Décryptage : Bamako, la crise de l’or noir
Ce matin, réfléchissons sur les futurs possibles du Mali. Bamako, ville des luttes d’indépendance

Hier, c’était Gao, Kidal, Mopti, Ségou. Aujourd’hui, c’est Bamako. Nous sommes dans la capitale malienne, une ville traditionnellement veillée par les trois caïmans. Fascinante ville au croisement des peuples et des cultures, Bamako est aussi la ville des luttes d’indépendance. En 1946, Bamako donne naissance à l’Union soudanaise-Rassemblement démocratique africain, US-RDA.
Elle portera au pouvoir les premiers présidents ouest africains tels que Modibo Keïta, Félix Houphouët Boigny, etc. Aujourd’hui, mégalopole de près de trois millions d’habitants, Bamako est marquée par les intrigues politico-militaires. Ville de la débrouille, Bamako subit les horreurs du narcoterrorisme (Amara, 2019). Voie de passage entre le Nord et le Sud, Bamako est aussi une ville culturelle. En 1994, le président Alpha Oumar Konaré crée les Rencontres africaines de la photographie de Bamako. Ville des représentations diplomatiques et consulaires, Bamako est le cœur battant des pouvoirs politique et militaire. Mais avançons dans le temps.
Un désir de paix
Bamako est une capitale éminemment géopolitique au cœur de l’exacerbation des tensions sécuritaires depuis quelques semaines. C’est le nouveau point de vulnérabilité du Mali. Elle est désormais au cœur d’un des axes stratégiques du Jnim (Jama’at Nusrat al-islam wal Muslimin), filiale d’Aqmi. Le Jnim empêche le ravitaillement en carburant de Bamako. C’est la crise de l’or noir. Les Bamakois prennent d’assaut les stations-service.
Les files d’attente sont sans fin. Partout, la pénurie de carburant impacte les sociabilités familiales et amicales. Dans une conurbation galopante, sans carburant, il devient difficile de visiter ses proches. Barrière sécuritaire hier, Bamako est aujourd’hui fragilisée par la guerre énergétique, un autre vent mauvais. Les Bamakois sont pris en étau entre lutte contre le narcoterrorisme et désir de paix.
De la realpolitik
Au fil du temps, les angoisses des Bamakois sont réelles : bagarres aux abords des stations-service, peur du lendemain, etc. Bamako est mise sous pression par le Jnim pour inverser les rapports de force. La ville est désormais au premier rang des enjeux géopolitiques. Les attaques du Jnim contre les citernes d’approvisionnement de la ville asphyxient le Mali, pays importateur de pétrole.
Ce qui est significatif de nos difficultés à maîtriser une crise, qui déborde des périphéries où elle incube depuis des années. C’est donc le contexte actuel qui n’est pas seulement celui de Bamako. C’est aussi celui de l’ensemble du territoire malien que ni les débats surannés, ni les catégories prêtes à l’emploi n’aident à résoudre. Pour cela, une question de realpolitik se pose : comment faire face à cette féroce fièvre énergétique ?
Mobiliser les scientifiques
Répondre à cette question, c’est prendre conscience d’un climat sécuritaire détérioré. La réponse à cette question invite à régler une autre question, celle de la gouvernance au-delà de l’establishment bamakois. Un projet innovant de sortie de crise s’impose à tous. Plusieurs scénarios sont possibles. D’abord, un premier scénario est de mobiliser les scientifiques pour travailler sur les sorties de crise.
Dans ce cadre, il serait utile de traiter la question des liens qui nous unissent. De ce point de vue, un travail sur les dynamiques sociales, politiques et géopolitiques peut avoir une plus-value socio-économique et de changement. Il faut amorcer une remise en question de nos certitudes pour sauver nos modèles de société.
Impliquer les politiques, les industriels, les syndicalistes
Quant au deuxième scénario, pour sortir de la guerre, il est question d’impliquer les politiques, les associatifs, les syndicalistes, les industriels, les journalistes, etc. Le choix des acteurs est stratégique. Ce choix implique des considérations politiques, éthiques et territoriales. C’est pour l’éternité du Mali.
L’alliage de la connaissance scientifique et des stratégies politiques et citoyennes fera apparaître la prégnance des liens. Il créera un mouvement légitime pour faire ressortir les conditions de la paix. C’est une des meilleures façons de mettre en forme la gouvernance. Enfin, il ne s’agit pas de prêcher le martyr. Il ne s’agit pas non plus de faire l’apôtre. Mais, il s’agit d’architecturer les futurs possibles du Mali par le dialogue et l’unité.
Réfléchir et agir ensemble
Je ne saurai terminer ce papier sans dire un mot sur Madagascar où les dynamiques sociopolitiques ont échappé au régime d’Andry Rajoelina. 15 septembre 2025, au sein du mouvement Génération Z, les Malgaches se mobilisent pour la démocratie et contre les coupures d'eau et d'électricité. 25 septembre 2025, le phénomène prend de l’ampleur. 14 octobre 2025, Rajoelina est chassé du pouvoir par le colonel Randrianirina Michaël.
Il promet de le remettre aux civils dans deux ans. Espérons ! Comme partout, les injustices nourrissent les révoltes populaires. L’avenir de nos États dépend de notre capacité à réfléchir et à agir ensemble pour satisfaire les droits essentiels : sécurité, santé, eau, électricité, éducation, emploi, logement...
Comment mieux nous organiser pour sortir des crises ?
Mohamed Amara
Sociologue
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