A force de surgir ces derniers mois, avec des exigences fortes sur la gouvernance, certains responsables religieux ont fini par susciter une sorte de « repli identitaire » chez le pouvoir IBK. Le locataire du palais de Koulouba, longtemps méprisant vis-à-vis de la classe politique, a brusquement retrouvé du zèle pour rétablir le chemin du dialogue tant avec la majorité qu’avec l’opposition.
- Maliweb.net - Visiblement, Mahmoud Dicko et le chérif BouyéHaïdara sont en train de pousser, sans le vouloir, IBK à retrouver ses talents de stratège politique. En ne parvenant pas à barrer la route du second mandat à IBK, certains leaders religieux avaient déjà alerté le « président-fondateur » du RPM sur sa vulnérabilité. IBK était alors contraint de se faire réélire seulement au second tour, alors qu’il surfait sur un takokelen ! Même si Mahmoud Dicko et Bouyé Haïdara avaient échoué à empêcher un second mandat à IBK, ce dernier a su que sa gouvernance n’allait pas être un long fleuve tranquille…
Limoger le PM, acteur politique majeur ?
La preuve, ces religieux viennent de plaider pour le limogeage du Premier ministre Soumeylou Boubèye Maïga. Et le meeting du 10 février dernier avait montré que ces leaders religieux, malgré tout, gardent une capacité de mobilisation qu’il ne faut point négliger. Ils ont donc une force de nuisance, dont IBK est obligé de tenir compte ; malgré sa confiance renouvelée au PM.
C’est cette analyse qui pousse le chef de l’Etat a rapidement amorcer un rapprochement avec le chef de file de l’opposition, en passant un coup de fil réconciliateur à Soumaïla Cissé le jeudi 14 février, soit exactement 4 jours après le meeting de défiance du stade 26 mars plein à craquer. Ce qui sera suivi par la rencontre du chef de l’Etat avec la majorité présidentielle Ensemble pour le Mali EPM, le dimanche dernier. IBK est visiblement en train de resserrer les rangs du landernau politique autour de sa gouvernance, conscient du…péril religieux. Aurait-il oublié que c’est lui IBK qui a presque instrumentaliser ces leaders religieux pour son ascension au pouvoir ? Peut-il réussir à échapper à ce retour de manivelle en s’adossant aux forces politiques du pays ? Possible ! Avec le risque de tenter une ouverture sûre dans le contexte des réformes politiques envisagées.
Rappels utiles
Il faut rappeler toutefois que si sous le magistère du président Alpha Oumar Konaré, les leaders religieux n’étaient audibles que lors de la célébration des certaines fêtes (comme le Maouloud, ou la Pâques), sous ATT, l’épisode du vote contesté du Code des personnes et de la famille les avait brièvement mis en relief… Et c’est avec l’avènement du président IBK, que les chefs religieux ont poussé des ailes pour avoir été quasiment invités à s’immiscer dans le débat politique. C’est ce qui coûte aujourd’hui à IBK les pressions et sollicitations diverses… Cela doit donc s’inscrire dans le lot des expériences pour ses potentiels successeurs.
Pour avoir bénéficié du soutien multiforme de certains leaders religieux comme rampe d’ascension au pouvoir en 2013, IBK fait, depuis plusieurs semaines, l’objet de demandes pressantes et des plus fantaisistes. En ignorant ces… aboiements, IBK réussira le pari de conduire le Mali à la fin définitive du pouvoir politique des mosquées, églises et couvents.
Avec les événements de mars 2012, les militaires et les religieux étaient devenus les véritables faiseurs de roi au Mali. Nul ne pouvant accéder aux hautes sphères de l’Etat sans leurs bénédictions. Mais le règne de la junte et de ses reliques était devenu trop encombrant et dérangeait visiblement les partenaires internationaux du pays. IBK a dû siffler la fin de cette récréation avec son retentissant « Kati ne fera plus peur à Bamako ». La suite, c’est le démantèlement des acteurs majeurs du coup d’Etat de 2012… Il restait l’autre pôle majeur d’influence : les leaders religieux, dont l’imam Mahmoud Dicko, le chérif de Nioro et leurs proches lieutenants.
