Liberté : d’abord, pouvez-vous présenter votre nouveau mouvement, Ançar Eddine, sachant que vous étiez du côté des rebelles, et quels sont ses objectifs réels ?
[caption id="attachment_67623" align="alignleft" width="220" caption="Ahamada Ag-Bibi"]

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Ahmada Ag-Bibi : En fait, ce sont tous les fondateurs d’Ançar Edinne qui sont issus de la rébellion. Vous savez bien qu’Ayad Ag-Ghaly a été aussi un des fondateurs du MPA. Pour dire vrai, Ançar Eddine est une appellation temporaire de notre mouvement, qui a été créé dans la précipitation des évènements ayant succédé au putsch de la junte militaire. Donc, il n’est pas à écarter que nous allons changer l’appellation de notre mouvement dès qu’on tiendra notre prochain congrès constitutif (auquel nous vous invitons d’ores et déjà).
Pour les objectifs, Ançar Eddine est clair : nous aspirons à l’application de la charia dans notre système de gouvernance ; nous œuvrons à la diffusion de l’islam pour la victoire de notre religion, sachant que les musulmans représentent 90% de la population malienne (Nord et Sud). Il ne faut plus accepter que des parties étrangères continuent à nous imposer la laïcité. Le musulman ne peut pas vivre sans sa religion. Désormais, le mouvement attire beaucoup de jeunes se démarquant de plus en plus des anciens mouvements. Nous assurons, toutefois, que l’application de la charia ne va pas remettre en cause le principe de tolérance de toutes les autres religions pouvant exister dans notre pays.
Devons-nous comprendre par là qu’Ançar Eddine est venu pour fédérer tout le peuple malien ?
Oui, il est clair que le mouvement œuvre à fédérer tout le peuple. Nous sommes contre la division du Mali, d’où les négociations déjà engagées avec le MNLA en vue de le convaincre à renoncer à son idée d’appeler à la scission. Comme premier pas, nous proposons aux responsables du MNLA d’accepter d’aller vers la création d’une fédération de l’Azawad au nord du Mali, au lieu d’un État indépendant. Il existe déjà des modèles, comme celui du Nigeria, qui doivent nous inspirer pour aller vers la création d’une zone autonome au Nord et qui partagera le pouvoir avec le Sud. Il nous faut regarder loin…
Quelle est la position d’Ançar Eddine par rapport à la proposition de faire intervenir militairement l’armée de la Cédéao, (Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest) ?
Moi, je dirais qu’au lieu de faire appel à la Cédéao, ils (les putschistes) feraient mieux d’appeler à une conférence nationale au cours de laquelle il sera question de réviser la Constitution, si on veut réellement donner un sens à ce changement. La force n’est pas une solution. Cette voie a été déjà expérimentée par le président renversé ATT (Amadou Toumani Touré) ; il avait mis tous les moyens militaires pour ne pas répondre aux revendications populaires (…). D’où nous alertons contre l’intervention de la Cédéao, car elle va davantage aggraver la situation. Désormais, les “tambours” de la Cédéao doivent revoir leur discours. Si ATT avait seulement accepté d’appliquer l’accord d’Alger de 2006, on ne serait d’ailleurs jamais arrivé à la situation actuelle. C’était son erreur fatale !
Quelles sont les solutions que propose Ançar Eddine pour mettre fin à la crise actuelle ?
La crise est nouvelle, elle a encore besoin de passion et de beaucoup de sérieux dans son traitement. Pour éviter la dérive, il faut commencer par rassurer la population du Nord qu’il y aura de l’amélioration progressive. Pour ce faire, il faut privilégier la voie du dialogue et éviter la violence. 60% des solutions doivent être trouvées par le dialogue. Il faut privilégier les solutions pacifiques à la fois aux niveaux national et international.
Sur ce dernier plan, je trouve que seule l’Algérie peut jouer le rôle déterminant de médiateur entre les parties en conflit. L’Algérie est le seul pays qui connaît parfaitement le dossier Mali.
Désormais, l’Algérie est appelée à tourner son regard vers le Mali, car les solutions salutaires ne peuvent être trouvées sans elle. C’est une question d’urgence !
Par : Farid Abdeladim - LIBERTE-ALGERIE.com - Dimanche, 20 Mai 2012
Le reporter du quotidien “Liberté Algérie” à Gao sur les traces des diplomates kidnappés: “Liberté” au cœur d’un Mali déchiré
L’harmattan soufflant sur le nord du Mali, depuis le putsch du 22 mars, semble être plus violent que ce vent chargé de poussière et de sable qui pouvait obscurcir l’atmosphère dans la région du pays du Sahel entre novembre et mars. Celui-là est désormais chargé de… balles réelles ! La grande menace n’émane pas cependant des groupes armés d’Ançar Eddine et du Mouvement national pour la libération de l’Azawad, (MNLA), auxquels sont alliés les Touareg autochtones, dont les revendications sont avant tout d’ordre politique. La force redoutable, c’est surtout le groupe terroriste transnational dit Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi) qui détient la grande majorité des armes récupérées en Libye.
