Équipements militaires : Drabo et Dabitao rejettent les accusations

Le mercredi et jeudi derniers, la Cour a poursuivi les auditions sur le dossier des matériels et équipements militaires, cette fois avec deux hauts gradés de l’armée : Le général de brigade Moustapha Drabo, ex-directeur de la Direction du matériel, des hydrocarbures et du transport des Armées (DMHTA) et le colonel-major Nouhoum Dabitao, ancien directeur du commissariat des Armées. Face aux accusations de faux, usage de faux et atteinte aux biens publics, les deux officiers ont nié en bloc toute implication dans des pratiques frauduleuses liées à l’achat de l’avion présidentiel et à la surfacturation des équipements militaires.
D’emblée, le général Drabo a rappelé avec fermeté la mission principale de la DMHTA, qui dépend de l’État-major général des Armées. Il a souligné que cette direction est responsable du soutien logistique des unités militaires, notamment la maintenance et l'approvisionnement en matériels, munitions et carburants.
Concernant son implication dans l’acquisition des équipements militaires, le général Drabo a expliqué à la Cour le fonctionnement habituel.
"Chaque année, les états-majors des différentes armées expriment leurs besoins en matériels et équipements. La DMHTA compile ces besoins et les transmet au ministère de la Défense, avec ampliation au chef d’État-major général", explique-t-il.
Cependant, il précise qu'en 2013, le processus habituel n’a pas été respecté en raison de l’urgence de la situation militaire. Selon lui, feu Soumeylou Boubèye Maïga, alors ministre de la Défense et des Anciens combattants, a choisi de contourner l’État-major général et de s’adresser directement à lui.
« Le ministre m’a appelé personnellement pour exprimer les besoins de l’armée de terre. J’ai donc rédigé ces besoins et les lui ai remis dans le cadre du protocole d’accord avec une société privée », ajoute-t-il.
Le rapport du Vérificateur général met en lumière plusieurs irrégularités notamment un double paiement de 939 millions de F CFA pour le transport des équipements depuis la France. Une disparité de facturation sur le volet formation, initialement prévu à 14 millions de F CFA, mais finalement porté à 23 millions de FCFA.
Le général Drabo rejette ces chiffres, affirmant que les 281 véhicules prévus dans le protocole Guo Star ont bien été livrés et enregistrés. Il a présenté à la Cour la liste du personnel formé à l’utilisation des équipements, le registre d’immatriculation des 281 véhicules militaires.
Interrogatoire
Convaincu de l’existence de faux, usage de faux et atteinte aux biens publics, le parquet général, dirigé par Koké Coulibaly, a soumis Drabo à une série de questions. Avez-vous été impliqué dès le départ dans une falsification des documents ?
"Non, M. le procureur."
Votre travail n’a-t-il pas été entaché de fraude ?
"Non, M. le procureur. La DMHTA ne signe pas les contrats, elle ne participe pas à l’élaboration des procès-verbaux de réception.
Notre mission est de recevoir les matériels, les immatriculer et les distribuer aux différentes unités."
Pouvez-vous fournir une traçabilité et les caractéristiques des véhicules livrés ?
"Tous ces véhicules sont sur le terrain."
Avant que le général Drabo ne puisse détailler les caractéristiques des véhicules, la Cour a interrompu son intervention, estimant qu’une telle révélation pourrait compromettre la sécurité des soldats en opération.
Le jeudi, la Cour a poursuivi les auditions avec le colonel-major Nouhoum Dabitao, ancien directeur du Commissariat des Armées, afin qu’il expose sa version des faits.
Tout comme le général Moustapha Drabo, il affirme avoir été contacté directement par le ministre de la Défense pour exprimer les besoins de l’armée. Ces besoins portaient principalement sur l’habillement, le couchage, le campement et l’alimentation des Forces armées maliennes.
À la barre, après une explication détaillée de la nomenclature budgétaire et du rôle du Commissariat des Armées, le colonel Dabitao a contesté les faits et le montant du détournement mentionné dans l’arrêt de renvoi.
"M. le président, je ne comprends pas. Le marché portant sur l’habillement, le couchage, le campement et l’alimentation des Forces armées maliennes s’élève à 34 milliards F CFA, alors qu’on me reproche un détournement de 36 milliards F CFA. D’où vient cette disparité ?"
Lors des échanges avec la Cour, M. Dabitao a confirmé avoir attesté la livraison de tous les équipements, mais il ne dispose pas des bordereaux de livraison nécessaires.
Cette absence de documents a suscité des doutes parmi les magistrats, le parquet général et le contentieux de l’État quant à la conformité des livraisons effectuées.
Toutefois, il a pu présenter une dizaine de procès-verbaux et des bordereaux d’ordres d’entrée et d’affectation des matériels militaires, considérés comme essentiels pour la traçabilité des équipements.
