Décryptage : La transparence, bête noire des élites

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Ce matin, je ne vous parlerai ni des nouvelles circonscriptions administratives, ni du projet de Constitution, ni des propos insupportables du président tunisien à l’égard des immigrés subsahariens. O combien importants ! Mais, je vous emmène examiner la notion de la transparence pour illustrer des meilleures façons d’agir dans nos sociétés.

La vérité, 1re victime en temps de crise

Sur le continent, les débats actuels aliment une critique vive des relations France-Afrique, une manipulation des esprits ou des positions politiques peu nuancées. Sous la réalité politique et historique de nos Etats, ces débats enterrent les vrais sujets, comme la transparence. Je dis bien transparence, le contrepoison des logiques économiques et politiques prédatrices. Pour analyser la notion de transparence, rien de mieux qu’un détour par le politique et la gouvernance, même il serait contreproductif d’en limiter l’usage à ces champs d’action. Mais que signifie-t-elle ?

La transparence s’oppose à la corruption et à l’opacité des comptes publics. Dans une gouvernance transparente, la déclaration des biens des responsables politiques à leur prise de fonction est de rigueur au regard de la loi. La transparence s’oppose aussi à tout ce qui peut altérer la vérité, première victime en temps de crise. Terme hautement juridique, la transparence questionne les conflits d’intérêts et la sincérité de la gestion des biens publics par l’Etat. Qu’il s’agisse d’un gouvernant, d’un élu ou d’un citoyen ordinaire, être transparent traduit franchise et honnêteté avec la société et avec soi-même. L’homme transparent se refuse à toute ambiguïté et tout conflit d’intérêts.

Le peuple se trompe souvent dans ses choix

Ceci dit, à chaque changement de régime, les Maliens espèrent que la gestion du pays sera transparente, que la situation changera. Ils ne se doutent pas que le patriotisme et l’énervement, à l’origine de l’accès au pouvoir de certains gouvernants, ne préparent pas les nouveaux maîtres du pays à l’exercice de politiques transparentes. Parce que l’écart entre les principes affichés et la réalité des réalisations est important. La transparence est devenue la bête noire des élites. Le peuple se trompe souvent dans ses choix.

Au Mali, les différents régimes (politique et militaire) ont tendance à plus conditionner qu’émanciper les Maliens. Résultat : incapacité à ériger une gouvernance exemplaire et transparente. Le scandale des engrais frelatés en 2015 sous le régime d’Ibrahim Boubacar Keïta (IBK) ou celui des logements sociaux en 2022 sous la Transition actuelle informe sur les difficultés des gouvernants à agir de façon transparente.

Bien qu’une partie des Maliens se représentaient IBK comme l’homme à poigne pour changer le Mali, il s’est embourbé dans une gouvernance ténébreuse. La cause de cet embourbement est à rechercher dans la gestion de son pouvoir, fondée sur une politique de prestige. Conséquence : la confiance s’est rompue entre lui et le peuple malien.

Le diktat des uns a entravé la capacité des autres à rebondir

Autre exemple, la fragilité actuelle des relations entre la France et l’Afrique donne à comprendre l’enjeu d’avoir des coopérations Sud-Nord transparentes. “Notre croissance économique aussi, et nous Européens, nos échanges, nos emplois vont dépendre, de plus en plus, de l’Afrique. Ce n’est ni une bonne, ni une mauvaise nouvelle, c’est un fait. Et tout dépendra de ce que nous faisons. C’est pourquoi je suis convaincu que le moment est venu de faire un choix et de savoir quel rapport nous voulons entretenir avec les pays africains […], extrait du discours du président Emmanuel Macron, 28 février 2023. Le président français, Emmanuel Macron, appelle à rebâtir des rapports Sud-Nord sur la base de la confiance. D’autant que, par le passé, ces relations ont souffert d’un déficit de transparence. Le diktat des uns a entravé la capacité des autres à rebondir et à construire des relations humbles. Mais espérons un nouveau départ. Les Africains ont une carte à jouer, savent-ils laquelle ?

Kidal, un cas de conscience face à l’Histoire

La vulnérabilité des relations entre la France et l’Afrique vaut aussi pour celles entre le gouvernement malien et la CMA, Coordination des mouvements de l’Azawad. Au-delà des rapports de force changeants entre eux, le défi pour la Transition et la CMA est d’œuvrer pour que Kidal ne soit pas un “Etat dans un Etat” en dépit de la crise sécuritaire. C’est-à-dire que le gouvernement doit défendre un modèle de gouvernance et de société plurielle, ouverte, à l’opposé de toute forme de bannissement ou d’abandon.

Pour éviter de faire éclore un Etat dans un Etat et au regard de nos engagements (Accord de paix de 2015), la CMA et la Transition doivent apaiser leurs relations pour construire un Mali puissant, seul point d’équilibre pour compter dans les nations. Kidal, un cas de conscience face à l’Histoire. Chaque Malien doit se convaincre et convaincre ses concitoyens que c’est de notre responsabilité historique et sociologique de conduire le Mali vers la paix, de Kayes à Kidal. Nous le savons tous que le contexte géopolitique actuel enjoint de maintenir l’équilibre, fragile, soit-il.

La violence fanatique

Pour cela, une des solutions c’est d’avoir une approche renouvelée et ambitieuse de nos liens. Commençons par construire des dispositifs pacifiques transparents, sincères et visionnaires. Avec l’espoir que le futur pouvoir civil travaille dans la continuité de la normalisation de ces liens. Sous le plumage de l’Aigle, aucun Malien ne doit revivre 2012, point de départ de l’enfer sécuritaire. On a mieux à faire.

La terreur dans les yeux des déplacés, des réfugiés et des Maliens en errance sous le poids de la violence fanatique ne doit pas nous être indifférente. Regardez, nos frères et sœurs qui meurent, parce qu’ils refusent de se soumettre à des dogmes. La liberté de conscience que notre Constitution (actuelle ou future) doit garantir est malmenée. La noblesse de la gouvernance n’est-elle pas d’écouter et d’entendre ?

Terminons cette chronique par ce avec quoi on l’a commencée, la transparence. Les différents exemples évoqués constituent des sources d’inspiration pour construire des politiques transparentes et de qualité. Lesquelles politiques devront être soumises à un processus d’évaluation permanente, confiées à des officines indépendantes, pour les adapter à l’évolution des enjeux : sécurité, éducation, santé, justice.

Ils constituent enfin une éthique de l’action où les façons de faire doivent s’harmoniser avec les raisons d’agir pour rechercher l’harmonie sociale, ce cercle vertueux. Pour éviter le drame, n’attendons pas de toucher le fond du fleuve Niger pour rebondir.

Ecoutons “Mali” de Black AD.

Un autre Mali est-il possible ?

Mohamed Amara

Sociologue

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