“Le Qatar intervient-il au Nord Mali?”

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AFRIQUE – “Si la présence du Qatar au Mali est avérée, il est difficile d’avancer franchement que l’émirat tente de faire évoluer politiquement et stratégiquement la situation dans un sens ou dans l’autre”, juge Mehdi Lazar, géographe.
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L’émirat intervient-il en faveur des mouvements islamistes au Nord Mali? “S’il est confirmé, ce jeu s’avèrerait assez dangereux”, juge notre contributeur Mehdi Lazar, géographe. 

Alors que la Cédéao se prépare prochainement à une intervention armée pour reconquérir le Nord Mali, en réaction au coup d’État du 22 mars 2012 ayant renversé le régime d’Amadou Toumani Touré, on parle de plus en plus de l’implication du Qatar dans cette partie du Sahel. Profitant de la double crise que connait le pays -des mouvements islamistes ont profité de la rébellion touarègue pour prendre le contrôle du nord du pays et un coup d’Etat militaire a renversé le président sortant à Bamako- l’émirat avancerait ses pions sur ce territoire en voie d’afghanisation. Un jeu qui, s’il est confirmé, s’avèrerait assez dangereux.

La présence du Qatar au Mali est avérée mais selon des modalités qui restent floues

Si la présence du Qatar au Mali est avérée, il est difficile d’avancer franchement que l’émirat tente de faire évoluer politiquement et stratégiquement la situation dans un sens ou dans l’autre. Cependant, malgré le peu de preuves de l’implication de ce pays dans le soutien aux combattants armés, un faisceau d’indices laisse penser que cela pourrait être le cas.

Tout d’abord, le Qatar dispose déjà d’un réseau de financement de divers madrasas, écoles religieuses et oeuvres caritatives qui datent des années 1980 et 1990 au Mali, comme dans d’autres pays à majorité musulmane en Afrique. Ensuite, suite à un accord entre le croissant rouge qatari et la croix rouge malienne qui a eu lieu à Doha en août, des humanitaires qataris sont présents sur le sol malien afin d’intervenir par solidarité envers les populations du Nord du pays, notamment autour du triangle Gao, Tombouctou, Kidal.

Plus troublantes, mais à prendre avec précautions, sont les informations du Canard enchaîné [1], reprises par la presse française et internationale, d’un appui financier voire de Forces spéciales de la part du Qatar à certaines factions rebelles au Nord Mali pour former leurs recrues (notamment vers Ansar Eddine). Ces informations proviendraient d’un rapport récent de la DRM française (la Direction du renseignement Militaire qui dépend du Ministère de la Défense). Cependant, le peu d’informations de première main -qui s’explique en partie par la situation conflictuelle sur le terrain- rend difficile une véritable appréciation de la qualité de l’engagement qatari au Nord Mali et la mise en perspective de ce rapport.

Néanmoins, quel qu’en soit le degré et l’intensité, la présence du Qatar au Mali est avérée et correspond de plus en plus à une stratégie africaine qui monte en charge, notamment depuis les printemps arabes. Ainsi l’émirat s’est trouvé impliqué dans le financement de partis politiques – proches des Frères musulmans – en Tunisie et en Egypte en 2011 er 2012, il a été impliqué dans la médiation au Darfour qui a eu lieu au Soudan en 2011 et il s’est engagé dans la coalition de l’OTAN qui a combattu le régime deMouammar Kadhafi en 2011 (parallèlement le Qatar a également financé des combattants rebelles en Libye). Alors au-delà de la présence d’éléments humanitaires du croissant rouge au Mali, on peut s’interroger sur ce que pourraient être les autres raisons d’une présence qatarie dans cette partie du Sahel.

Quels sont les intérêts de la présence du Qatar au Mali

Si l’hypothèse du financement, voire de l’entraînement et de l’armement de groupes islamistes armées par le Qatar au Nord Mali s’avère confirmée, alors il est possible d’en tirer plusieurs interprétations.

