À vos plumes : Le miroir brisé de l'Afrique !

L'ennemi n'est pas toujours celui que l'on croit. Au-delà des discours enflammés et des colères légitimes contre les puissances coloniales, une vérité cinglante et insoutenable plane sur l'histoire de notre continent : la main qui a souvent asséné le coup fatal, humilié le leader ou trahi la cause était une africaine !

9 Octobre 2025 - 01:51
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À vos plumes : Le miroir brisé de l'Afrique !
Abdoul Karim Drame

De la conquête initiale aux coups d’État post-indépendance, nous nous retrouvons trop souvent dans le rôle de nos propres bourreaux. Accepter cette réalité brutale est le premier pas vers notre véritable libération.

L'Histoire, dans sa cruauté objective, ne pardonne pas les raccourcis. Lorsque l'on évoque la conquête coloniale, l'image d'un assaut massif de troupes européennes contre des royaumes unis est largement erronée. La réalité est plus subtile et infiniment plus dévastatrice pour la psyché africaine : le colonisateur n'a pas débarqué avec des milliers de soldats, il s'est appuyé sur la division.

Les exemples sont légion et témoignent de cette stratégie cynique de « l’indirect rule » avant la lettre. Les puissances européennes ont habilement exploité les rivalités ancestrales et les ambitions locales. Qui a mené les combats ? Souvent des Africains contre d'autres. Nous n'avons qu'à penser à la confrontation entre Moussa Molo et Mamadou Lamine Dramé ! On comprend alors comment les ambitions personnelles et les alliances ont servi de tremplin à l'avancée coloniale. Cette dynamique de « chef contre chef » a non seulement facilité la pénétration, mais a surtout inoculé un poison durable : l'idée que l'intérêt personnel ou clanique prime sur l'unité continentale !

L'ombre funèbre de la trahison : De Lumumba à Keïta !

Le cas de Patrice Lumumba  (mort assassiné le 17 janvier 1961 près d'Élisabethville au Katanga) est l'incarnation la plus violente et la plus déchirante de cette auto-flagellation. Père de l'indépendance congolaise, Lumumba est devenu un symbole mondial de la lutte anti-impérialiste. Si l'administration coloniale et les puissances étrangères ont indiscutablement tiré les ficelles pour sa neutralisation, ce sont bien des « frères » congolais qui l'ont capturé, humilié et livré à son sort tragique. L'humiliation subie par cet homme, figure emblématique de l'espoir africain, aux mains des siens, est une blessure que le continent ne doit jamais oublier.

Cette même douleur résonne avec une clarté effrayante dans d'autres capitales. Au Mali par exemple, l'arrestation, la détention et la mort dans des conditions troublantes (mort le 16 mai 1977 en détention au camp des commandos parachutistes de Djicoroni Para à Bamako) du président Modibo Keïta, l'un des plus fervents panafricanistes, n'auraient pu se réaliser sans des mains africaines. Au Togo, l’assassinat de Sylvanus Olympio (le 13 janvier 1963), le premier président, dans la cour d'une ambassade, est un acte qui a horrifié le continent.

Ces drames, commis par des militaires ou des politiciens africains (souvent manœuvrés par des intérêts extérieurs), confirment une sombre vérité : nous sommes trop souvent nos propres bourreaux !  La période post-indépendance est jonchée de leaders visionnaires tués ou humiliés par les leurs, mettant fin aux projets d'unité et de souveraineté. Entendre cette vérité est violent et cela fait mal, mais elle est nécessaire pour secouer les consciences. Point n'est besoin de chercher un bouc émissaire à l'extérieur quand la faille réside souvent en nous.

La véritable victoire de l'Afrique ne se trouve pas dans un antagonisme stérile et des discours enflammés contre l'Occident. La victoire se trouve d'abord dans une victoire sur nous-mêmes. Pour ce faire, il faut vaincre la jalousie et l'individualisme qui nous poussent à trahir l'intérêt collectif. Il est aussi indispensable d’enrayer la corruption qui nous fait vendre les ressources de nos nations pour un enrichissement personnel éphémère. Tout comme il est indispensable d’enrayer la division tribale, ethnique et régionale que l'ancien colon a si bien su manipuler.

Une fois que nous aurons gagné cette bataille intérieure, que nous serons unis par une éthique de l'intégrité et de l'intérêt commun, rien ne pourra nous empêcher de progresser. C'est à ce prix, et à ce prix seulement, que l'Afrique pourra enfin s'affranchir de toutes les formes de domination. Ce regard sans complaisance sur notre histoire est douloureux, mais ne doit-il pas être le point de départ de tout engagement sincère pour l'avenir du continent ?

Abdoul Karim Dramé

Journaliste indépendant

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