Economie : Le plein emploi au Mali ?
En contribution au débat intellectuel du moment sur les données économiques et financières fournies par le Ministre de l’Economie et des Finances, le Dr. Laya Amadou Guindo, enseignant chercheur, donne son avis.

En général, les objectifs poursuivis par les économies contemporaines sont entre autres : un taux de chômage bas, une inflation basse, une croissance économique soutenue et un certain équilibre du solde extérieur. Cette théorie a été défendue depuis plus d'un demi-siècle par Nikolas kaldor 1971.
Cependant, l'atteinte de ces objectifs macro-économiques, sont contraignantes et souvent contradictoires.
Alban William Phillips (1958) précurseur d'une observation empirique qui sera plus tard théorisée montre que le taux de chômage et de celui de l'inflation sont en sens inverse du moins à court terme.
Du point de vue des politiques publiques, notamment la politique conjoncturelle, elle se manifeste de deux manières. Soit une politique budgétaire expansionniste, qui consiste à augmenter les dépenses et diminuer les impôts dans le but de booster la croissance économique donc un fort effet sur la production avec une probabilité importante de hausse du taux d'inflation et à l'inverse une politique budgétaire restrictive consistant à augmenter les impôts et diminuer les dépenses publiques, pour lutter essentiellement contre l'inflation donc une certaine dose de taux chômage dans l'économie.
L'un dans l'autre, il est incompréhensible d'avoir en courte période un taux faible de chômage et d'inflation à la fois, en tout cas la littérature économique est assez pauvre pour la soutenir.
Un taux de chômage de 3, 5% signifie approximativement le plein emploi donc on avoisine le taux de chômage naturel. En ce moment, les seuls types de chômage existants sont le chômage structurel et le chômage frictionnel.
S'agissant de l'inflation, avoir un taux d'inflation en bas des normes communautaires (Uémoa) veut dire qu'il est en dessous de 3%, un objectif certes atteignable mais la cohabitation avec un niveau d'emploi élevé souffre de fondement théorique dans les revues scientifiques même si la stagflation observée des 1970 lors de l'avènement des chocs pétroliers à remis partiellement en cause les observations de Phillips.
Après un peu de théorie économique à l'endroit des chercheurs et du monde académique, revenons à présent sur le sujet brûlant d'actualité dans un français facile comme on aime le dire dans le langage populaire.
Le chiffre du taux de chômage avancé ces derniers temps correspond à l’estimation officielle de l’Insat, calculée selon la définition du Bureau International du Travail (BIT). Toutefois, cet indicateur, bien qu’internationalement standardisé, est peu adapté au contexte du Mali. En effet, les critères pour être considéré comme chômeur sont stricts : il faut, entre autres, avoir effectué des démarches actives de recherche d’emploi. Cela suppose l’existence d’organismes capables d’enregistrer, de centraliser et de croiser ces données avec d’autres sources, ce qui n’est pas forcément le cas dans plusieurs pays en développement.
Ainsi, le taux de chômage sous-estime fortement la réalité du sous-emploi dans un pays très souvent comme c’est d’ailleurs le cas dans de nombreux pays de la sous-région.
Un indicateur plus pertinent serait le taux d’emploi, que l’Insat a évalué à 56,9 % en 2022. Cela signifie que 43,1 % des personnes en âge de travailler n’occupent pas d’emploi, ce qui reflète mieux la réalité du marché du travail malien. Une communication en termes de taux d’emploi et de son complémentaire le taux de non emploi, qui est comme vous pouvez le constater très différent du taux de chômage allait mieux éclairer la lanterne de la population.
Un autre indicateur pertinent serait le nombre de salariés bénéficiant d’une couverture sociale à l’INPS ou à la Canam, ce qui donne une vision plus qualitative, quantitative et plus fiable du travail formel.
En définitive, dans le contexte malien, des indicateurs comme le taux d’emploi ou le nombre de travailleurs affiliés à un régime de protection sociale sont bien plus représentatifs d’une dynamique réelle du marché du travail que le taux de chômage, biaisé pour des raisons techniques, technologiques et structurelles.
Il faut noter qu'on peut faire dire aux chiffres tout ce que l’on veut, et c’est par la contradiction et le débat qu’on arrive à inciter les uns et les autres à évoquer les chiffres les plus pertinents pour une situation donnée.
Dr. Laya Amadou Guindo
Enseignant-chercheur
NB : Le titre est de la rédaction
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