Dalla Cissé, promotrice d’art ! Quand la passion de l’art traduit l’engagement pour la patrie

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Le bogolan existe depuis le 11e siècle. Il est issu de la composition d’argiles recueillies au fond des cours d’eau (ou des termitières géantes) et de feuilles d’arbres (ngalama ou Mpékou) bouillies qui donnent une teinture artisanale appliquée sur des bandes de cotonnades tissées au Mali et dans de nombreux pays de l’Afrique de l’ouest. Et parmi les talents et les entreprises lancés dans sa promotion, Mme Dalla Cissé (Dalla Création) fait figure de pionnière. Sa boutique au Centre international de conférence de Bamako (CICB) a longtemps été l’une des rares références en la matière dans notre pays.

Dalla Création est aujourd’hui un tremplin pour la vulgarisation de cette technique et la promotion des produits dérivés comme des couvre-lits bogolan en petites bandes, des jetées de lit, des coussins décoratifs Ciwaara, des ensembles bogolan légers. «J’emploie présentement trois personnes dont un chef d’atelier et un désigner. Nous recevons aussi des étudiants en formation», nous explique Dalla dont l’atelier est à son domicile, sis à Badala-Séma I, près de la mosquée Wali Diawara.

Mais, aujourd’hui, son rêve est d’ouvrir un atelier moderne. «Je me heurte à un problème de financement pour concrétiser ce projet. Une banque de la place m’a récemment exigé une garantie foncière pour un prêt d’environ 5 millions de Fcfa», déplore la promotrice d’art. Mais, Dalla est une Nyeleni qui ne baisse pas les bras face aux obstacles. Ainsi, elle a postulé avec un projet au Fonds d’appui à l’autonomisation de la femme et à l’épanouissement de l’enfant (FAFE) et attend patiemment la suite.

Une attente qui ne l’empêche pas d’être active dans son atelier car consciente de la portée socio-économique de son travail. «Je commande mes tissus avec des tisserands, notamment au village Kibaru ou à la Comatex qui est menacée ces dernières années par la concurrence déloyale. Donc notre activité est un coup de pouce à ces chefs de famille et à cette entreprise», explique-t-elle.

Tout comme elle est convaincue, qu’avec un peu plus de volonté politique, le bogolan voire l’artisanat peut énormément contribuer à freiner l’exode rural et la migration clandestine. Ainsi, avec son chef d’atelier (Moustaph Diop), elle envisage d’initier un projet de formation (teinture-bogolan, design) à l’intention des talibés pour réduire le lot des enfants de la rue avec une occupation saine et rentable.

De la passion à l’entreprise

La soixantaine assumée avec charme et élégance, Dalla est née à Kayes d’un papa cheminot qui est resté au Sénégal après l’éclatement de la Fédération du Mali. En 1975, elle a choisi de revenir au Mali avec son Bac A4 (série philosophie-lettres modernes).

«À l’époque, mon père était surpris de mon choix auquel il n’a adhéré que récemment. Avant son décès, il y a deux ans (à 94 ans), il m’a dit : Dalla, au départ, je n’avais pas compris pourquoi tu tenais tellement à retourner et rester au Mali. Mais, aujourd’hui, je dois reconnaître que grâce à toi, tous mes enfants ont connu le Mali où se trouvent leurs racines», nous rappelle-t-elle.

Et de préciser, «nous sommes une fratrie nombreuse. Et beaucoup de mes frères et sœurs ont découvert le Mali à travers moi. Certains ont même finalement fondé un foyer ici. Et cette reconnaissance de mon père (paix à son âme) est une satisfaction morale inestimable à mes yeux».

Hôtesse de l’Air (Air Mali) de 1976 à 1980, Dalla a ensuite fréquenté l’Ecole des secrétaires de direction de Soufflot (Paris, France) entre 1981 et 84. Une formation qui lui a ouvert les portes d’une carrière bien appréciée de ses employeurs, notamment à Inter Service Migrant (Paris/France) comme interprète.

«Mon travail consistait à aider mes frères et sœurs migrants dans les hôpitaux et tribunaux français comme interprète africaine. Et cela parce que j’avais la chance de parler différentes langues parlées au Sénégal et au Mali», explique Dalla Cissé.

