In memoriam : Confessions inédites d’ATT (3ème partie)

1

Dans une interview accordée au journal le Contrat (son organe de campagne lors de la présidentielle de 2007), Amadou Toumani TOURE, décédé le 10 novembre 2020, s’était prêté à un exercice inédit de parler de lui-même : De son enfance à Mopti (son Soudou Bâbâ natal) à la présidence de la République, en passant par son parcours scolaire, sa vie de famille, de soldat… Bref, ATT avait tout dit d’ATT. Pour la postérité L’Aube revient sur cette interview inédite. (3ème partie).

 

… Bangui, en Centrafrique, vous a aussi laissé des souvenirs forts ?

Tout a fait ! J’étais parti pour deux semaines, mais je suis resté deux années. Au milieu des années 90, la RCA a été plongée dans une grave crise militaire. Rien qu’en 1996, la

Centrafrique a connu trois mutineries en trois mois. Il y a avait un blocage institutionnel sans précédent. Suite à un Sommet des Chefs d’Etat de France et d’Afrique, il a été décidé de dépêcher quatre chefs d’état en Centrafrique. Il s’agit des

Présidents Bongo, Compaoré, Déby et Konaré. Il convient de saluer leur courage car ils sont arrivés à Bangui sous protection des véhicules blindés.

La ville était à feu et à sang. La ville était coupée en deux : une partie sous contrôle des mutins notamment autour du Camp Kassaï et l’autre partie aux mains des soldats loyalistes.

Comment je me suis retrouvé en Centrafrique ? Un dimanche matin, le Président Konaré m’a appelé pour me dire ceci : « Prépare-toi, il se peut que tu ailles à Bangui. Entre chefs d’Etat, nous avons discuté. Mais nous avons aussi discuté avec les mutins. Tout le monde est d’accord pour que tu viennes aider à sortir du bourbier dans lequel la RCA est enlisée». Donc je suis parti en Centrafrique sous l’égide du Président Bongo.

Plus tard, j’ai été rejoint par des troupes mises à disposition par les armées malienne, gabonaise, sénégalaise, tchadienne et togolaise. Avec ces forces, nous avons constitué la MISSAB (Mission Inter africaine de Surveillance des Accords de Bangui).

A Bangui, j’ai réussi une prouesse, celle de me rendre régulièrement dans les deux parties de la ville. Même quand il y avait du feu, il suffisait que j’appelle les protagonistes pour leur dire que j’arrive, et automatiquement, ils arrêtaient les tirs.

Parfois, les mutins passaient la nuit à tirer. Le matin, je venais les voir pour discuter avec eux. Quand je leur demande pourquoi ils n’arrêtent pas de tirer au mortier de 120mm, ils répondent : « Mon général, c’est pour vous empêcher de dormir et vous rappeler que nous sommes là ». Quelle drôle de façon ! Bangui a occupé une place importante dans ma vie d’homme et de soldat. On y a fait du bon travail. Au moment où nous remettions le commandement aux forces des Nations-Unies, la ville était calme. Un gouvernement d’unité nationale venait d’être mis en place et la vie avait repris son cours normal. Même si, par la suite, après le départ des casques bleus, les choses se sont quelques fois dégradées. Ce qui arrivait très souvent.

Une fois, j’étais au Mali pour quelques jours quand j’ai appris sur une radio internationale que des combats opposaient les forces de la MISSAB aux mutins. Tout de suite, je prends la décision de retourner sur place et le Président Bongo m’envoie un avion. Je transite par

Libreville où je rencontre le Président Bongo pour évoquer la situation.

Mon arrivée à Bangui s’opère dans des conditions extrêmement difficiles car la ville était en état de guerre. Aussitôt, j’ai une séance de travail avec les autorités centrafricaines qui me présentent un feuillet tiré du dernier bulletin des renseignements. Là-dedans, il est écrit que les mutins projettent de m’assassiner à mon retour à Bangui.

Nullement inquiété, je leur explique le sens que j’ai de mon devoir. Si je dois y laisser la vie, c’est tant pis. Mais comme je vous l’ai dit plus haut, j’étais le seul à pouvoir me mouvoir d’un camp comme dans l’autre. Je me rends chez les mutins pour les entretenir de la teneur du document des renseignements. Ils tombent des nues. « Mon Général, c’est eux, au contraire, qui veulent vous tuer pour nous faire porter le chapeau ».

Les populations civiles centrafricaines ne voulaient pas que je sois absent de Bangui car, à chacun de mes déplacements hors du pays, la mutinerie reprenait de plus belle.

