvres. Quand ces gens armés sont venus pour la Zakat, les nomades n’ont pas compris. Les jihadistes voulaient leur imposer une «nouveauté», alors qu’ils ne les avaient pas attendus pour respecter cette règle. Les nomades ont eu très peur, car ils étaient seuls face aux armes, loin de tout.

Parlons des négociations en cours à Alger. Les nomades sont-ils confiants ?

Tout le monde entend parler d’accords depuis juin 2013, mais il n’y a pas eu d’entente réelle entre les belligérants. Donc, rien n’a changé, au contraire. Eux seuls savent ce qui les sépare. Il est impossible ici de spéculer sur les raisons. Nous n’avons pas d’éléments tangibles. C’est donc à eux de résoudre ça. Il est évident que toutes les populations veulent la paix, mais il serait prétentieux de parler en leur nom. Ce qui tombe sous le sens, c’est que les belligérants doivent s’entendre sur ce qui bénéficiera absolument à toutes les populations, où qu’elles vivent et qui qu’elles soient. La difficulté majeure des négociations, c’est que chaque partie est convaincue d’avoir raison. Elle veut s’imposer aux autres. Ce sont les  médiateurs de ces négociations qui doivent  les amener à trouver le bon chemin.

Au vu de l’échec de chacun des accords signés successivement depuis l’indépendance, que doit-on éviter cette fois-ci pour que les accords assurent une paix définitive ?

Que ce soit l’Etat ou les belligérants, chaque partie signataire prétend qu’elle a respecté sa part des accords précédents. Ce qui mine les populations, c’est le déficit général de développement. Cette fois-ci, les accords doivent inclure une clause qui détermine le suivi des fonds alloués au développement du septentrion. Ceux qui seront chargés de gérer ces budgets doivent être des hommes intègres, uniquement préoccupés du bien-être de tous leurs concitoyens. Je répète, des sommes colossales ont été dévolues au développement, mais elles ont été mangées. C’est inadmissible. Ce constat est valable partout au Mali, au Nord comme au Sud. La corruption est la cause du non-développement de tout le pays. C’est ce qui devra être mis sous surveillance nationale et internationale.  Sinon, ils seront tous complices. Si les futurs accords ne permettent pas à terme l’amélioration conséquente de la qualité de vie de toutes les populations septentrionales, le Nord ne connaîtra jamais la paix.

Françoise WASSERVOGEL

Commentaires via Facebook :

12 COMMENTAIRES

  1. M.Almouner, va voir à Kayes pour te renseigner ou bien voir la misère des populations de cette région.Même à Sikasso, il y’a des misérables.La misère est partout au Mali et dans le monde.Quelle que soit la misère, nous devons garder notre dignité et notre honneur d’hommes et de femmes.

  2. seul le travail paye partout dans tout le monde entier ce n’est pas seulement le septentrionale qui a besoin d’une bonne qualité de vie mais tout le monde aussi le mali se résume pas uniquement a la zone ils peuvent aussi donné des idées pour leur développement car ils connaissent bien la situation et les condition de vie pour revendiquer on a pas besoin de tué

  3. «Sans amélioration de la qualité de vie de toutes les populations septentrionales, le Nord ne connaîtra jamais la paix»

    la qualité de vie s’améliore en travaillant ! c’est ce que font toutes les communautés, même nomades, à l’image des braves peuhls ! 🙄

    A moins que ce soit le contact avec les autres qui vous répugne, sinon il y suffisamment de terre au Sud…

    d’ailleurs le nomadisme pastoral est dépassé, se balader avec des centaines de têtes de bétail juste pour le prestige, alors que vous n’avez que la peau sur les os…a quoi dont crever de faim derrière des centaines de tête de bétail alors que vous pouvez brasser des millions avec au Sud, en vous sédentarisant au sain d’une entreprise agricole et pastorale…

    A moins que vous préférez le vagabondage dans le désert, qui vous soustrait de vos obligations fiscales et vous permet d’entreprendre des activités illégales…

    Do bè gna là, do bè gna tchèlakaw fana la han ! 🙁

    • Mon cher sèkè, je crois que vous êtes friand des chiffres. Eh bien je vous dirai également que l’Etat malien a investi en 1999-2000 la somme 28 439 357 FCFA dans un autre puits dans la zone dite GASSER Cheich (là où le Boeing de la cocaïne s’est écrasée)dans le cercle de Bourem, au temps de ATT. Mais ce puits a servi à quoi avec le resurgence de la rebellion? C’est dire que les flibustiers du désert mettent le problème de devéloppement devant leur revandcation pour cacher un fond de racisme. Le baratin autour d’une autonomie se situe à ce niveau. Sinon le manque de centre de santé évoqué ne se justifie pas car si l’on prend la route de Kidal à partir de Djebock on se rend compte qu’il y a uen structure sanitaire à Ikruchwell (appelé Eolienne), à Tina Hoker, à Aloustarat, à Agahmor (village de Mohamed El Moctar ex-ministre de l’artisanat et du tourisme de ATT, à Tarkint avec le camp des gendarmes, à Ersane (chez le douanier Ag Boya), à Anefis, camp militaire. VIVE LA REPUBLIQUE

