La question semble non réglée, mais il faut bien dire que l’outil «forces spéciales» apparaît souvent comme la solution miracle. Elles rassurent autant l’opinion que le pouvoir politique. Comme si ces militaires hors norme pouvaient, par leur excellence, combler toutes les failles stratégiques.Associées à une supériorité technologique écrasante, ces unités d’élite françaises seraient en mesure de remporter n’importe quel conflit. De son côté, le colonel Hogard regrette une «américanisation de la guerre» et l’utilisation abusive des unités non conventionnelles:
«Aujourd’hui, nos gars font un travail formidable, mais on sort du cadre qui devrait être celui de l’emploi de ces forces d’élite. Les FS ne peuvent pas tout faire. Il ne faut pas les épuiser dans un combat tactique, mais sur des objectifs d’ampleur stratégique, fondamentale. Il existe des unités conventionnelles parfaitement capables de mener ce travail au niveau tactique.»
Ces unités, ce sont les Groupements de commandos parachutistes ou de montagne (GCP/GCM). Malgré des techniques de combat identiques, le «niveau d’emploi» diffère entre forces spéciales et commandos. Alors que les GCP sont employés en complément de l’armée conventionnelle, les forces spéciales opèrent quant à elles de manière plus autonome –souvent plus discrète– et quelquefois dans la clandestinité. Au Sahel, les forces spéciales agissent sous une double affiliation: au sein de l’opération Barkhane, mais aussi au sein d’un dispositif propre, la «Task Force Sabre», forte de 350 hommes et présente dans la région depuis 2009, donc avant l’intervention Serval de 2013.
En pratique, forces spéciales et commandos mènent des missions similaires au Sahel. Le colonel Hogard plaide pour une répartition plus efficace, expliquant un problème auquel il a été lui-même confronté en 1999 au Kosovo, alors qu’il dirigeait le groupe interarmes de forces spéciales: «
j’étais surpris que l’on me confie des missions que le 8e RPIMa était en mesure d’assumer, quelquefois avec des moyens plus importants». Ainsi regrette-t-il que des unités parachutistes, de chasseurs alpins ou d’infanterie soient considérées comme des «
supplétifs des forces spéciales». Il suffirait en réalité selon lui de leur permettre d’acquérir les méthodes employées par les parachutistes du colonel Bigeard lors de la guerre d’Algérie. Les opérations coup-de-poing devraient être menées par les GCP: «
faire le coup de feu éliminer 33 djihadistes, c’est du travail de commando, pas de forces spéciales», insiste Jacques Hogard.
Politique d’abord!
Les mission dites «
de plus haut spectre» relèvent quant à elles de la compétence des unités spéciales: «
décapiter une organisation, créer le trouble ou la peur chez l’adversaire, renverser le rapport de force moral et psychologique, après avoir mis en œuvre des procédures complexes». En d'autres termes, le «
summum du savoir-faire politico-militaire».
Mais en deçà de ces défis d’emploi des forces, c’est le défaut de but politique qui menace avant tout la France d’enlisement dans les sables du Sahel. Une menace qui exigerait donc, selon le colonel Hogard, de «
renverser la table».
[A suivre, demain à 12h00]