Premièrement, cette intervention serait pour l’émirat un moyen simple mais risqué d’augmenter grandement son influence en Afrique de l’Ouest et dans la bande sahélienne. En effet, le Qatar pourrait ainsi peser dans l’évolution des médiations entre le gouvernement malien, la Cédéao, les rebelles du Nord, voire la France. Cela augmenterait son poids politique sur le continent, profitant en cela – comme il le fait souvent – d’un contexte favorable. Dans le cas du Mali, il s’agit d’un Etat failli – avec un vide de puissance soudain au Nord – dû à la fois à la déstabilisation des rebelles touaregs et du coup d’Etat au Sud. S’ajoute à cela le contexte particulier de la présence au Sahel de nombreux combattants et d’armes consécutivement à la guerre récente en Libye, ou encore la présence au Nord de jeunes Touaregs désoeuvrés et opposés à l’Etat malien qu’il est possible de financer.

Utilisant cette conjonction de facteurs favorable, l’émirat pourrait y voir un moyen de continuer à peser fortement en Afrique, continuant ainsi l’action entreprise en Egypte, en Libye et en Tunisie. A ce titre, comme dans le cas de l’engagement qatari en Syrie, deux données seraient communes. Premièrement, le précédent libyen a compté et l’émirat fort de cette victoire se sent capable d’intervenir directement à l’étranger dans une perspective de puissance. De plus, comme en Syrie, la présence de l’émirat au Mali – si elle s’avère réelle – doit être resituée dans le contexte d’une concurrence double : d’abord avec l’Arabie Saoudite pour le contrôle de l’Islam sunnite mondial mais également afin de renforcer le poids de ce même Islam sunnite face au chiisme (car l’axe Iran-Syrie-Hezbollah reste fort tandis que le chiisme monte en Irak).

Autre point commun mais avec la Libye cette fois, le Mali dispose d’un potentiel gazier [2] et a besoin d’infrastructures pour le développer. Or, le Qatar maîtrise ces techniques. Il pourrait ainsi en cas de bons rapports avec les dirigeants d’un Etat islamique au nord du Mali exploiter le sous-sol qui est riche en or et en uranium et le potentiel gazier et pétrolier.

Enfin, géographiquement, le Mali est également un axe de pénétration vers l’Afrique noire et l’Afrique de l’Ouest vers lesquels le Qatar poursuit son influence au travers de l’achat de ressources, de terres agricoles ou du financement de lieux de culte.

Une intervention qui si elle est avérée pourrait se retourner contre le Qatar

La situation au Mali illustre bien la situation problématique de la bande sahélienne qui devient extrêmes préoccupante du fait de la faiblesse des Etats de la région et de la présence d’AQMI et d’autres combattants djihadistes. De surcroît, la guerre en Libye de 2011 a aggravé la situation, comme le montre l’assassinat récent de l’ambassadeur américain Christopher Stevens à Benghazi. Au Mali cette défragmentation de l’Etat est non seulement due à des facteurs intrinsèques (rébellion touarègue, faiblesse structurelle de l’Etat, démocratie de façade, mal développement) mais aussi aux conséquences mal maîtrisées de la crise libyenne.

 

 

Dans ce cadre, l’intervention du Qatar, si elle s’avère conflictuelleest fort malvenue et quatre acteurs pourraient en prendre ombrage : Les Etats-Unis, la France, L’Algérie et l’Union Africaine. Un redéploiement français et américain dans la région se met en effet actuellement en place afin de tenter de stopper la dérive du Nord Mali. Les Etats-Unis recentrent leur approche sécuritaire sur l’Afrique du Nord et la bande sahélienne, notamment après l’assassinat de leur ambassadeur et dans la perspective des prochains désengagements en Irak et en Afghanistan. La France – puissance traditionnelle dans la région mais dont la présence d’otages limites les initiatives – est, elle, poussée par ses nombreux intérêts économiques et politiques.

Or, les Etats-Unis et la France ont des relations très fortes avec le Qatar qui dans le cas malien, contrairement à son intervention syrienne [3], pourrait aller à l’encontre des intérêts occidentaux. Ces derniers pourraient donc le lui faire comprendre mais on peut s’interroger sur la portée des ” représailles ” possibles vis-à-vis d’un émirat aussi important économiquement, politiquement et militairement pour les Etats-Unis et la France [4].

