Dehane Ahmed Mahmoud: « Pour combattre le terrorisme, il y a le bâton, la carotte et le démontage intellectuel du système de pensée des terroristes »

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Dehane Ahmed Mahmoud: « Pour combattre le terrorisme, il y a le bâton, la carotte et le démontage intellectuel du système de pensée des terroristes »
Dehane Ahmed Mahmoud

Monsieur Dehane Ahmed Mahmoud, qui est actuellement le Directeur Exécutif de l’Institut Mauritanien des Etudes Stratégiques, est un ancien officier de la Marine. Professeur de Relations Internationales, il a assumé d’importantes fonctions en République Islamique de Mauritanie. Ancien ambassadeur, il  fut ministre de la République. En marge de l’atelier organisé à Nouakchott du 27 septembre au 02 octobre  2015 sur la couverture médiatique des événements terroristes par le collège sahélien de sécurité, Monsieur Dehane Ahmed Mahmoud a bien voulu répondre à nos questions. Interview !

Le Challenger : Quelles sont les raisons qui ont motivé la création en Mauritanie d’un institut dédié aux études stratégiques ?

Dehane Ahmed Mahmoud : Je crois que tous les pays du Sahel ont besoin d’un institut d’études stratégiques. C’est comme ça que les pays se développent. Le gouvernement, les partis politiques s’occupent des choses immédiates. Nous avons besoin d’examiner avec un certain recul, une certaine patience les problèmes pour essayer de trouver des solutions. Au niveau de l’institut, nous travaillons avec les partis politiques de l’opposition comme de la majorité même si nous recevons un financement du gouvernement. Nous cherchons seulement les compétences et examinons les problèmes dans leur contexte en essayant de ne pas être aveuglés par l’actualité.

Pouvez-vous nous rappeler les missions de l’institut ?

Les missions confiées à nous au départ étaient de jalonner un peu la manière de regarder les grands problèmes de la mondialisation et d’essayer de proposer de meilleures voies pour y accéder ou pour les résoudre en fonction de nos moyens.

Nous avons toujours cette façon de regarder la théorie, ce qui se fait dans d’autres pays et ce qui peut être fait en Mauritanie. C’est comme ça que nos chercheurs travaillent. Je vous avoue que la plus grande partie de nos activités a tourné autour de ce problème de terrorisme qui sévit dans notre région. C’est un problème réel que nous avons appréhendé, pas en l’examinant immédiatement mais en regardant comment on peut le traiter, l’éviter. Je vous avoue que nous sommes fiers de l’expérience mauritanienne des stratégies qui sont mises en place à cet effet et qui ont même reçu l’aval des américains et des forces extérieures.

Dites-nous quelques-unes de ces stratégies mises en œuvre au niveau de la Mauritanie ?

Pour combattre le terrorisme, il y a le bâton accessible sous différentes formes. Il y a la carotte avec ses différentes formes qui peuvent être l’emploi, le développement, la bonne gouvernance, etc. Il y a ce que nous appelons le démontage intellectuel du système de pensée des terroristes. Pour nous, c’est quelque chose d’extrêmement important. Si vous envoyez quelqu’un pour tuer celui qui prend une ceinture, prêt à se faire sauter, cela ne le dérange pas parce qu’il va se faire tuer. Si vous lui donnez de l’argent, cela ne l’intéresse pas parce qu’il quitte ce monde. Donc, il faut arriver à démonter son processus intellectuel. C’est une démarche très importante que nous pratiquons beaucoup en Mauritanie. C’est un élément clé de notre approche. Ce n’est pas l’inclusion et l’ignorance qui servent à combattre les idées défendues par les terroristes. Il faut justement plus d’enseignements. Il faut plus de façons de regarder le système pour démonter le discours. Peut-être, celui qui est déjà un terroriste est perdu. Celui qui ne l’est pas encore mais qui trouve que l’autre a de bonnes idées, n’en est pas un, donc on peut le récupérer.

Les pays du Sahel sont confrontés à d’énormes problèmes sécuritaires dont le terrorisme. Selon vous, que doivent faire ces pays pour circonscrire le mal ?

Ce sont des pays voisins qui ont les mêmes problèmes de sécurité, de développement, de précarité, d’emploi pour les jeunes. Il faut que nous essayions de trouver des solutions endogènes. Le fait de penser que d’autres pourraient nous donner la solution n’est pas la bonne solution. Je vous cite l’exemple du terrorisme. Les puissances occidentales ont tendance à prendre le bâton pour combattre le terrorisme dans tel ou tel endroit. Le bâton ne sert pas. Elles ne font qu’amplifier le mal.