Mais il suffisait que je revienne pour que le calme soit restauré. Savez-vous que les Centrafricains m’ont adopté comme un des leurs ?

En 2002, quand j’ai décidé de me présenter à la présidentielle, les populations de Bangui ont cotisé pour m’envoyer leurs contributions.

Cela m’a beaucoup touché. J’ai un passeport diplomatique centrafricain tout comme de nombreuses décorations. Je pouvais dîner ce soir avec les plus hautes autorités du pays. Le lendemain, je me retrouvais de l’autre côté, en territoire mutin, pour discuter avec les jeunes. Sans réveiller le moindre doute.

Bangui, tout comme Tombouctou, m’a beaucoup marqué à cause des relations privilégiées que j’avais avec les populations. C’est à cette époque que j’ai connu le Président

Bozizé ; il était Chef d’État-major de l’Armée.

Lorsque je rencontre un centrafricain, je sens beaucoup de reconnaissance.

C’est d’ailleurs pour cette raison que, lorsque des étudiants centrafricains ont des problèmes au Mali, je me sens si concerné que je suis obligé de m’impliquer. Et lorsqu’on m’a montré le Consul Honoraire de Centrafrique au Mali, j’ai eu le sentiment qu’il a pris ma place.

 

Monsieur le Président, vous vous destiniez à enseigner. Pour ceux qui ne le savent pas, vous êtes initialement diplômé de l’Ecole Normale Secondaire de Badalabougou,

Spécialité Histoire -Géographie. Qu’est-ce qui s’est passé entre temps pour que vous optiez finalement pour le métier des armes ?

La vocation pour le métier des armes remonte à mon adolescence à Tombouctou. J’ai décidé d’être soldat. J’ai été orienté à l’Ecole Normale Secondaire de Badalabougou, Section Lettres Hist-Géo. Beaucoup de mes camarades de promotion sont des professeurs d’enseignement supérieur. Marimanthia Diarra fut mon camarade de promo. Il fut un très bon élève.

Pendant la Transition, j’ai visité l’EN de Badalabougou. Les élèves d’alors n’ont pas attendu mon arrivée pour aller fouiller dans les dossiers et en ressortir mes notes. Quand je leur ai demandé ce qu’ils avaient trouvé, ils m’ont dit avoir été convaincus par mes résultats scolaires. Je pense que j’ai été un bon élève à l’EN. La preuve, c’est que je figurais très souvent sur le tableau d’honneur. Un jour, j’apprends qu’on recrute pour l’EMIA (Ecole Militaire Inter Armes) de Kati. Beaucoup de jeunes de ma génération étaient intéressés. Mais, plusieurs ont fait défection, notamment les étudiants de l’ENA, lorsqu’ils ont appris que, pendant un an, le salaire serait de 1170 Francs Maliens/mois et que, de surcroît, on serait considéré comme simple soldat abonné à l’ordinaire. A tout hasard, je suis venu et je crois que c’est mon oncle qui m’a accompagné. Si ma mémoire est bonne, c’est Kissima Doukara qui nous a reçus. Il était chef du Bureau Militaire. La hiérarchie était très déçue par les défections. Lorsque je me suis présenté, il était si content qu’il a appelé sur le champ et une jeep militaire est venue nous chercher. Il m’a dit : « Tu commences les visites immédiatement ». Ce qui fut fait. Et en deux jours, la visite était terminée.

Cela me donne d’ailleurs l’occasion de dire à certaines personnes que j’étais apte : apte pour faire l’armée ; apte pour faire le para; apte pour faire le commando ; apte pour faire l’instructeur commando para. Il y avait beaucoup d’aptitudes à avoir pour être là où je suis. J’ai donc fait ma formation et je suis sorti en 1972 avec le grade de Sous-lieutenant

 

Monsieur le Président, vous êtes devenu commando para, semble-t-il, pour relever un défi ?

Effectivement, je suis parti dans les para-commando par défi. A la fin de notre formation, le Chef d’État-major de l’Armée est venu nous annoncer la création prochaine d’un Bataillon de commando Para. Il cherchait des volontaires pour cette unité d’élite. Or, nous revenions du

Brevet Para et cela avait été tellement dur d’avoir été manœuvré par des soldats et des sous-officiers que personne ne voulait y retourner. Et compte tenu de mon profil littéraire, j’avais choisi la Gendarmerie. Mais, face à cette situation, j’ai dû me porter volontaire, histoire qu’on ne dise pas que dans notre promotion, il n’y a pas eu un seul élément pour le para. Un autre camarade m’a emboîté le pas, mais il n’y restera pas longtemps. Pour ma part, je suis resté dans cette unité depuis Sous–lieutenant jusqu’à Général.

