GOOGAN Tan : La France, entre ceux qui sauvent et ceux qui pourchassent

La France, en cet automne 2025, vacille entre deux visages d'elle-même. À Calais, à Dunkerque, dans les plaines du nord, des scènes d'une violence inouïe se répètent désormais comme un sombre rituel.

18 Octobre 2025 - 01:42
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GOOGAN Tan : La France, entre ceux qui sauvent  et ceux qui pourchassent

Dans la nuit du 9 au 10 septembre, à Grand-Fort-Philippe, des exilés ont été pris pour cibles. Les coups, les insultes, les cris, autant d'échos d'une haine ordinaire devenue presque banale. Une enquête pour " violences aggravées " a été ouverte, mais pour combien d'âmes blessées sans justice ? Charlotte Kwantes, de l'ONG Utopia 56, le dit sans détour : " Ces attaques se multiplient, gagnent en intensité depuis les dernières législatives. " Des groupuscules, nourris de ressentiment, jouent les milices en toute impunité.

uelques semaines plus tard, à quelques kilomètres de là, une autre scène, à la fois tragique et salvatrice, se déroule dans la nuit du 9 au 10 octobre. Des migrants, piégés dans la vase du chenal de Gravelines alors qu'ils tentaient de gagner les côtes anglaises, appellent à l'aide. Les sauveteurs de la SNSM accourent, les hissent à la force des bras, dans un combat à la fois physique et symbolique : celui de la vie contre l'indifférence.  

    La vidéo tournée par un habitant, Jean Deldick, montre les silhouettes des naufragés, leurs cris répercutés par la nuit. Ce drame évité de peu rappelle que, malgré les accords signés entre Paris et Londres pour endiguer le flux des small boat, les traversées de la Manche atteignent des records.    Et pourtant, la France a connu, en quelques semaines, d'autres visages, d'autres éclats, ceux du courage et de la dignité. Dans la nuit du 15 au 16 août 2025, à Royère-de-Vassivière, dans la Creuse, un autre cri s'est élevé, celui de la peur. Des habitants affirment avoir été pourchassés et battus pour la seule couleur de leur peau. Ils parlent d'une " chasse au nègre ", expression terrible, indigne d'un pays qui se veut patrie des droits de l'homme. Sept plaintes ont été déposées pour violences racistes. Ce soir-là, la fête du village, censée unir, s'est achevée dans la fracture la plus abjecte : celle qui nie l'humanité de l'autre. Mais un mois plus tôt, un fils du Sahel, sans uniforme et sans papiers, rappelait à la République ce que signifie être citoyen du monde. Le 14 juillet, jour de fête nationale, Fousseynou Cissé, migrant sénégalais, a risqué sa vie pour sauver celle d'autrui. Sans caméra, sans calcul, par pur réflexe moral. Emmanuel Macron lui a rendu hommage et la France a applaudi. Derrière les discours, une vérité s'imposait : le courage n'a ni passeport ni couleur.

Avant lui, d'autres avaient déjà rappelé cette vérité : Lassana Bathily, Malien de l'Hyper Cacher, sauvant des otages lors de l'attentat de 2015 ; Mamoudou Gassama, escaladant à mains nues la façade d'un immeuble parisien pour sauver un enfant suspendu dans le vide. Ces hommes, que certains auraient réduits à des " sans-papiers ", se sont élevés au-dessus de tous les préjugés. Leurs gestes, loin d'être des exceptions, s'enracinent dans une tradition ancienne : celle du Sahel, où l'honneur se prouve dans l'action, où l'entraide et la bravoure sont des vertus cardinales.

 Et pourtant, que dit-on trop souvent de ces hommes et femmes venus du sud ? Qu'ils profitent, qu'ils menacent, qu'ils importent le désordre. On les stigmatise, on les enferme dans les peurs d'une époque troublée. Mais les faits, eux, sont têtus. Depuis les tirailleurs " sénégalais " jusqu'aux aides-soignants, enseignants, chauffeurs et livreurs d'aujourd'hui, leur apport à la République est constant, discret, essentiel. Ces enfants du Sahel construisent, soignent, protègent. Ils ne fuient pas : ils participent.

Fousseynou, Lassana, Mamoudou et tant d'autres rappellent que l'étranger n'est pas toujours une menace, mais fréquemment une ressource. Leurs gestes silencieux disent une vérité universelle : la valeur d'un être humain ne se mesure ni à sa nationalité, ni à son statut administratif, mais à sa capacité d'aimer, de protéger, de se dépasser pour autrui.  La France, traversée par les mauvais vents du repli identitaire et de l'islamophobie, a besoin de ces figures de lumière. Elles révèlent l'autre visage de l'immigration : celui de la dignité, du courage, de la fraternité agissante. Oui, le Mali, le Sénégal, et plus largement le Sahel, peuvent être fiers de ces enfants. À travers eux, ce sont des peuples entiers qui tendent un miroir à la France, lui rappelant que sa grandeur ne se trouve pas dans la peur, mais dans l'ouverture ; pas dans la stigmatisation, mais dans la reconnaissance. L'été 2025 aura ainsi révélé deux visages de la République : celui de la honte et celui de la gloire. D'un côté, la haine qui pourchasse. De l'autre, l'humanité qui sauve. Entre ces deux chemins, la France doit choisir. Pour ma part, je n'ai aucun doute : l'avenir appartient à ceux qui tendent la main, pas à ceux qui la frappent.

Seidina Oumar  Journaliste - Historien - Écrivain

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