Me Hamidou Diabaté a définitivement abandonné le combat
Après Ibrahima N’Diaye dit IBA et Tiébilé Dramé, pour les cas les plus récents, c’est au tour de Me Hamidou Diabaté de tirer sa révérence le vendredi 10 octobre 2025, laissant orphelin le mouvement démocratique malien et l’ensemble des militantes et militants du Parti pour la Renaissance Africaine, PARENA.

Grand Magistrat, éminent avocat et homme politique engagé, Me Hamidou Diabaté, membre fondateur du CNID et vice-président du PARENA, a accompli sa mission avec rigueur et dévouement celle d’apporter sa précieuse pierre à l’édifice national. Il laissera certes un pays en crise, mais son riche parcours professionnel et politique sera une source d’inspiration pour la nouvelle génération. Accompagné en sa dernière demeure le samedi 11 octobre 2025, ses amis et compagnons politiques n’ont pas tari d’éloges pour l’illustre disparu. Voici quelques Réactions :
NE PARS PAS TROP LOIN, AMIDOU… (LETTRE D’UN CADET DE ROBE A UN AINE, FILS DE KITA ET HOMME DE JUSTICE) EL MANSOURIA
« Quand un aîné s’en va, c’est une bibliothèque qui s’éteint. » — Amadou Hampâté Bâ Préambule Avant même de prendre la plume, je mesure la difficulté de cet instant. Car c’est malgré le deuil encore frais de la mort de ma sève nourricière, celle qui m’a donné la vie, la force et le verbe, que je prends aujourd’hui la parole pour rendre hommage à mon aîné, mon confrère, mon ami, Me Hamidou (Amidou) DIABATÉ. La douleur est double : celle du fils qui pleure sa mère, et celle du cadet qui perd un aîné admiré et admirable. Mais l’une et l’autre m’imposent le même devoir : celui de la fidélité, celui de la transmission. Et c’est au nom de cette fidélité que j’écris ces lignes, pour dire, simplement : merci, Amidou.
I- Kita, notre mémoire commune
Mon cher Amidou, Nous venons tous deux de Kita, cette ville qui ne produit pas seulement des hommes, mais des récits. Kita, cité des griots et des lettrés, des DIABATÉ, KOUYATÉ, CISSÉ, KONATÉ et KÉITA, bastion des traditions mandingues où la parole vaut serment et la mémoire, patrimoine. Tu en étais un digne fils — de cette lignée où la parole, avant d’être proférée, s’éprouve et se pèse. Tu savais que la justice, comme la parole, ne doit jamais être prononcée à la légère. Nous étions unis par cette origine commune : la terre des équilibres, la terre des serments. C’est de là que vient sans doute notre fidélité au droit — cette idée que la règle n’est pas une arme, mais un rempart.
II. Le juge et la robe du droit
Tu fus d’abord juge de paix à compétence étendue, homme de loi et de raison. Tu jugeais comme on enseigne : avec patience et discernement. Les justiciables t’aimaient parce qu’ils comprenaient la justice à travers toi. Tu ne punissais pas : tu expliquais. Tu n’imposais pas : tu convainquais. Tu avais cette rare vertu de savoir que le droit ne se mesure pas au nombre de condamnations, mais à la qualité des réconciliations. Tu faisais du tribunal un espace de pédagogie morale et de paix sociale. Ton style de juge était celui d’un homme qui savait que la loi sans humanité n’est qu’un glaive sans poignée.
III. L’avocat et la foi dans la justice
Tu devins avocat. Tu passas du siège à la barre avec la même dignité, la même rectitude, la même foi. Tu ne plaidais pas pour séduire, tu plaidais pour convaincre. Tu étais de ces avocats pour qui la parole n’est pas un spectacle, mais un service. Ta voix portait la raison, ton ton inspirait la confiance. Tu faisais partie de cette race d’hommes de robe qui rappellent que le droit est une discipline morale avant d’être une profession libérale.