"Entre août 2014 et juillet 2015, tous les matériels commandés ont été livrés par le fournisseur. Il y a eu neuf livraisons. En 2014, les militaires ont été bien dotés : chaque soldat a reçu trois tenues et divers accessoires. C’était une première depuis l’époque de Kissima Doukara", précise-t-il.
"Pour information, c’est moi qui ai créé le logo des FAMa. Je ne reconnais donc aucune des accusations portées contre moi", martèle-t-il.
Secret Défense
Le "Secret Défense" est une classification qui restreint l’accès aux informations sensibles liées à la sécurité nationale et aux marchés militaires, notamment l’achat d’hélicoptères et d’autres équipements.
Lors des auditions, il a été révélé que le protocole Guo Star, qui concernait les équipements militaires, a été conclu sous le sceau du "Secret Défense".
Le ministère public a alors soumis Nouhoum Dabitao à une série de questions.
M. Dabitao, avez-vous vu le mandat avant d’exprimer les besoins ?
"Oui, je l’ai vu avant l’expression des besoins."
Ce mandat comporte-t-il un faux ?
"Non. J’ai seulement transmis l’expression des besoins."
Pouvez-vous identifier dans le protocole la partie où les équipements militaires ont été conclus sous le sceau Secret Défense conformément à l’article 8 du Code des marchés ?
En feuilletant le document, M. Dabitao n’a pas pu identifier la section en question.
Cette incapacité à répondre a conforté le parquet général, qui affirme que le contrat des équipements militaires n’a pas été conclu sous le sceau de l’article 8 du Code des marchés. A la demande du parquet, la Cour a ordonné à la greffe de consigner cet élément dans le registre du procès.
Le parquet général atteste que l’expression des besoins a joué un rôle central dans cette affaire, ayant engendré un préjudice grave aux finances publiques.
Face aux accusations du ministère public, la défense s’est insurgée contre ces arguments, les qualifiant de contradictoires et peu convaincants.
Selon Me Mamadou Bobo Diallo, avocat de Moustapha Drabo le parquet n’a rien comme preuve. "Le parquet est à court d’arguments pour prouver la culpabilité des accusés, c’est pourquoi il divague. Tantôt il affirme que tout est parti du mandat de Mahamadou Camara, tantôt c’est la garantie autonome de Mme Bouaré, puis maintenant c’est l’expression des besoins qui serait à l’origine du problème. En réalité, le parquet n’a rien", estime Me Diallo.
La semaine qui débute marque un tournant clé dans le procès, avec l’ouverture de la phase des témoignages. Une vingtaine de témoins, principalement d’anciens directeurs des Finances et du Matériel (DFM) et contrôleurs financiers, seront entendus par la Cour à charge ou à décharge.
Parmi les auditions les plus attendues, celles du Secrétaire général du ministère de la Défense et des Anciens combattants, le général Sidiki Samaké, du lieutenant-colonel Coumba Diarra, qui a pris part à six procès-verbaux de réception, ainsi que du directeur général de la Banque Atlantique, Mahamane Ismaël Maïga. Ces auditions seront scrutées avec attention.
Une confrontation sous haute tension
Le jeudi 19 juin 2025 est une date clé fixée par la Cour pour la comparution de deux figures majeures : l’ancien Premier ministre Oumar Tatam Ly et l’ex-ministre du Budget Madani Touré. Bien que déjà auditionnés devant la Chambre d’instruction de la Cour suprême, ils devront témoigner publiquement lors de cette phase décisive du procès.
Lors de son audition, Madani Touré a affirmé ne pas avoir eu connaissance de l’achat de l’avion présidentiel, une déclaration contestée fermement par Mme Bouaré Fily Sissoko. Pour appuyer ses propos, cette dernière a soumis à la Cour des échanges d’e-mails prouvant que l’acquisition de l’appareil avait été discutée entre Madani Touré, elle-même et Marc Gaffajoli.
Marc Gaffajoli, acteur clé du secteur aérien africain, est également impliqué dans cette affaire en tant qu’administrateur général d’Afrijet, une société de location d’avions basée au Gabon et conseiller du gouvernement malien pour cette transaction.
Face aux contradictions entre les déclarations des protagonistes, le président de la Cour, Bamassa Sissoko, a annoncé qu’une confrontation serait organisée entre Mme Bouaré Fily Sissoko et Madani Touré, en présence de Ben Bouillé, l’ex-directeur du Trésor sur la question qui a ordonné le décaissement des 15 milliards F CFA.
Reste à savoir si Madani Touré se présentera devant la Cour à la date fixée pour cette audience cruciale.
Affaire à suivre en détail dans notre prochaine parution
Ousmane Mahamane
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