Googan Tan : L'Algérie de Tebboune : la marche à reculons vers l'isolement ?

Depuis l'élection d'Abdelmadjid Tebboune à la présidence en 2019, la diplomatie algérienne semble marquer un tournant, caractérisé par un repli croissant et une montée des tensions.

5 Juin 2025 - 01:47
5 Juin 2025 - 10:16
 17
Ecouter cet article
Googan Tan : L'Algérie de Tebboune : la marche à reculons vers l'isolement ?
00:00
Googan Tan : L'Algérie de Tebboune : la marche à reculons vers l'isolement ?

Longtemps perçue comme un acteur majeur du mouvement des non-alignés, fervente défenseure des causes souverainistes et des luttes tiers-mondistes, l'Algérie se retrouve aujourd'hui isolée sur plusieurs fronts. Les récentes tensions diplomatiques avec le Mali illustrent une perte d'influence croissante, aggravée par des choix souvent rigides et une diplomatie davantage réactive que stratégique. Autant dire, une marche à reculons vers un isolement qui paraît désormais inéluctable.

A cet égard, le différend avec le Mali est révélateur. À l'origine, il s'agissait d'une médiation assumée par l'Algérie dans les crises du Sahel. Mais les autorités de transition maliennes ont progressivement remis en cause la neutralité d'Alger, l'accusant de pencher en faveur des groupes armés du Nord, signataires de l'Accord d'Alger de 2015. Jugé défavorable à l'unité nationale du Mali, cet accord est devenu un point de discorde majeur.

À partir de 2023, les tensions se sont accentuées, alors que Bamako diversifiait ses alliances. Malgré des tentatives de coopération sécuritaire, la confiance mutuelle s'est érodée, symbolisant le recul de l'influence algérienne au Mali et, plus largement, dans la région sahélienne.

Lors d'un déplacement à Kidal, le vendredi 23 mai, le ministre malien de la Défense, Sadio Camara, a évoqué ces tensions, dont le dernier épisode en date concerne l'affaire du drone malien abattu. Pour lui, Alger a posé un acte "grave" et doit comprendre que le Mali ne tolérera "aucun acte d'agression contre ses appareils de défense". Bamako ne cédera pas non plus "aux intimidations et aux pressions extérieures", a averti le ministre, avant d'inviter le voisin algérien à "revenir à la raison". Et de conclure : "Nous ne sommes pas dans une logique d'escalade. Nous laissons cela à ceux qui manquent de vision… L'heure est à la coopération stratégique, pas à la provocation."

Mais les relations tendues d'Alger ne se limitent pas qu'au Mali. Sous le mandat de Tebboune, les relations avec de nombreux pays ont atteint un niveau inédit de dégradation. Avec la France, le point de rupture remonte à 2021, à la suite des propos d'Emmanuel Macron sur la "rente mémorielle" et la supposée "inexistence de la nation algérienne avant la colonisation". S'y sont ajoutés des désaccords sur la politique migratoire, la délivrance des visas et des accusations récurrentes d'ingérence. Malgré quelques tentatives d'apaisement, la méfiance reste vive, récemment ravivée par les déclarations du président français sur la "marocanité" du Sahara occidental, jugées inacceptables à Alger.

Autre revers diplomatique de taille pour l'Algérie de Tebboune : la volte-face de l'Espagne sur la question du Sahara occidental. Madrid a en effet  annoncé son soutien au plan d'autonomie marocain, rompant ainsi avec sa traditionnelle neutralité. Pour l'Algérie, soutien indéfectible du Front Polisario, cette décision est vécue comme une provocation. Alger suspend alors le traité d'amitié de 2002 et gèle une grande partie des échanges économiques, à l'exception notable du gaz. Ces réalignements stratégiques démontrent l'incapacité du président Tebboune à anticiper ou à influencer les grandes orientations géopolitiques de ses partenaires.

Le conflit avec le Maroc, quant à lui, est plus ancien. Il repose principalement sur la question du Sahara occidental. Depuis la reconnaissance de la souveraineté marocaine sur cette région par de nombreux pays, Alger a redoublé d'efforts pour défendre l'autodétermination du peuple sahraoui. Cette opposition irréconciliable a conduit à une rupture totale des relations diplomatiques avec le Maroc en août 2021, dans un climat de tensions militaires, d'accusations mutuelles et de campagnes de désinformation.

Au-delà du Maghreb, l'Algérie se distingue également par son refus de s'aligner sur certaines dynamiques du monde arabe. Fidèle à sa ligne pro-palestinienne, Alger reste l'un des derniers bastions d'une position intransigeante sur la question. Cette posture l'éloigne de plusieurs pays du Golfe, avec lesquels les divergences se multiplient, notamment sur les conflits en Libye et en Syrie, où l'Algérie s'oppose à toute forme d'intervention étrangère et refuse de rejoindre les coalitions anti-Frères musulmans.

Paradoxalement, c'est avec les États-Unis que les relations demeurent les plus stables. L'Algérie adopte une prudence stratégique : ni hostile ni trop proche. De son côté, Washington manifeste des réserves, spécifiquement quant à la position algérienne jugée trop neutre dans la guerre en Ukraine.

Avec la Russie, Alger cherche aussi à maintenir une posture d'équilibre : proche de Moscou, sans toutefois adhérer pleinement à ses positions dans les conflits internationaux.

Cette accumulation de différends dessine les contours d'une diplomatie algérienne en retrait. Depuis 2023, cette posture s'accompagne d'un retour en force de l'institution militaire dans la gestion des affaires sécuritaires, marqué par une série de limogeages au sein de l'état-major et des services de renseignement. Aujourd'hui, la diplomatie algérienne semble chercher un nouveau cap. Mais le pays avance à tâtons, dans une incertitude diplomatique croissante.Oumar

 Seidina Oumar   DICKO

Quelle est votre réaction ?

Like Like 1
Je kiff pas Je kiff pas 1
Je kiff Je kiff 0
Drôle Drôle 0
Hmmm Hmmm 0
Triste Triste 0
Ouah Ouah 0