IV. Le démocrate et le bâtisseur de l’État de droit
Mais, Amidou, ton combat ne s’est jamais limité au tribunal. Tu étais un homme de conviction et de démocratie. Tu crus, dès les premières heures du combat civique, qu’il était possible de bâtir au Mali un État de droit, où la justice ne serait pas le prolongement du pouvoir, mais son contrepoids. Ton engagement dans le mouvement démocratique malien fut une leçon de courage et de clairvoyance. Tu faisais partie de cette délégation historique, ce petit groupe d’hommes que l’histoire retiendra comme les artisans du renouveau politique du Mali : Bakary KAREMBÉ, Demba DIALLO, Boissé TRAORÉ, et ton ami, notre aîné et confrère Mountaga TALL, alors plus jeune président d’association en voie de devenir parti politique. Je revois encore cette image : la frêle silhouette de Me Hamidou DIABATÉ, au nombre des personnalités qui montèrent à Koulouba, le pas ferme mais le cœur grave, pour remettre — sans murmure ni détour — la lettre par laquelle le mouvement démocratique demandait au général Moussa Traoré de quitter le pouvoir, après vingt-trois années de règne. Ce jour-là, Amidou, tu n’étais pas seulement avocat : tu étais le citoyen en robe, celui qui parle au nom du peuple sans renier sa profession. Tu avais compris que la robe noire, quand elle s’avance pour dire non à l’injustice, devient l’uniforme du courage.
V. Le ministre et le serviteur de la République
Ton parcours t’amena ensuite au sommet de l’État. Tu fus ministre de la Justice, Garde des Sceaux, et, plus tard, Chef de l’opposition parlementaire. Mais tu n’y cherchas ni les honneurs ni les privilèges : tu y cherchas la réforme, l’équité, la continuité du droit. Ta célèbre “loi Hamidou DIABATÉ” sur le contentieux foncier demeure un texte de référence, tant elle porte ta marque : l’équilibre entre le droit moderne et le droit coutumier, la protection des paysans, la pacification des rapports de propriété. Tu as prouvé qu’on pouvait réformer sans casser, moderniser sans mépriser. Mais ton œuvre ministérielle ne s’arrête pas là. Tu fus aussi le principal artisan et metteur en œuvre du Programme Décennal de Développement de la Justice — le PRODEJ —, vaste plan de réforme qui permit de sortir la justice malienne de la détresse institutionnelle et matérielle où elle se trouvait alors. Grâce à ton engagement et à la confiance des partenaires internationaux, notamment du gouvernement canadien, le Mali reçut un appui substantiel, décisif pour l’avenir de son système judiciaire. Sous ta direction, le PRODEJ posa les fondations d’une justice moderne, accessible et proche des citoyens. C’est dans ce cadre qu’ont été créés les tribunaux communaux, dont six dans les communes de Bamako, afin d’assurer la proximité entre la justice et les justiciables. C’est encore dans ce même mouvement qu’ont été construites les premières “Maisons de justice”, symboles concrets de la réconciliation entre l’institution et le citoyen. Tu fis également doter les juridictions de micro-ordinateurs, de photocopieurs, d’ouvrages et de codes modernes reliés, redonnant ainsi souffle et efficacité à l’appareil judiciaire. Grâce à toi, la justice malienne fit un pas décisif vers la modernité. Par cette œuvre de réforme, tu as montré que le droit ne s’impose pas par décret, mais se construit par la méthode, la patience et la vision. Tu avais cette conviction rare que la justice est une institution vivante, et qu’elle meurt chaque fois qu’elle se coupe du peuple.
VI. L’homme de mesure et de raison
Tu étais, Amidou, un homme d’équilibre. Dans les débats, tu savais écouter avant de répondre, temporiser avant de trancher. Tu savais que la démocratie se nourrit de désaccords civilisés, non d’invectives. Ta parole apaisait, ton silence rappelait. Tu avais la grandeur des hommes calmes, et la rigueur des esprits lucides.
