Que fera ATT des cadavres du cinquantenaire ?

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 « Pour son malheur ou son bonheur, ce pays s’est dépolitisé ».

Ce constat indigné vaut encore. Il est d’un politique écoeuré par l’indifférence du public au livre-procès de Sounkalo Samaké, longtemps bourreau avant d’être victime du système de Moussa Traoré qui le traitera de « farfelu ». C’était à la suite de la grande purge d’officiers -plus de la trentaine passée à la trappe- occasionnée par l’arrestation, en 1978, de Kissima Doukara et Tiecoro Bagayoko. 

Les éditeurs sonnent le tocsin

Cette année-là, un mardi 28 février, le colonel Moussa Traoré annonce « l’échec du putsch ourdi » par le premier, son puissant ministre de la Défense et de l’Intérieur d’alors, et le second, le chef très redouté de la police. Il les avait fait venir à son  bureau « pour une réunion urgente ». En très peu de temps, ils se retrouveront ligotés et jetés dans les toilettes présidentielles avant d’être condamnés à mort et déportés à Taoudénit.

 Contrairement à « l’indifférence des Maliens », les témoignages d’acteurs et ou de victimes des « années noires » se sont multipliés. Depuis 2000, pas moins de six livres ont été consacrés aux « crimes d’Etat » dont deux récits poignants sur Taoudenit, l’un de Guédiouma Samaké, l’autre de Samba Sangaré. S’y ajoutent les livres de Amadou Traoré, Hachim Dembelé,  le même Sounkalo Samaké, et le plus récent, Mamadou Belco N’Diaye.

On ne compte pas les interpellations au détour des débats ou via les articles de presse, même si elles sont généralement l’œuvre d’un groupe bien connu de « modibistes » indécrottables.

La lettre ouverte de Amadou Traoré, la semaine dernière, en est une illustration. L’ancien compagnon de Modibo Keita écrit noir sur blanc ce que bien des milieux pensent tout bas : l’emblématique psychiatre et intellectuel Faran Samaké, mort peu de jours avant le procès de « Kissima-Tiecoro » en 1978 fait partie des assassins du premier président du Mali indépendant. Une « découverte tardive » qui a fait sortir le respecté Tiekoro Diakité de ses gonds. Impensable et indigne, s’insurge l’expert comptable.

 Taoudenit remémoré 

Que même mort, Faran Samaké soit interpellé est symptomatique « du besoin de débat et de vérité en cette année du cinquantenaire », trouve un professeur d’enseignement supérieur. Il est vrai que plus le 22 septembre approche, plus les placards s’ouvrent et plus Moussa Traoré se rappelle à la mémoire de nos compatriotes comme le 15 mai dernier où c’est pratiquement son procès qui s’est rouvert au Centre Djoliba de Bamako à l’occasion du lancement du livre « Quand le pouvoir délire » de Mamadou Belco N’Diaye. Le tout dernier regard sur Taoudenit où l’auteur séjourne suite à l’affaire « Kissima-Tiécoro ». 

L’ancien collaborateur de Tiécoro Bagayoko y décrit les circonstances de la mort de ces deux compagnons de Moussa Traoré. Kissima Doukara a été  « cravaché à mort » et Tiécoro Bagayoko convaincu que Moussa Traoré ne le tuerait pas en raison des « services rendus » disparaîtra en quelques heures après sa convocation au poste. La thèse de l’assassinat par asphyxie est plausible. Et ce doute de N’Diaye semble corroboré par le récit de Soungalo Samaké qui avait pu, de son côté, cuisiner quelques éléments de cet escadron de la mort sans trace sur les techniques qu’ils utilisaient.

Longtemps réputé pour son sel gemme et aujourd’hui repaire présumé de groupes islamistes, Taoudénit restera l’Auschwitz malien pour les générations actuelles. A 800 km de Tombouctou, il accueille plusieurs opposants à Moussa Traoré entre 1969 et 1988 où il est- fermé sous la pression notamment d’Amnesty International. Le quotidien britannique, The Observer, le qualifiera même, dans les années 1980, de « pire prison au monde ». 

Le site aurait été repéré en 1969 « pour les «civils» par un ministre zélateur du régime qui finira lui-même plus tard dans la disgrâce la plus totale et sur la paille. Fier de sa découverte, il aurait juré ceci à Moussa Traoré : « personne n’en reviendra vivant ».