Chef du service recouvrement des Assurances Sabu-Nyuman à Bamako (1987-1991), cette passionnée d’arts a été de 1991 à 1994 la secrétaire permanente du Collectif des femmes du Mali (COFEM) avant d’être nommée attachée de cabinet au ministère des Affaires étrangères (février-octobre 1994) et du département de l’Urbanisme (novembre 1994-décembre 1996). Et depuis, elle dirige son entreprise «Dalla Création». Après le décès de son mari, elle a en effet choisi de faire de sa passion un métier pour davantage s’affirmer.

Une créatrice très engagée dans l’arène politique

Démocrate convaincue, Dalla a commencé à militer au sein de l’Adema Association jusqu’au parti Adema. Elle va quitter la Ruche à cause des dissensions internes. Ensuite membre du bureau politique du Parti de la Solidarité et du Progrès (PSP, anciennement Parti progressiste soudanais créé en 1946 par feu Fily Dabo Sissoko. C’est une formation présidée aujourd’hui par Oumar Hammadoun Dicko) et actrice oubliée du mouvement démocratique (car discriminée par ses camarades de lutte à cause de son franc-parler et son attachement aux valeurs qui ont forgé l’idéal démocratique), Dalla s’est mise à l’écart pour observer.

Et quand elle parle de la situation politique actuelle, c’est avec amertume et déception car beaucoup de ses camarades de lutte restent de nos jours des observateurs. Et malheureusement, la jeunesse suit aveuglement ceux-ci comme des modèles. Faute de meilleures références ? Pas forcément parce que la porte des acteurs et actrices engagés comme Dalla Cissé, Aminata Dicko dite Inah… sont largement ouvertes aux jeunes pour échanger et conseiller leurs cadets et cadettes.

Au sujet de son engagement politique, Dalla a tenu à rendre hommage à son défunt époux, feu Balla Konaté. «Mon mari m’a beaucoup aidée et   soutenue pendant les heures chaudes pour l’avènement de la démocratie», reconnaît l’artiste.

Et d’ajouter, «mon fils, qui est aujourd’hui en stage au protocole de la République, était au jardin d’enfants Kassé Kéita. Pendant que les autres femmes s’occupaient de leur famille, moi je me battais avec le mouvement démocratique pour un changement radical dans mon pays que j’aime plus que tout au monde. Mais, quelle que soit l’heure à laquelle je rentre de la Bourse du travail, mon regretté mari était là à m’attendre. Et c’est ce qui restera gravé dans ma tête. Que Dieu l’accueille dans son paradis».

Aujourd’hui, elle trouve son réconfort dans son métier d’artisane. Un secteur qui, à lui seul, peut résoudre en partie l’équation du chômage au Mali. «Nous avons tellement de potentialités au niveau de l’artisanat, tellement de choses à mettre en valeur comme le tissage artisanal».

À son avis, l’artisanat malien souffre de deux handicaps essentiels, le complexe culturel du Malien et le manque de volonté politique pour réellement le booster. «Contrairement à beaucoup de nos voisins (Sénégal, Côte d’Ivoire…), le Malien n’aime plus ce qui vient de chez lui. Et ce n’est pas forcément une question de prix ou de qualité, sinon nos cotonnades sont de loin supérieures aux tissus importés d’ailleurs».

Sa clientèle est essentiellement composée d’étrangers (Occidentaux notamment) et de cadres maliens en quête de cadeaux pour leurs amis et partenaires de passage dans notre pays.

«L’Etat doit davantage soutenir et encourager la consommation locale. L’héritage de beaucoup de nos grands maîtres artisans est aujourd’hui menacé faute d’apprenants. Les jeunes qui apprennent le tissage à l’INA par exemple préfèrent autre chose parce qu’ils n’ont pas les moyens d’exercer leur métier. Toutefois, il faut aussi reconnaître que nos jeunes ne font pas assez d’efforts. Ils veulent tous faire fortune dès le départ sans souffrir».

Un énorme gâchis qui perturbe le sommeil du talent engagé qu’est l’élégante Mme Dalla Cissé !

Moussa BOLLY

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