“Ançar Eddine n’est pas un groupe de terroristes (islamistes), mais c’est bien un mouvement populaire créé dans la foulée du putsch militaire, et dont la doctrine est basée sur la charia, (loi islamique). Une charia qui n’exclut toutefois, aucune frange de la société malienne, de quelque confession soit-elle. À l’instar d’autres mouvements, Ançar Eddine veut partager le pouvoir et les richesses du Mali”, allait préciser d’emblée notre guide, allié au mouvement, qui nous conduisait, dans la nuit du jeudi 10 mai, de Bordj Badji-Mokhtar à Gao, ville malienne sise à environ 700 km de la frontière algérienne. Existe-t-il une connexion entre Ançar Eddine et le groupe terroriste Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi) qui sévit dans la région ? Iyad Ag Ghaly, fondateur d’Ançar Eddine, est-il réellement ce chef local, mis en avant par Aqmi, pour faire authentique, comme voulaient le faire croire certaines parties ? “Absolument pas !” répondent, sans trop méditer, les partisans de l’ancien chef du mouvement populaire de l’Azawad (MPA) que nous avons rencontrés à Gao. Lesquels idéaux, explique-t-on, ne visent que le règlement de la situation interne du Mali conformément à (notre) religion, mais qui n’ont “rien à voir” avec Aqmi dont les membres sont tous des étrangers. Mokhtar Belmokhtar, Abou Zeïd et Yahya Abou Hammam, sont ses trois chefs présumés. Aqmi n’ayant, par ailleurs, pas de lien avec Al-Qaïda transnationale à laquelle l’ex-GSPC avait annoncé son allégeance rien que pour faire diversion aux fins de gagner en influence.
À Gao et à Kidal, (nord-est du Mali), la coexistence pacifique est, en revanche, établie entre Ançar Eddine et le MNLA. À Tombouctou (Nord-Ouest), une ville qui compte très peu de Touareg, les deux mouvements ne réussissent réellement pas une grande performance. Ici, c’est plutôt le fief d’Aqmi. La conjoncture n’aidant guère, Ançar Eddine et le MNLA ne se montrent pas cependant menaçants vis-à-vis de ce groupe terroriste étranger, et encore moins devant les narcotrafiquants organisés en mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’Ouest, (Mujao).
Ce groupe, dernier groupe auteur de l’enlèvement du consul et des diplomates algériens, a, quant à lui, réussi à occuper quelques villages isolés, notamment Tangara, à 140 km au nord-ouest de Gao. “Ce village connu pour être commercial est acquis à 100% pour le Mujao”, explique au passage notre guide, non sans nous demander de nous enturbanner. Étrangers que nous sommes, il voulait bien évidemment nous protéger des regards, le temps qu’un gamin autochtone aille nous chercher de l’eau fraîche dans un magasin de fortune, dressé à même le passage de la “Nationale”, (la large piste longeant le plateau désertique, dit le Tellemsi, allant de la frontière algéro-malienne jusqu’à Bamako, en passant par Gao). Le mercure atteignant alors plus de 50° ! Officiellement, le Mujao s’autoproclame comme une aile dissidente d’Aqmi.
Ayad Ag-Ghaly : “Écrivez tous ce que vous constatez”
Après notre longue traversée du désert, hautement risquée, nous allons atteindre la ville de Gao, en plein milieu de la journée de vendredi 11 mai. Érigée au bord du fleuve Niger, cette grande ville du Nord malien, riche en ressources hydriques, fait désormais la convoitise de tous les mouvements. D’où nous allons être directement acheminés vers une maison hautement surveillée où nous allons être “encastrés” le long de la journée. Nos hôtes n’y sont cependant pas des moindres. Il s’agissait des chefs d’Ançar Eddine, à leur tête le cheikh Ayad Ag-Ghaly. Contrairement à son acolyte, Ahmada Ag-Bibi, membre très influent au sein du mouvement de la rébellion, qui a bien voulu répondre à toutes nos questions, Ayad Ag-Ghaly et son bras droit cheikh Abbas Intallah, se refusent hospitalièrement de se livrer à la presse. “Je ne refuse pas de vous faire une déclaration parce que vous êtes un journaliste algérien ou parce que vous travaillez pour le compte de l’organe francophone Liberté. Non, loin s’en faut. Simplement, c’est parce que j’avais, depuis la création de notre mouvement, décidé de ne faire aucune déclaration aux médias quelles que soient sa nationalité, sa nature et/ou sa ligne éditoriale. J’ai déjà refusé bien des sollicitations avant vous. Moi, je préfère que vous écriviez ce que vous constatez sur le terrain. Écrivez librement tout ce que vous pouvez constater”, s’est contenté de nous confier le chef charismatique d’Ançar Eddine.
La même réponse est donnée par Cheikh Abbas Intallah qui, lui, se suffit d’un hochement de tête pour exprimer l’alignement de sa position avec celle de (son) Cheikh. Plus rompu à l’exercice des questions-réponses, Ahmada Ag-Bibi n’a quant à lui, éprouvé aucune gêne pour nous livrer les moindres détails sur la situation générale qui prévaut au Mali, et particulièrement sur le combat d’Ançar Eddine et les négociations qu’il mène notamment avec l’autre mouvement influent dans la région du Nord, en l’occurrence le MNLA. Tout en dénonçant le terrorisme international, Ag-Bibi mise beaucoup sur le rôle, indispensable, que devait jouer l’Algérie pour le règlement du conflit malien (lire l’entretien).
Par : Farid Abdeladim - 20 mai 2012