Parallèlement, l’Union Africaine tente de s’affirmer en tant qu’acteur politique et veut régler les conflits sur son sol, en l’occurrence par le biais de son organisation régionale, la Cédéao qui met sur pieds une force de plus de 3000 hommes. Si la stratégie du Qatar est de financer ou d’armer des combattants au Nord Mali, cela lui complique donc la tâche. En revanche, sa capacité à agir et à peser sur les décisions du Qatar est très faible (sauf à passer par l’UE ou la France). L’Algérie, enfin, est tout particulièrement concernée par la situation au Nord Mali.

Si en apparence les relations entre les deux pays “frères” sont bonnes, l’Algérie surveille néanmoins l’évolution de ce dossier de très près car elle craint une tentative de déstabilisation à ses frontières, voire sur son sol. Plus généralement, s’il s’avère que le Qatar intervient au Nord Mali, cela ajouterait aux griefs que l’Algérie impute à l’émirat. Les deux pays s’opposent économiquement – malgré des accords récents, ils se font concurrence pour les exportations gazières – et politiquement (le financement des Frères musulmans au Maghreb par le Qatar, qui par ailleurs héberge sur son sol l’ex-leader du FIS Abassi Madani, est très mal vu par l’Algérie, tout comme le fait que le Qatar ait rejoint la coalition de l’OTAN en Libye alors que l’Algérie prône la non-ingérence).

De plus, Mujao (le mouvement pour le Djihad en Afrique de l’Ouest, qui pourrait être financé par l’émirat qatari) retient en otage 7 diplomates algériens enlevés en avril 2012 au Nord Mali. L’Algérie reste donc un Etat clé dans la crise malienne – en tant que puissance régionale – mais elle hésite à intervenir en raison de ses 1 300 km de frontière avec le Nord Mali dans une zone extrêmement difficile à contrôler. Cela serait en effet prendre le risque de voir de nouveaux le terrorisme frapper sur son sol comme dans la décennie 1990.

L’Algérie, comme les Etats-Unis et la France n’ont aucun intérêt austatus quo dans le Sahel et si le Qatar y intervient, ces Etats pourraient réagir. Ainsi, vue la conjoncture régionale, il y a pour le Qatar plus à gagner qu’à perdre d’une intervention au Nord Mali. Cela est bien sûr vrai uniquement si pour les Etats-Unis et pour la France les nuisances de la crise maliennes dépassent leurs intérêts communs avec le Qatar, qui sont nombreux.

Par Mehdi Lazar, géographe. / lexpress.fr/

 

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6 COMMENTAIRES

  1. Votre analyse a du sends. Mais laissez des malades faire du n’importe quoi est pire. Le quatar est derriere beaucoup de problemes dans le monde. Donc vous l’avez si bien dit les USA et la France ont leurs interets dans ce minuscule pays et ils laissent ce bout de pays faire ce Que’il veut en fermant completement leurs yeux sur ses actes. Je l’ai deja dit sur ce forum. Mali a peut a leurs offrir pour l’instant. Tout le monde UN etc… connaissent le vrai fond du probleme. C’est nous qui sommes le pire. Et l’accident tourne le dos qui ne fera plus son affaire. Il faut que le quatar se souvienne de cela, tot ou tard. Je n’ai pas besoin de donner des exemples. On est tout mieux de revoir nos strategies car rira bien, rira le denier.

  2. Si nous sommes intelligents, il suffit de regarder tout ce qui se passe de très près pour se rendre compte de la réalité. Le Mali est attaqué par des amis du Qatar qui a d’autres amis qui veulent eux aussi nous aider par une intervention militaire. La solution est très simple: les amis du Qatar ( France, USA) doivent simplement demander au Qatar d’arrêter de soutenir ces bandits et a partir du moment que ces gens n’ont pas de soutien du Qatar, ils ne pourront plus faire même une semaine au nord du Mali. On pourra épargner des vies humaines.

  3. très bonne analyse inshallah début d’après midi nous connaissons la vérité QUATAR 👿 👿 👿

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