Je vais citer le cas de Boko Haram. Au départ, un certain Mohamed Yusuf qui avait une connaissance médiocre de la religion et du monde moderne a dit que l’école est interdite. A l’époque, il n’y avait pas d’attentat, rien du tout. Qu’est-ce qu’on a dit aux nigérians ? On a suggéré aux nigérians de prendre le bâton et d’aller le massacrer avec tous ses adeptes dans son village. Ils sont venus et ont fermé le village. Ils ont coupé le téléphone portable et les ont maltraités. Et aujourd’hui, on a Aboubakar Shekau qui est autrement plus terrible, autrement plus difficile à traiter, qui tue, vole et viole les femmes….

Le fait de dire qu’on va tuer tous ces gens n’est pas immédiatement la solution. Il faut bien sûr combattre tous les terroristes mais il faut trouver une façon de ne pas amplifier le phénomène. Je prends un autre exemple qui est loin de notre région, l’Irak. Quand les américains sont venus, ils ont dit que c’est à cause de Saddam Hussein qu’il y a des problèmes. Ils ont tué Saddam Hussein. Il leur est apparu un autre qui s’appelle Abou Moussab al-Zarqawi, ils l’ont tué. Maintenant, on a Abu bakr al-Baghdadi, ils vont le tuer aussi, ce Baghdadi. Il y en aura un autre. Ce n’est pas la méthode. La méthode est d’essayer de rendre stérile le terreau où peut pousser le terrorisme. On le rend stérile en faisant une bonne gouvernance, en changeant le discours, en éduquant  et en essayant de créer de l’emploi. Ce n’est pas de dire qu’on va taper dans la fourmilière. Quand vous tapez dans la fourmilière, les fourmis se répartissent partout et piquent tout le monde.

Nous sommes en Mauritanie dans le cadre d’un atelier sur la couverture médiatique des événements terroristes. Quel peut être le rôle des médias dans la lutte contre le terrorisme ?

Justement, c’est moi qui ai choisi de faire cet atelier en Mauritanie. Il entre dans notre perspective du combat contre la rhétorique du terrorisme. C’est la bonne méthode, si vous en tant que journalistes, vous traitez correctement la question.

Je vais vous citer le cas qui m’avait choqué à l’époque. J’ai entendu un journaliste qui, juste après la libération de Gao, a interrogé un citoyen. Celui-ci a affirmé qu’il a gardé un groupe d’enfants et qu’il les a préparés à l’idée que la France venait les libérer des terroristes. Maintenant quand on leur dit Allah Akbar, ils répondent François Hollande.  C’est un très mauvais discours à faire passer dans la presse parce que les gens auxquels vous vous adressez sont des musulmans. On peut faire ça en France mais pas chez nous.

Vous avez discuté entre vous professionnels de comment  traiter ce problème. J’ai voulu qu’il y ait cet atelier qui est la façon de continuer à dire la vérité, à combattre le terrorisme mais il ne faut pas donner de chance au phénomène de s’amplifier chez nous. Il faut éviter de l’amplifier. Je suis vraiment content que cet atelier se tienne ici. J’ai demandé leurs avis aux gens d’un certain niveau, je crois que tout le monde est content de cet atelier parce qu’il se passe très bien.

Dans la lutte contre le terrorisme, vous faites allusion au bâton et à la carotte. Doit-on réellement discuter avec des terroristes ?

Quand on parle de lutte contre le terrorisme, il y a plusieurs terroristes. Il y a celui qui est là avec du sang sur les mains et qui se bagarre avec les gens. Et que nos forces doivent poursuivre pour l’attraper afin de l’amener devant la justice. Il subit ce que la justice prévoit pour quelqu’un qui commet un tel acte.

On doit discuter avec celui qui n’est pas encore arrivé à ce point mais qui trouve vrai ce que l’autre a dit. On ne doit pas laisser celui-là  devenir terroriste. Je vous ai cité l’exemple de l’Irak. Vous dites que le terroriste, c’est Zarqawi, vous tuez Zarqawi. Est-ce que ça a changé quelque chose ? On a tué Mohamed Yusuf. Est-ce que ça a changé quelque chose ? On en a eu des plus mauvais encore.

Traitez avec du bâton celui qui a du sang sur les mains et continuez à traiter les autres sans le bâton. Certains avec la carotte. D’autres avec le discours que vous faites à travers votre journal, la télévision, la mosquée. Cela est important parce qu’ils ne sont pas encore tombés dans le terrorisme. C’est ce que j’appelle rendre stérile le terreau où pousse le terrorisme. C’est important.

Propos recueillis par

Chiaka Doumbia

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