En effet, tout était démesure à Taoudenit, selon ses rares rescapés: la température, la popote, la corvée de la mine de sel, les geôliers dont le plus accusé reste le lieutenant Nientao, aujourd’hui octogénaire et retiré à Mopti parmi ses petits-fils. «  C’est un peu comme Eichmann devenu maire de sa commune après la guerre », s’indigne Samba Sangaré, (l’auteur à succès de« Dix ans dans le bagne-mouroir de Taoudenit ») qui tente de soigner aujourd’hui à l’acupuncture les séquelles de sa détention.

 Pourtant, peu de civils séjourneront à Taoudenit contrairement aux militaires. Le premier d’entre eux, Dibi Silas Diarra, qui reconnaîtra avoir tenté un putsch en 1969. Puis, parmi les plus célèbres : Yoro Diakité, Kissima Doukara et Tiecoro Bagayoko. Karim Dembélé est un des miraculés. Il vit aujourd’hui à l’est de Bamako déchu de tous ses biens. A part Dibi Silas, tous les autres étaient des quatorze officiers qui renversèrent Modibo Keita. Pour tous, le même scénario : « complot contre l’Etat », procès sommaire, déportation, mort.

« Moussa ne paiera pas » ?

D’où les protestations du microcosme : « Injuste qu’après toutes ses atrocités, Moussa Traoré soit aux frais de la princesse » C’est depuis longtemps le cri de l’inusable Victor Sy qui, sous Moussa Traoré, a été promené de prison en prison et dont le corps porte encore des traces de torture. Amadou Traoré est de cœur avec lui qui ne rate aucune occasion de rappeler l’enfer que Moussa Traoré fit subir à Modibo Kéita.

Condamné à mort pour crimes de sang puis gracié en 2001, Moussa Traoré bénéficie aujourd’hui de privilèges d’Etat- résidence, pension, personnel de maison et voitures qui ne font pas l’unanimité. Pour certains juristes, c’est une violation totale de la loi malienne. Pour les moins initiés mais foncièrement « modibistes » ou parents de victimes de la répression de 1991 «  accorder à ce tyran ce qu’il a refusé à d’autres est une insulte ».

 « Et ce n’est pas ce monsieur qui aura l’humilité de demander pardon à ses victimes et au peuple », croient savoir ses contempteurs. Pourtant, certains politiques qu’on ne peut pas soupçonner de sympathie pour Moussa Traoré, comme Ali Nouhoun Diallo et Tiebilé Dramé, estiment que les privilèges accordés au Général font la fierté du Mali démocratique. Par contre, ils réclament « d’abord la lumière et la vérité sur nos zones d’ombre » avant le nécessaire pardon.

Moussa Traoré ne les entendra sans doute pas. D’abord, pour ses proches, le Général a déjà payé de sa liberté en dix ans de détention et après deux procès humiliants pour le tout-puissant chef qu’il fut Ensuite, il n’est plus dans le débat, C’est vrai qu’il s’est fait discret depuis plus de dix ans. Il ne sort que pour le social, les funérailles surtout comme en avril où il se rend aux obsèques de Sidi Boubacar Bally. Pas d’interviews non plus, seulement les devoirs religieux : mosquée du quartier le vendredi, lecture de coran ; audiences à quelques érudits. Même la candidature plausible de son beau-fils, l’astrophysicien Cheick Modibo Diarra ne le tire pas de son mutisme.

Mais la réconciliation nationale « ne doit pas rester un vœu pieux ». L’Association Malienne des Droits de l’Homme, par son président Me Bréhima Koné, en tout cas, la trouve opportune. Sans doute, ATT n’en pense pas moins sans doute qui était visiblement heureux, il y a peu, à la cérémonie de réconciliation entre le RDA et le PSP, un parti dont les premiers responsables, Fily Dabo Sissoko, Hamadoun Dicko, Kassoum Touré et d’autres sont morts eux aussi dans des circonstances non encore élucidées et sous Modibo Kéita, cette fois. Tous ces crimes, en effet, rappelle un analyste, « ont été commis au nom de l’Etat  et le sort a fait qu’en ce moment historique, c’est ATT qui préside aux destinées de la nation ». Que ce dernier soit l’artisan d’un grand pardon national, en cette année de cinquantenaire, n’étonnera personne. Son slogan « retrouvons ce qui nous unit », pour beaucoup, plaident pour un tel schéma. Mais, « avant, il faudrait ouvrir les placards et ça ce n’est pas l’exercice préféré de notre président malien », doute quelqu’un qui le connaît bien. L’équation est donc d’obtenir le pardon sans ouvrir le placard à cadavres du cinquantenaire. Le Mali n’en détient pas le record. Mais il y en a quand même.

Adam Thiam


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