 

Lors d’un colloque tenu au Centre International de Conférences de Bamako, il y a de cela environ trois mois, vous avez fait un témoignage très émouvant. L’auditoire a particulièrement retenu que vous étiez le neveu d’un homme politique en vue d’alors, en l’occurrence le Sénateur Mamadou M’BODGE qui a été assassiné. Voudriez-vous nous parler un tout petit peu plus de cette filiation ?

Beaucoup de personnes se posent des questions sur l’origine du consensus que j’ai mis en œuvre depuis 2002. Moi je suis né dans une communauté qui considère que le groupe prime sur l’individu. Dans la langue fulfulbè, cela se dit « Soudou Baba », c’est-à-dire la maison du père. A Mopti, les grandes familles fonctionnent de cette façon, surtout dans le quartier où je suis né. Les mariages, les baptêmes, les circoncisions…bref, tous les grands évènements de la vie se vivent ensemble. Et les jeunes vivent en groupe depuis leur classe d’âge. Il y a même des enfants qui déménagent dans d’autres grandes familles et qui passent deux à trois ans de leur vie dans ces familles. Et puis, il y avait l’école coranique obligatoire pendant les vacances. A l’origine, il y a donc cette formation sociale. Il y a aussi mon tempérament.

Par la suite, au Camp Para, en tant que jeune officier, j’ai été témoin d’événements marquants. J’y ai vu des opposants tels Victor Sy, le Pr. Mohamed Lamine Traoré, Bourama Dembélé, Bourama Diakité pour ne citer que ceux-ci. Il y en a eu tellement ! Je n’étais pas concerné ; ils étaient là pour d’autres raisons et d’autres personnes s’occupaient d’eux. Mais le fait est que je vivais là, dans cette cour. Je voyais comment les choses se passaient.

A la mort du Président Modibo Kéïta le 16 mai 1977, beaucoup de ses compagnons ont séjourné au Camp Para. Je cite, entre autres, Me Demba Diallo, mon beau-père Ténéman Traoré et mon oncle Ataher Maïga. Pour la petite histoire, Ataher Maïga, le beau-père du Président de l’Assemblée Nationale, est un ami de jeunesse de mon père ; lui et mon père se connaissent si bien qu’ils ont évolué dans les mêmes groupes de jeunesse. D’ailleurs, Tanti Jeannette, son épouse, m’a toujours considéré comme son fils.

Pour l’histoire, et contrairement à ce que prétendent certaines personnes mal informées, je n’ai pas vécu une seule seconde avec le Président Modibo Kéïta au Camp Para. Je n’étais même pas au Mali, j’étais à Riazan. Je suis rentré au pays 48 heures après le décès du Président Modibo Kéïta.

Ensuite, ce sont les évènements de février 1978. J’ai vu des officiers qui étaient considérés comme étant les hommes forts du régime d’alors. Parmi eux, Kissima Doukara, Tiékoro Bagayoko, Karim Dembélé. J’ai vu tous ceux-ci venir rester près de 8 mois au Camp Para avant de partir pour le Nord. Et vous connaissez certainement la suite de l’histoire.

La chute est à la fois vertigineuse et brutale. Enfin, après le 26 mars 1991, c’est au tour du Président Moussa Traoré, lui aussi, d’être le pensionnaire du Camp Para. Voyez-vous, cette succession d’évènements majeurs dans la vie de notre pays, donne à réfléchir. Pour moi, il fallait arrêter ce cycle infernal et éviter à notre pays de répéter éternellement les mêmes erreurs. Et comme par la volonté de Dieu je suis arrivé aux affaires, j’ai eu à cœur de gouverner autrement.

Pour revenir à votre question, l’une des victimes des règlements de comptes politiques au Mali a été le Sénateur Mamadou M’BODGE. Il a été assassiné à Bagadadji par quelqu’un à l’aide d’un marteau. Une mort violente et atroce ! La mère de Mamadou M’BODGE et le père de ma mère sont même père même mère. Mamadou MBODGE est mon oncle direct. Lorsque j’étais élève, j’ai passé une bonne partie de ma scolarité chez lui. Voyez-vous, j’ai été témoin de tellement de drames notamment au plan politique que je ne pouvais que prôner le rassemblement. Cette disposition a déjà trouvé en moi un terreau fertile de par mon milieu social et culturel…

A Suivre !

 Propos recueillis

par Diarra Diakité

(Le Contrat No 20 du jeudi 07 juin 2007)

 

Commentaires via Facebook :

1 commentaire

Comments are closed.