  4. Vous avez raison, la pauvrete n’est pas une raison pour prendre des armes et tuer les gens.

    Les kounta et les toubas habitant le nord du mali, ils n’ont jamais pris les armes et tuer, ils subissent l’extrenisme d’une petite minorite et le manqué de developpement…

    Question: en quoi prendre des armes favorisent le developpement?

  5. Tout ce qui dit par Almouner Ag Hamad Ahmad est instructif à part qu’il manque des détails sur certains points relatifs au mode de vie des nomades. D’abord l’organisation sociale: dans la scarification des peuples nomades, un blanc ne doit jamais travailler pendant qu’il y a un noir (bellah ou haratane). Or, la legislation moderne malienne touche à ce talon d’Achille. Les touareg pensent que le droit objectif malienne bafoue leur coutume et us. Oui cela est vrai dans la mesure où l’esclavage est condamné par le Code Pénal. Etre considéré sur les mêmes pieds d’égalité que son bellah (homme noir) est un crime lèse majesté. La scolarisation et le frottement culturels d’autres horizon ont fondamentalment bouleversé ce paradigmer chez certains intellectuels bellah. La domination aveugle d’une race sur une autre est conforme aux principes de l’Islam orthodoxe. Les dons et autres aides émanant de l’Etat malien revenaient de droit au chef de fraction. VIVE LA REPUBLIQUE

    • L’Etat malien a investi près de 600 millions de francs CFA en 1997 dans un forage dans Lagachère (lieu où repose le saint Cheick El Kebir) à 350 KM d’Aguel Hoc, sans pourtant avoir de l’eau. Donc la nature ayant défavorisé le milieu et pauvre de mon Etat est source de tous les malheurs aux yeux des irrédentistes. Pour encourager les tribus nomades du Mali dans la logique de séparation avec le pouvoir central, Mouhamar Khadafi a ouvert un consulat à Kidal pour financer les opérations des anciens combattants de sa legion islamique qu’il recyclait dans le désert malien contre l’Occident. Et le Mali, terre idéale à cette fin, pourvu qu’on donne des miettes à l’Etat et aux dirrigeants (Tele, mosquées, medersa, centres culturels). Le jeune Iyad Ag Galy fut envoyé au Liban, en Syrie et en Irak pour s’aguerrir aux metiers des armes. Il devrait dès le retour de son baroud constitué une tête de pont pour l’islamisation au sud du Sahara comme le souhaitait Ben Laden. VIVE LA REPUBLIQUE

      • Si j’avais vu Kadafi en son dernier soupir, je lui aurait donné le coup de grâce avant que l’ange Gabriel ne lui arrache l’âme et l’emporter dans l’enfer. Vive Sarkozy. Vive Israël. A bas AQMI. A bas l’EI. A bas tous les constipés de l’Islam. 👿 👿 👿 👿
        VIVE LA REPUBLIQUE

        • J’avais oublié. Vive Ronald Wilson REAGAN (l’homme qui a envoyé la première bombe sur Kadafi). Vive Georges Bouges. Vive Moshe DAYAN. Que l’âme de Sharoon repose en paix. VIVE LA REPUBLIQUE.

          • Sacré sankingba ! 🙄

            😯 il donne même des chiffres !

            Encore une fois, qui se cache derrière le pseudo sankingba…mystère, mystère ! 😀

  6. LES DOGONS FONT DES REMBLAIS SUR LES MONTAGNES ET ARRIVENT A FAIRE DE GROSSES PRODUCTIONS EN LEGUMES FECULENTS ETC ETC ETC .

    LE NORD DU MALI A RECU PLUS DE MILLIARDS POUR LE DEVELOPPEMENT QUE TOUT LE RESTE DU PAYS.

    HELAS DES TRIBUS FASCISTES LES ONT DETOURNES POUR ACHETER DES ARMES POUR UNE SUPREMATIE SUR LES AUTRES TRIBUS………VRAIMENT DE LA FOUAISE CE NOMADE N’EST PAS HONNETE ENCORE UNE PROPAGANDE DU GROUPE CRIMINEL EGOCENTRIQUE ET TRIBAL MNLA……………………..DE VRAIES FOUTAISEEEEEEEEEEEEEES……………….
    💡

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