Entre temps, les rapports se sont détériorés entre le pouvoir et ces responsables religieux qui ne se plaignaient de voir les plus hautes autorités s’affranchir de leurs désidératas. Comme ils voulaient un pouvoir à leurs ordres ou à leurs pieds ! Oubliant que tout pouvoir tient à s’affranchir de quelque diktat que ce soit. Ce qui a du reste motivé l’opinion célèbre de Montesquieu : « le détenteur de tout pouvoir est porté à en abuser… »
C’est dans ce contexte de froid entre l’imam Dicko, non moins président du Haut Conseil islamique et le chérif Bouyé Haïdara qu’est intervenue l’élection présidentielle 2018. Nul ne pouvait penser que le candidat contre qui ces deux ténors de l’opinion publique appelleraient à voter pouvait tout de même remporter, au final le scrutin ! Cela fut le plus grand camouflet infligé à ces deux leaders religieux. Fort heureusement que le troisième leader religieux le plus influent au Mali, Ousmane Chérif Madani Haïdara avait évité de donner des consignes de vote. Contrairement aux deux précités qui s’étaient rangés derrière des candidats de l’opposition : Aliou Boubacar Diallo et/ou Soumaïla Cissé. Et, à l’issue du 1
er tour du scrutin, ces protégés de l’imam Dicko et du chérif Bouyé arrivent respectivement en deuxième et troisième position. Et, n’ayant pas pu bénéficier du report de voix du troisième, Aliou Diallo, Soumaïla Cissé constatera que malgré le soutien du guide des hamalliste, IBK lui damera le pion… En clair, contre le soutien de ces leaders religieux qui drainent d’immenses foules, le candidat IBK a gagné cette élection présidentielle. Ce fut la première défaite de ce qu’on peut appeler désormais le pouvoir des mosquées.
Avec l’épisode actuel des pressions de ces leaders religieux sur le chef de l’Etat pour obtenir le limogeage du Premier ministre Soumeylou Boubèye Maïga, l’on a une nouvelle grille d’appréciation de cette influence religieuse sur la gouvernance politique du pays.
Refus poli et clair d’IBK
En effet, étant donné que le chef de l’Etat a déjà opposé un refus clair à ces pressions de Bouyé et Dicko, l’on peut conclure en un camouflet des guides religieux. En déclarant avec la solennité requise, depuis Berlin, que Boubèye « fait correctement son travail… », qu’il « a relevé plusieurs défis dont l’organisation de l’élection présidentielle », IBK tient à gagner un nouveau pari, celui de montrer à l’opinion qu’il ne sera plus la marionnette d’aucune chapelle religieuse, si majoritaire soit-elle. Il faut d’ailleurs souligner que si le président cède à cette pression, il montrerait alors au peuple que ce sont ces leaders religieux qui gèrent le pays. Ce qui serait hautement dommageable pour l’image de son pouvoir, dont le second mandat est à peine emmanché.
Et en n’obtenant pas la tête du PM, dont IBK vient de prendre la main à sa descente d’avion en rentant à Bamako, les milliers d’adeptes de ces guides religieux comprendront que leurs mentors sont plus dans la propagande qu’autre chose. Ils en déduiront par dépit que le rôle du religieux n’est d’ailleurs pas de dicter la conduite à suivre aux responsables politiques. Ils se démotiveraient quelque peu d’une quelconque prise de position sur le plan politique. Ce qui conduit à peut-être à une prise de conscience et à une forme d’autorégulation du religieux vis-à-vis de la donne politique au Mali. L’on aboutit ainsi à une fin imminente de l’influence des religieux.
Boubou SIDIBE /Maliweb.net