VII. La chaîne des aînés
Avant toi, d’autres confrères ont quitté ce monde : mon promotionnaire et ami Simon BAGAYOKO, mon aîné et frère de cœur, Me Hassane BARRY, et bien d’autres encore avant vous. Ils t’ont précédé au chapitre de la mort, comme on dit chez nous, ouvrant la marche silencieuse de ceux qui, un à un, rejoignent la rive de la mémoire. Vous formez à présent une chaîne d’aînés, une fraternité de confrères et d’ombres bienveillantes, qui veillent sur nous depuis l’autre monde. À travers vos départs successifs, c’est une génération entière du Barreau malien qui s’en va — celle des hommes de conviction, des voix claires, des consciences droites. Au nombre de ces visages qui reviennent à ma mémoire, je pense à ma consœur et associée Aïda NIARE-TOURÉ, au Bâtonnier Seydou Ibrahim MAÏGA, au Bâtonnier Magatte SEYE, à Boubacar TAPO, Ibrahim MAÏGA, Boubèye MAÏGA, Baber BOCOUM, Mamadou GAKOU, et à tant d’autres dont les noms, effacés par le temps, demeurent pourtant gravés dans la conscience du Barreau et dans nos cœurs d’avocats. Tous, à leur manière, ont incarné la même fidélité à la robe, le même courage tranquille, la même foi dans le droit et dans la justice. Et par vos vies, par vos exemples, vous nous rappelez que la robe ne s’use pas de vieillesse : elle se transmet de génération en génération, comme un serment silencieux entre les vivants et les morts.
VIII. Les avocats morts au service du droit
Par ton départ, Amidou, je salue aussi tous les avocats morts au service du droit. Ceux qui, dans les prétoires, dans les prisons, dans les dossiers impossibles, ont défendu le faible contre le fort, la loi contre l’arbitraire. Je pense à ceux qui sont tombés, épuisés par le combat de la justice, parfois brisés par l’ingratitude des puissants, mais toujours fidèles à leur serment. À tous, nous devons reconnaissance et gratitude. Et à toi, Amidou, nous devons cette leçon : la robe noire ne vieillit pas, elle se transmet.
IX. La robe, le droit et la responsabilité morale
C’est pour cela que nous continuons à la porter, cette robe noire, symbole d’humilité et de résistance. Nous la portons pour rappeler à ceux qui violent les lois et les règlements, à ceux qui détournent le droit pour pervertir la justice, à ceux qui manipulent la justice pour violer les libertés, qu’un jour, ils paieront le prix de leurs forfaitures. Le droit n’oublie pas. La justice, même blessée, finit toujours par se relever. Et les avocats, même isolés, finissent toujours par se retrouver du bon côté de l’histoire.
X. Le message aux vivants
Amidou, ton départ nous enseigne qu’il faut écrire, transmettre, enseigner. Il faut que nos jeunes avocats sachent que le droit n’est pas qu’un métier : c’est un engagement moral. Que la République ne soit pas qu’un décor : c’est une idée qu’il faut entretenir chaque jour, par la rigueur, le travail et la parole juste. Toi, tu as fait ta part. Tu as bâti, transmis, servi. Et à présent, c’est à nous de continuer, en ton nom, pour que le droit reste vivant, humain, malien et universel.
Épilogue – Le dernier mot du cadet
Alors, Amidou, ne pars pas trop loin. Reste dans nos mémoires, dans nos combats, dans nos serments. Reste dans la lumière de Kita, dans la fidélité du Barreau, dans la conscience du droit. Tu as vécu en homme libre, tu pars en homme digne. Et nous, tes cadets, nous te promettons une seule chose : la mémoire, la fidélité et la continuité. Ton confrère, ton ami, ton frère de robe.
Mamadou Ismaïla KONATÉ Avocat à la Cour – Barreaux du Mali et de Paris Ancien Garde Sceaux, ministre de la Justice
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